ni GUERRE ni pAix

La guerre du roi George démontre clairement aux autorités françaises à Québec que leur empire américain se trouve en équilibre précaire entre la marine britannique et les alliances incertaines qui lient les amérindiens vivant le long de la frontière française au roi Louis plutôt qu’au roi George. La nouvelle-France dépend de l’argent, des fournitures et des troupes que lui envoie la mère patrie et les obtenir en traversant l’océan en temps de guerre exige une marine plus puissante ainsi que le maintien des défenses françaises qui relient par un lien ténu Louisbourg à La nouvelle-Orléans. en ce qui a trait aux alliances, elles reposent sur des marchandises de troc bon marché et en abondance – autrement dit, des subventions en permanence – pour pouvoir livrer concurrence aux marchands britanniques de virginie et de Pennsylvanie. Ce sont là pour l’essentiel des questions financières – mal vues par un gouvernement français peu enclin à envisager de nouvelles et lourdes dépenses. de sorte que les Français décident ce que font la plupart des gouvernements dans des circonstances semblables : ils prennent des demi-mesures mêlées d’espoir et cachées derrière une façade de détermination. Celle-ci prend la forme d’une promotion dynamique des intérêts français à l’encontre des marchands britanniques dans le pays de l’Ohio et de la faible colonisation britannique en nouvelle-écosse. Les troupes ne tardent pas à se mettre en marche, à construire des forts et à mettre en vigueur les revendications territoriales françaises.

C’est un jeu dangereux. Le chef du gouvernement du roi George, le duc de newcastle, ne tarde pas à se plaindre « de la sauvagerie des gouverneurs français en amérique ». Les Français ne peuvent justifier leurs politiques agressives ; quant aux Britanniques, comme le dira newcastle,

« nous ne pouvons les tolérer ».

Ce sont les habitants acadiens de la nouvelle-écosse qui sont les premiers à subir les conséquences de l’agressivité de la politique française. au cours des années 1720 et 1730, alors que la paix perdurait indéfiniment, les colons français avaient vécu en paix avec la minuscule garnison britannique de Port royal. Les Britanniques n’ont pas fait la moindre tentative pour s’établir en nouvelle-écosse et les missionnaires français ont pu garder leur emprise sur les améridiens de l’endroit, les abénaquis, les Mi’kmaq et les Malécites. Ces nations ne sont pas non plus directement menacées par une colonisation britannique ou le prolongement direct du gouvernement britannique.

La guerre vient bouleverser la situation. Les missionnaires français sont aux avant-postes, intimidant les acadiens et encourageant les amérindiens à harceler les Britanniques. La guerre éclate dans les zones 4 • les guerres pour la conquêTe de l’amérique (1) 71

limitrophes acadiennes, bien que les Français ne parviennent pas à prendre la capitale britannique d’annapolis royal, autrefois Port royal. Les acadiens accueillent défavorablement les demandes d’aide des Français et ne les approvisionnent que sous la coercition. Mais ils ne veulent pas non plus se battre aux côtés des Britanniques et, même si c’est mieux que rien, cela irrite certaines autorités britanniques.

La paix en nouvelle-écosse ne vaut donc guère mieux qu’une trêve armée. désireux de renforcer leur pouvoir et de faire pendant à Louisbourg, les Britanniques y amènent trois mille nouveaux colons et investissent 700 000 £ dans une nouvelle base autour du splendide port naturel de Halifax, rebaptisé ainsi en l’honneur du ministre responsable britannique, le comte de Halifax. L’établissement ne prospère pas. Les Français et leurs alliés amérindiens ne cessent de harceler les colons, rendant la colonie aussi dangereuse que primitive et, très vite, sa mauvaise réputation rebute la plupart des colons en puissance. Pas tous cependant : les habitants de la nouvelle-angleterre sont attirés par une colonie maritime très semblable à la leur.

Les acadiens ont prouvé leur capacité à se tailler une existence respectable et confortable dans les marais qui entourent la baie de Fundy.

sur le plan économique à tout le moins, c’est une réalisation exemplaire. sur le plan politique, cependant, les acadiens sont vulnérables. ils se considèrent eux-mêmes comme des sujets britanniques de façon conditionnelle seulement et l’influence du roi de France parvient à leurs villages par l’entremise de ses missionnaires. au cours des années 1730 et au début des années 1740, les Britanniques n’insistent pas : les pouvoirs locaux concèdent même le fait que les acadiens ne sont pas tenus de prendre les armes pour défendre George ii, le monarque britannique. Mais les gouverneurs des années 1750

sont moins à aise avec cette notion que leurs prédécesseurs. À leurs yeux, si les acadiens ne se sentent pas des Britanniques à part entière ou de manière fiable, c’est qu’il y a autre chose ; et s’ils ne sont pas des sujets du roi de Grande-Bretagne, c’est qu’ils appartiennent au roi de France. dans un pays avec une frontière incertaine et sortant juste d’une guerre qui n’a donné aucun résultat, les acadiens représentent une tentation pour les Français et un fardeau pour les Britanniques. il n’en faudrait pas beaucoup pour que les acadiens en reviennent à leur vieille allégeance ; les Britanniques peuvent-ils courir ce risque ?

