FrANCE

Seine

Marne

Paris

0

50 kilomètres

maladie. Les progrès sur les plans de la médecine, de l’organisation, du transport et du ravitaillement signifient que les blessés ont plus de chance d’être secourus et déplacés et disposent de meilleures méthodes de traitement qu’avant (le taux de mortalité chez les soldats canadiens durant la Grande Guerre est de 114 pour 1 000 ; pendant la deuxième Guerre mondiale, il sera encore plus bas19). s’il est blessé, un soldat sera évacué par l’arrière, vers les postes de secours ou les hôpitaux de campagne. Ceux qui sont grièvement blessés sont envoyés en angleterre (« le bon pays » en argot contemporain – et ces blessures sont de « bonnes blessures ») pour recevoir des soins appropriés et récupérer.

 

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La perfection de la technologie et de l’organisation militaires, le travail efficace du personnel qui transporte 458 000 soldats canadiens de l’autre côté de l’océan, les hommes et les femmes qui les nourrissent, les habillent et les forment, et qui ensuite soignent et évacuent les blessés font en sorte que la guerre puisse se poursuivre.

La guerre dure pendant plus de quatre ans. La bataille décisive imaginée par les généraux commandants n’a jamais lieu. Chaque année, les généraux présentent leurs plans aux politiciens. il revient à ces derniers de trouver les hommes et le ravitaillement ainsi que l’argent servant à les payer, pour finalement s’apercevoir qu’il n’y en a jamais assez et que les promesses des généraux s’évanouissent dans la boue des tranchées.

Les politiciens blâment les généraux pour leurs échecs, qui sont réels, tandis que les généraux blâment les politiciens pour leurs faiblesses, qui sont en partie imaginaires. ils ne blâment pas les politiciens pour leur véritable échec, qui a été d’établir des objectifs militaires qui ne peuvent pas être négociés mais seulement imposés par le bais de la victoire ou acceptés par la défaite. Parfois, les politiciens ont le courage de congédier un ou deux généraux mais ce n’est pas une tâche facile parce que les commandants militaires sont devenus des figures iconiques, des symboles d’espoir, de compétence et de bravoure. il n’y a que deux commandants du CeB, sir John French et sir douglas Haig. Haig, qui commande les armées de l’empire britannique en France de 1915 à 1919, dirige la désastreuse bataille de la somme en 1916, l’aussi désastreuse offensive des Flandres en 1917 et la quasi-défaite de l’armée britannique à amiens en 1918. sa gestion de la guerre se mesure en millions de morts et de blessés chez les Britanniques, y compris plus de 200 000 Canadiens (56 000 morts, 150 000 blessés).

irrités par les actions de généraux, les politiciens n’ont rien de mieux à offrir. après tout, ce sont eux qui établissent les objectifs militaires et l’incompatibilité absolue des objectifs des belligérants est ce qui détermine la durée de la guerre. Les alliés – la Grande-Bretagne, la France et l’empire russe – conviennent au début de ne pas signer de paix séparée et, remarquablement, tiennent leur promesse. ils prétendent se battre pour la justice et la primauté du droit ; en pratique, ils se battent afin d’empêcher l’hégémonie allemande en europe. Bien que les alliés n’en connaissent pas les détails, il s’agit effectivement de l’objectif des allemands.

Comme la guerre se révèle beaucoup plus chère sur le plan du patrimoine et des vies que ce à quoi les combattants s’attendaient, il devient nécessaire de faire appel aux valeurs transcendantales du sacrifice de la population civile. Les fruits de la victoire s’accumulent tandis que les périls de la défaite augmentent. Les propagandistes ne laissent pas à l’imagination la vilenie de l’ennemi, ils la cultivent. Les Canadiens apprennent, par le 11 • Briser le moule, 1914–1930

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biais des journaux et de la propagande officielle, que les allemands (appelés les Huns en relation avec les barbares d’autrefois) traversent la Belgique et la France en se livrant au pillage et au viol. Les affiches de guerre illustrent la barbarie bestiale des soldats allemands ; les politiciens et les publicistes déclament le message sur la scène publique tandis que, dans les églises, les ministres du culte et les prêtres l’amplifient. au fil des mois et des années, en raison du ton perçant de la rhétorique, il est de plus en plus difficile d’arriver à une paix de compromis et effectivement, elle n’a pas lieu. La guerre devra être gagnée ou perdue sur le champ de bataille et au front intérieur, non grâce à la diplomatie.

