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rebelles. ses forces régulières et leurs alliés paramilitaires officieux se livrent au pillage et aux incendies, faisant l’illustration de ce qu’entraînera la rébellion et la résistance33. Papineau et certains de ses partisans s’enfuient aux états-Unis tout proches, tandis que d’autres, restés sur place, font face à la mort ou à l’arrestation.
aux états-Unis, on rapporte des soulèvements et des incursions sporadiques de sympathisants rebelles pendant à peu près un an, mais ils sont repoussés. analysant l’ensemble des rébellions et leur répression, l’historien allan Greer en viendra à la conclusion qu’« elles constituent un épisode pénible et douloureux qui eut des effets décisifs et durables34. »
Les rebelles se sont trop documentés sur la révolte de 1830 à Paris, qui a fait tomber l’impopulaire roi bourbon Charles X, ou sur les révolutions en amérique latine, qui ont mis un terme à l’empire espagnol. ils conçoivent et suivent un scénario selon lequel les forces de l’ordre sont mal préparées à la résistance et s’effondrent à leur approche, et non une situation dans laquelle le gouvernement parvient non seulement à rassembler une véritable armée mais aussi à conserver suffisamment de pouvoir pour ordonner l’arrestation des divers dirigeants rebelles et à y procéder.
Bien sûr, Papineau échappe à l’arrestation et, pendant les années qui suivent, on lui en fait constamment le reproche. ses opposants, qui finiront par comprendre beaucoup de ses partisans à l’aube de la rébellion et souvent après cela, ramèneront sans cesse sur le tapis les circonstances de sa fuite en 1837. Pendant les années 1840 et 1850 – car Papineau finira par rentrer au Canada en bénéficiant d’une amnistie – il pourrait causer du trouble, mais il n’est plus le chef de la population canadienne-française.
Ceux qui restent en subissent les conséquences. Certains sont exécutés, d’autres exilés35, d’autres encore arrêtés. Leur sort dépend du moment choisi ou de la chance. Le gouvernement suspend le bref d’habeas corpus en 1837 et ne le rétablit pas avant 1840, de sorte qu’on peut garder ceux qui sont soupçonnés de rébellion en prison indéfiniment sans avoir à les accuser ni à les juger. denis-Benjamin viger, qui a financé la révolution avortée, un homme riche et lui-même un homme politique de tout premier plan, passe deux années en prison, jusqu’en 1840. Pendant son absence, la politique au Bas-Canada prend une tournure totalement différente. dans ce revirement, la politique au Haut-Canada joue un rôle décisif.
LE HAUT-cAnADA
au Haut-Canada, comme dans la province voisine, la politique radicale et le manque de leadership constituent une infusion toxique. si les enjeux auxquels est confrontée la politique haut-canadienne débordent du 160
UnE HIsTOIRE dU Canada
cadre local, ce sont les affaires locales qui lui confèrent toute sa vigueur.
L’esprit de l’époque est au libéralisme et au radicalisme en Grande-Bretagne, aux états-Unis et en europe, ce qui réclame de mettre un terme aux privilèges et aux inégalités. au Haut-Canada, privilèges et inégalités sont incrustés dans la constitution et dans la structure provinciales. selon l’élite haut-canadienne, la hiérarchie et la déférence envers la politique, la société et la religion vont préserver le pouvoir britannique et repousser le républicanisme. Comme le soulignera l’historien Carol Wilton, aux yeux de cette élite, la loyauté et la conformité au système en place vont de soi. Le Haut-Canada a essuyé une attaque dans le passé et devra le faire de nouveau sans le moindre doute. Pour les américains, la division et la discorde sont le signe de la faiblesse des colonies36.
La menace américaine n’est pas uniquement extérieure : on trouve aussi beaucoup de colons d’origine américaine au Haut-Canada. La crainte du républicanisme interne amène le gouvernement et ses partisans à s’efforcer de restreindre les droits politiques des américains pendant les années 1820.
Plutôt que d’éliminer l’opposition, cela a pour effet de la stimuler. au cours de cette période, non seulement l’homme politique d’origine américaine Marshall spring Bidwell est-il élu et réélu à l’assemblée haut-canadienne, mais il en est aussi élu le président.
La question américaine ou « étrangère » n’est qu’un enjeu parmi d’autres. Les différences religieuses jouent elles aussi un rôle important, en raison de la situation privilégiée de l’église anglicane en vertu de l’acte constitutionnel de 1791. Convaincus qu’une religion solide est garante d’une politique avisée, Pitt et Grenville ont opté pour une église établie, bénéficiant du seul avantage que pouvait offrir la province : des terres mises de côté pour soutenir un clergé protestant, ou plutôt le clergé protestant, soit les ministres du culte de l’église anglicane. représentant le septième des terres disponibles du Haut-Canada, les réserves du clergé attendent d’être aménagées et vendues. Cependant, l’aménagement est tributaire du travail d’autres colons sur les lots adjacents en vue de défricher la terre, de construire des chemins et d’implanter des fermes. C’est cela qui augmente la valeur des terres, au bénéfice d’un clergé absent ou distant.
Cela pourrait se produire si la majorité des colons étaient anglicans, membres de l’église officielle ; ce ne sera jamais le cas. Même en angleterre, la plupart des chrétiens de foi protestante ne sont pas anglicans, mais membres de sectes dissidentes : baptistes, congrégationalistes et, depuis tout récemment, méthodistes. aux dix-huitième et dix-neuvième siècles, dans les années 1740, 1770, 1800 et 1820, l’amérique anglophone est balayée par plusieurs vagues de renouveaux religieux. des prédicateurs à cheval, les « itinérants » méthodistes, des américains en général, apportent la Bible et un message de salut individuel dans les régions anglophones 7 • TransformaTions eT relaTions, 1815–1840