Les Français se mettent à faire appel à la force militaire pour soutenir leurs revendications territoriales. ils expédient un détachement militaire vers l’isthme de Chignectou, qui relie les provinces actuelles du nouveau-Brunswick et de la nouvelle-écosse, et bâtissent un fort à Beauséjour. Les Britanniques dépêchent eux aussi des soldats, principalement en provenance du Massachusetts, pour construire leur propre fort, Lawrence, ainsi baptisé 72

UnE HIsTOIRE dU Canada

en l’honneur du gouverneur de la nouvelle-écosse. Pendant tout le début des années 1750, les deux garnisons se lancent de noirs regards en attendant une guerre qui leur paraît inéluctable.

Les pouvoirs français déclenchent également des mouvements de troupes au pays de l’Ohio. Leurs actions mettent en évidence les différences entre les colonies britanniques, dispersées, manquant d’unité et sans desseins militaires, et la nouvelle-France, où il est facile de lever rapidement des troupes importantes pour les dépêcher sur de longues distances le long des autoroutes que constituent les voies fluviales de la colonie.

Jusqu’à la fin des années 1740, les Français peuvent compter sur la puissance des iroquois pour maintenir l’équilibre le long de la frontière et servir d’écran entre les colonies britanniques et les territoires revendiqués –

mais non occupés – par la France. Les iroquois – d’abord les Cinq-nations, puis les six-nations à partir des années 1720 – s’occupent de leur propres intérêts : ils acceptent les cadeaux des Britanniques et des Français tout en refusant d’intervenir au profit d’un des deux camps. dans les années 1720 et 1730, les iroquois, leurs tributaires et leurs alliés exercent leur domination sur le pays de l’Ohio. Les nations de la région de l’Ohio et au-delà contribuent au pouvoir iroquois, gonflant jusqu’à plus de dix mille le nombre de guerriers sur lesquels les iroquois peuvent compter (les iroquois eux-mêmes ne sont guère plus de onze cents)16.

L’emprise iroquoise sur l’intérieur des terres se relâche cependant, juste au moment où la pression exercée par le désir d’expansion monte en Pennsylvanie et en virginie. Les iroquois font aux colons ce qu’ils considèrent comme des concessions nominales mais cèdent, ou semblent céder, en réalité, beaucoup plus qu’ils ne le pensent, le droit d’occuper toute la vallée de l’Ohio.

Les colons et spéculateurs fonciers britanniques suivent les marchands britanniques au-delà des appalaches, au grand désarroi des habitants de ces régions, qui ne bénéficient plus de la protection des iroquois. Les colons ne cachent pas leur volonté de voir les amérindiens quitter les terres qu’ils revendiquent. Pour les Français, ces prétentions des colons, combinées à leur attitude envers les amérindiens, représentent une bénédiction sur le plan politique. Les Français affirment aux amérindiens que ce sont les Britanniques qui veulent les déposséder de leurs terres et les en chasser tandis qu’eux-mêmes ne présentent pas ce genre de menace. de leur côté, les Britanniques soutiennent que les Français font obstacle à la concurrence et à la liberté d’échange.

Le fragile empire iroquois ne peut résister à la contradiction entre les intérêts britanniques et français et ceux de ses sujets. au cours des années 1740, la domination iroquoise s’effrite avant de s’effondrer. Les Français se 4 • les guerres pour la conquêTe de l’amérique (1) 73

mettent à intervenir plus vigoureusement dans les affaires autochtones, en exposant tout d’abord leurs revendications territoriales. Puis, en 1753, l’un des « gouverneurs sauvages » de Québec envoie une armée, la plus puissante jamais levée en nouvelle-France jusqu’alors.

trois cents soldats de métier (les troupes de la marine), dix-sept cents membres des milices canadiennes et deux cents amérindiens quittent Montréal pour le pays de l’Ohio. si, à l’échelle européenne, ces chiffres n’ont rien d’impressionnant, pour une colonie dont la population totale s’élève à cinquante-cinq mille âmes, il s’agit d’un effort considérable. Ces hommes sont chargés de construire un chemin sur la brève distance qui sépare le lac érié du cours supérieur de la rivière Ohio et de bâtir des forts le long de cet itinéraire. Le but est de tenir les Britanniques, marchands comme colons, à l’écart et ainsi de renforcer les alliances françaises avec les nations amérindiennes de l’intérieur des terres.

L’expédition est, dans un sens, une réussite. Les soldats construisent le chemin et des forts et renforcent le prestige de la France dans la région.

d’autre part, au moment où l’expédition atteint le portage entre le lac érié et l’Ohio, il ne reste que huit cents soldats en mesure d’accomplir le travail ; au bout du compte, quatre cents des deux mille hommes mourront de maladie, une perte énorme pour une petite colonie17. Parmi les survivants flotte un parfum d’amertume car tout le monde sait que les pouvoirs de Québec, l’intendant François Bigot au premier chef, ont tiré grand profit de la situation en trompant le roi et ses soldats. À mesure que l’armée grossit ses rangs au Québec, grâce à des renforts réguliers venus d’europe, les occasions de profit se multiplient pour l’intendant et ses associés, qui conservent et revendent les fournitures destinées à l’armée. Certes, les soldats renforcent les défenses de la colonie, mais c’est la géographie locale – les distances, les immenses régions sans le moindre chemin, et la maladie – qui demeure le principal dispositif de défense pour la nouvelle-France.

Une histoire du Canada
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