Le front intérieur peut constituer un point faible. en russie, un gouvernement faible et un régime politique chaotique, combinés à la perturbation de l’économie et à la défaite militaire, minent les bases du régime impérial. en mars 1917, l’empereur russe est renversé et remplacé par une alliance précaire de politiciens bourgeois et de militants travaillistes.

ils sont à leur tour renversés en novembre par la faction bolchevique radicale du Parti socialiste démocratique russe sous vladimir ilitch Lénine, qui se proclame représentant des travailleurs et des paysans. en mars 1918, Lénine et les bolcheviques retirent la russie de la guerre, acceptant toutes les conditions des allemands. Ces derniers exigent des conditions sévères et, par le fait même, montrent au reste du monde ce à quoi ressemblerait une paix dictée par les allemands. Cependant, les russes et les bolcheviques ont prouvé qu’il est possible de mettre un terme à la guerre et d’y survivre et, dans le contexte de 1917-1918, leur exemple est contagieux.

AcciDEnT ET pRécéDEnT :

LE cAnADA ET L’EmpiRE BRiTAnniqUE

avant 1914, le Canada n’a pas, et ne peut pas avoir, de politique étrangère. en tant que colonie de l’empire britannique, il jouit d’une autonomie interne, y compris la capacité de légiférer sur ses propres taxes, notamment les tarifs. il applique sa propre politique commerciale étrangère, en tant que prolongement de cette autonomie tarifaire, négociant et appliquant des accords commerciaux (toujours signés par une autorité britannique) avec divers pays, notamment la France et les états-Unis. Mais pour ce qui est de la politique de défense et des autres aspects de la politique étrangère, le Canada accepte ce que la Grande-Bretagne choisit de faire. si l’occasion est assez importante, comme dans le cas de la guerre des Boers et de la Grande Guerre, le Canada est tenu de participer. aucun représentant canadien n’est présent lorsque le cabinet britannique décide d’entrer 278

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en guerre en août 1914, ni lorsque les ministres britanniques reçoivent des renseignements au sujet de la guerre ou décident d’une politique de guerre.

Les ministres britanniques relèvent de l’électorat britannique et non de l’électorat canadien. Leurs décisions concernent le Canada et, sur le plan juridique, ils représentent le Canada en matière d’affaires étrangères mais ils n’ont pas à diriger la politique canadienne ni à répondre aux conséquences locales des décisions impériales. Ces tâches reviennent à Borden et au cabinet canadien. Borden, qui se trouve à six mille quatre cents kilomètres du siège de l’empire et de la guerre, a ses propres priorités malgré le fait que, pendant l’été et l’automne 1914, les obligations impériales ont pris le relais.

Jusqu’en 1914, les obligations impériales n’ont jamais imposé de tensions ni de coûts importants au Canada. elles le font maintenant et les relations entre la colonie et l’empire prennent la même tournure qu’en 1830.

si la colonie paie en espèces et en nature et que ses ministres assument le risque politique de fournir des hommes et de l’argent sur une base continue et apparemment indéfinie, le gouvernement impérial et sa colonie doivent se consulter et établir la responsabilité.

