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est américain (ou les deux) mais, à la fin des années 1950, être américain signifie être à la mode, à la page et branché. diefenbaker est un exemple frappant de quelqu’un qui ne l’est pas, pas plus que son aîné, le président américain eisenhower. il est difficile de s’imaginer diefenbaker en train de danser la valse, sans parler de se déhancher comme le fait elvis37.
diefenbaker préside au dérapage de certaines caractéristiques nationales du Canada. Les Canadiens sont ou ont été pro-Britanniques, monarchistes et conservateurs. Ces caractéristiques ont favorisé l’élection de diefenbaker en 1957 et elles ont contribué à définir un genre de nationalisme conservateur qui portait encore les traces de sir John a. Macdonald, un des héros de diefenbaker.
diefenbaker préside aussi à deux visites royales d’élisabeth ii, en 1957 et 1959 ; au terme de la deuxième, une visite assez longue, on commence à entendre les gens se plaindre. Ces visites sont marquées par de nombreux défilés et beaucoup d’apparat, ce qui avait très bien fonctionné pour George vi en 1939. Peut-être qu’en cette ère des loisirs de masse et de facilité à se procurer les images d’un voyage royal, les poignées de mains avec les notables et les fleurs ne suffisent plus. Peut-être aussi existe-t-il une impression que le grand apparat n’est que mascarade destinée à masquer l’absence de puissance. en 1939, la Grande-Bretagne comptait au nombre des véritables grandes puissances du monde ; en 1959, si on la compare au Canada, elle traverse une mauvaise passe. Le souvenir de la deuxième Guerre mondiale commence à s’estomper ; il se peut fort bien que les anciens combattants canadiens ne demandent pas mieux que de laisser son côté britannique s’estomper38. de toute manière, il faut mener la guerre froide, et l’apparat et le patrimoine cadrent mal avec ce sentiment d’urgence métallique. Pourtant, il faudra encore attendre un certain temps avant de voir le sentiment croissant de désenchantement prendre racine et il est plus facile d’en ignorer les indices au Canada anglais que dans la partie francophone du pays.
Un qUéBEc AmBiVALEnT
Pendant les années 1950, les Canadiens anglais sont généralement d’avis que le Canada français, surtout le Québec français, vit dans une sorte d’extase médiévale et catholique. C’est facile à croire : le premier ministre duplessis incarne une vision du monde qui aurait paru démodée en 1900, à plus forte raison en 1950. La main de l’église est partout visible au Québec, dans les immenses églises et les hauts clochers qui dominent villages et villes, petites et grandes, dans les collèges classiques tenus par le clergé et dans les monastères et les couvents qui parsèment le paysage 364
UnE HIsTOIRE dU Canada
des villes et des campagnes. Le Québec s’est tourné tard et à reculons vers l’enseignement universel et la scolarisation y est inférieure au reste du pays.
On compte moins d’ anciens combattants au Québec qu’ailleurs, de sorte que les Québécois francophones qui profitent des avantages des anciens combattants sont aussi moins nombreux. Le pays est aux prises avec la banlieusardisation et les achats résidentiels tandis que le Québec demeure une province de locataires, où les propriétaires sont moins nombreux. Les Canadiens anglais, notamment les anglophones de Montréal, se consolent du fait que le Québec accuse du retard, peut-être indéfiniment, en raison du pouvoir en apparence immuable de l’église et de la prédominance de la politique conservatrice.
« La belle province », devise choisie pour figurer sur les plaques d’immatriculation des automobiles au Québec, n’en connaît pas moins de nombreux changements. Certains sont attribuables à duplessis. Le premier ministre inaugure un drapeau du Québec, qui rappelle les étendards de la France révolutionnaire, et ce drapeau devient populaire, symbole très visible du fait que le Québec est bel et bien différent. Le nationalisme officiel est de droite et répressif, mais il ne faudrait pas penser pour autant qu’il n’est pas populaire ou sans effet sur la plus jeune génération. Beaucoup d’intellectuels reculent devant les méthodes politiques de duplessis, ce qui ne signifie nullement qu’ils choisissent le Canada comme option idéale.
Certes, certains le font mais d’autres préfèrent attendre, se servant des institutions fédérales ou du Parti libéral provincial – exempt jusqu’à un certain point des brimades de duplessis – sans souscrire à une idéologie pancanadienne.
La qualité latente du Québec en arrive à un point critique en 1959-1960. en septembre, duplessis meurt soudainement. son successeur, Paul sauvé (un héros de la deuxième Guerre mondiale, soi dit en passant) meurt le jour le l’an 1960. son successeur antonio Barrette, un politicien à l’esprit de clocher, mène l’Union nationale de duplessis à la défaite en juin. Le vainqueur est Jean Lesage, ancien député libéral (de 1945 à 1958) et ministre du Cabinet fédéral (de 1953 à 1957). Ces événements coïncident avec la résurgence du libéralisme – qui s’accompagne d’optimisme et d’une croyance que réforme et progrès sont possibles, même après duplessis et diefenbaker – qui balaie le Canada et en viendra bientôt à se refléter dans la victoire de Kennedy aux états-Unis.
Lesage est en faveur de la réforme, non de la révolution, et son cabinet est un mélange de vétérans du parti et de recrues « modernes ».
Lesage peut compter sur les premiers car, après tout, il est issu de leurs rangs. Parmi les deuxièmes, on compte des gens comme rené Lévesque, journaliste et communicateur à radio-Canada, et Paul Gérin-Lajoie, un avocat de droit constitutionnel de renom. Peut-être Lesage s’imagine-t-il 13 • des Temps Bénis, 1945–1963