Le problème réside dans le fait qu’il n’y a pas d’institution, aucune organisation au sein de laquelle la représentation et la responsabilité peuvent être réunies. il y a les vieux problèmes de communication et de distance, sans compter la force de l’habitude, les ministres britanniques n’étant pas habitués de prendre des décisions de concert avec leurs homologues coloniaux. Certains membres du gouvernement britannique se demandent tout haut si, au lieu de partager le pouvoir souverain de la Grande-Bretagne, il ne serait pas plus facile de régler le problème en concédant l’indépendance au Canada et à l’australie20.

Borden se rend en Grande-Bretagne à l’été 1915. au lieu d’y trouver de la détermination et des décisions, il se heurte à l’hésitation, à la confusion et à la désunion. La contribution du Canada – jusqu’ici, plusieurs divisions de combattants – est appréciée mais personne ne peut dire au premier ministre canadien si la guerre sera victorieuse et de quelle manière y parvenir. À son retour au Canada, Borden s’aperçoit que les journaux sont encore une fois sa principale source d’information. irrité, il rédige une lettre en janvier 1916

dans laquelle il compare la position des dominions à un « jouet automate ». il demande : « Cette guerre est-elle menée seulement par le royaume-Uni ou est-ce une guerre menée par l’ensemble de l’empire21 ? »

il n’existe pas de réponse satisfaisante. La politique britannique est instable et les politiciens britanniques sont distraits. entre-temps, Borden connaît ses propres problèmes. au Canada, le recrutement diminue en 11 • Briser le moule, 1914–1930

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1916, la controverse entourant les écoles ontariennes atteint de nouveaux niveaux d’âpreté et des scandales concernant la distribution des contrats de guerre frappent le gouvernement. dans ce contexte, Borden n’est pas en position de faire pression pour une représentation plus importante du dominion dans la formulation de la politique de guerre.

Quand elle arrive, la réponse résulte d’un changement politique en Grande-Bretagne et non au Canada. david Lloyd George, un ministre libéral influent du gouvernement britannique et depuis peu ministre des Munitions, destitue son prédécesseur, le libéral H. H. asquith, en décembre 1916. Lloyd George reconnaît depuis un certain temps l’importance des dominions pour l’effort de guerre britannique, sur les plans militaire et économique. Politicien très terre-à-terre embrassant de nouveaux courants de pensée, Lloyd George conçoit sans problème que les dominions puissent être inclus dans la politique britannique. il demande rapidement à leurs chefs, y compris Borden, de venir à Londres afin de discuter de la stratégie de la guerre. Pour diriger les représentants des dominions, Lloyd George crée un cabinet impérial de guerre – essentiellement, le cabinet impérial de guerre existant composé des ministres les plus importants, ainsi que les représentants des dominions22.

Borden arrive à Londres en février 1917, à temps pour être témoin de la réaction britannique face à la révolution russe et à l’entrée en guerre des états-Unis, en avril (bien qu’il affirme le contraire, Borden n’en connaît pas beaucoup plus que ses collègues britanniques sur la politique américaine ou sur le président américain, Woodrow Wilson). La principale question soumise aux ministres impériaux est l’autorisation d’une nouvelle offensive en France, dirigée par le feld-maréchal Haig, nommé depuis peu à ce poste. Haig est optimiste et le cabinet impérial de guerre lui donne ce qu’il veut. Les ministres discutent également des effectifs qui commencent à manquer en Grande-Bretagne et dans les colonies. Borden est déjà au courant de cette situation en raison de ses propres expériences – les efforts dans le but de recruter plus de volontaires pour l’armée en France ont échoué lamentablement et l’enregistrement d’hommes d’âge militaire n’a pas réussi à stimuler la ruée sous les drapeaux. Par conséquent, il n’y a pas suffisamment de remplaçants pour l’armée.

Borden profite de son voyage à Londres pour rendre visite aux troupes canadiennes en France – qui consistent maintenant en quatre divisions organisées au sein du « Corps canadien », dirigé avec efficience par un officier canadien, le général arthur Currie, et qui a récemment connu une victoire lors d’une grande bataille, quoique d’envergure limitée, sur la crête de vimy. Borden est particulièrement touché par ses visites dans les hôpitaux militaires et il revient avec la ferme conviction que, pour tenir ses promesses envers les soldats au front, il doit envoyer des renforts.

 

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de retour au pays en mai 1917, Borden annonce à son cabinet qu’il doit contraindre les hommes à rejoindre les rangs par le biais de la conscription. il sait qu’une telle mesure sera controversée, en particulier parce que les chiffres relatifs au recrutement montrent que le nombre de Canadiens français s’étant portés volontaires est loin de refléter leur proportion de la population. en conséquence, Borden essaie de rallier sir Wilfrid Laurier à sa cause, lui offrant ainsi qu’à ses libéraux la moitié de la représentation au sein du cabinet et n’importe quel siège, à l’exception de celui de premier ministre.

Le refus de Laurier est probablement sa décision politique la plus importante. Les allégeances partisanes sont profondément ancrées chez lui, tout comme une vieille aversion libérale à l’égard de la conscription et de la compulsion, qui ne se limite pas au Canada ni aux libéraux canadiens.

Laurier craint les conséquences au Québec. s’il se joint à un gouvernement de coalition ou d’union, il abandonnera le Québec à Henri Bourassa et aux nationalistes. il ne le fera pas et demande à ses partisans de suivre son exemple.

de nombreux chefs anglophones du Parti libéral préféreraient accepter l’offre de Borden mais ils ont un problème. Le ban et l’arrièreban du parti sont réticents à faire cavalier seul, même au Canada anglais.

en Ontario et dans l’Ouest, un grand nombre de libéraux, qui sont de nouveaux immigrants, ne se sentent pas concernés par les appels à la race britannique et au patriotisme. Beaucoup sont des agriculteurs et ce groupe de la population résiste à l’enrôlement volontaire, tout comme les libéraux traditionnels dans les provinces maritimes.

Borden n’offre pas qu’une simple politique nécessaire, mais une sécurité politique, ce qu’il fait par le biais de la Loi des élections en temps de guerre, qui prive du droit de vote tout citoyen ayant immigré au Canada en provenance d’un pays ennemi – majoritairement l’autriche-Hongrie

– après 1902. Les objecteurs de conscience doukhobors et mennonites perdent également leur droit de vote. La loi crée de nouveaux électeurs

– les épouses, les sœurs et les filles des militaires. Une autre loi permet aux électeurs militaires, qui voteront probablement en conséquence, d’exprimer leur suffrage dans la circonscription de leur choix. enfin, en août 1917, le projet de loi imposant la conscription est adopté, améliorant d’emblée les perspectives électorales du gouvernement, tout comme la promesse de Borden d’exempter les agriculteurs de la conscription. Les agriculteurs et les autres électeurs à l’extérieur du Québec ont également l’impression que les renforts nécessaires seront recrutés dans cette province23. Le vote rural non québécois se montre subitement plus favorable aux conservateurs et à toute personne se présentant sous la bannière de Borden.

 

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La date des élections est fixée en décembre 1917. Comme il l’a espéré, Borden rassemble ses libéraux dissidents, renforçant le gouvernement en Ontario et dans l’Ouest. À des fins partisanes, les questions sont simplifiées.

Un journal de la saskatchewan demande : « do we want German rule24 ? »

(voulons-nous un gouvernement allemand ?). dans ce cas, votez pour Laurier ; sinon, votez pour Borden. Laurier se trouve à diriger un parti canadien-français comptant peu de fidèles. Les candidats canadiens-anglais qui se présentent sous la bannière de Laurier savent qu’ils sont pour la plupart voués à la défaite – des hommes comme Mackenzie King, l’ancien ministre du travail. King hésite mais prend finalement, ou on lui impose de prendre, la bonne décision. il perdra en 1917 mais cette défaite atteste de sa fidélité à Laurier et à la cause du compromis anglais-français au Canada.

Borden remporte une majorité de sièges ainsi que la conscription.

ses partisans l’emportent dans une campagne qui n’est pas loin de prôner la haine raciale, ce qui ne passe pas inaperçu au Québec. Comme en 1911, Borden n’est pas très difficile quant à la méthode utilisée pour gagner – un cas classique de fin justifiant les moyens. À court terme, c’est ce qui se produit, mais la politique n’est pas seulement menée pour le présent, elle est aussi influencée par le souvenir. On rappellera à maintes reprises les élections de 1917 au cours des vingt prochaines années au Québec, avec des résultats dramatiques pour le Parti conservateur.

Quelques rares renforts rejoignent l’armée en France, y compris certains conscrits du Québec. Borden a atteint son objectif en partie mais à un coût élevé sur le plan de la politique. en réalité, c’est Laurier qui remporte la bataille, à défaut de l’élection, quoiqu’il s’agisse sans aucun doute d’une confrontation qu’il aurait mieux aimé éviter. en tant que chef libéral, il se sent abandonné et trahi par certains de ses anciens associés. Par contre, au Québec, c’est Laurier qui obtient satisfaction, et non pas Bourassa. Ce dernier n’intervient pas. au Québec, l’opposition à Borden et à sa politique demeure dans les mains des libéraux, qui constituent typiquement le parti de l’ establishment. Même Bourassa, qui n’est pas séparatiste et ne le sera jamais, ne prône pas le départ du Québec de la fédération canadienne25.

On assiste évidemment à des refus de se soumettre à la conscription et à d’autres formes de résistance. À Québec, des troupes de l’Ontario font feu sur des émeutiers mais l’émeute se calme au lieu de s’étendre.

au printemps 1918, la résistance au Québec est le dernier des soucis de Borden. en mars, l’armée allemande prend d’assaut les lignes britanniques en France et réussit presque à faire une percée. devant faire face à la possibilité d’une défaite militaire imminente, Borden rompt sa promesse électorale et applique la conscription aux fils d’agriculteurs26.

 

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Borden se rend également à Londres au printemps 1918 pour une autre ronde du cabinet impérial de guerre ; il y restera jusqu’en août. Les ministres réunis sont sceptiques, voire désespérés. il est clair que la guerre doit se poursuivre ; la question qui se pose est de savoir comment. La réponse, comme toujours, consiste en une augmentation sur tous les plans

– des renforts, du ravitaillement, des taxes – ce qui est quand même moins démoralisant que ça aurait pu l’être, puisque sur le plan de l’économie, le gouvernement canadien se porte beaucoup mieux que prévu.

Bien que les résultats de la conscription de Borden soient décevants, on ne peut en dire autant de sa mobilisation industrielle. Une fois qu’on retire à sam Hughes la responsabilité des munitions, la production de guerre connaît une forte expansion. au Canada, la responsabilité de la fabrication des armements est transférée du gouvernement canadien au gouvernement britannique. sous la direction d’un homme d’affaires de toronto, sir Joseph Flavelle, la production globale monte en flèche en 1918 ; cette même année, on estime que 25 pour cent des obus tirés sur le front occidental proviennent du Canada.

Fait encore plus surprenant, l’argent servant à la production de guerre vient du Canada. Le gouvernement Borden a commencé la guerre en empruntant à Londres, puis à new York. On a augmenté les impôts et, ultérieurement, établi un léger impôt sur le revenu27. Le gouvernement fédéral a hésité à le faire puisqu’il s’agit d’une incursion dans les secteurs d’imposition réservés auparavant aux provinces et aux municipalités.

Cependant, la grande partie de l’argent provient de la vente d’obligations de la victoire au Canada – les emprunts de la victoire de 1917, 1918 et 1919, qui sont achetés par des millions de citoyens rapportent des milliards de dollars 28.

Par conséquent, en 1918, Borden parle au nom d’un Canada plus fort et moins dépendant. On peut même prétendre – avec raison – que la dépendance se situe maintenant du côté des Britanniques, qui utilisent les obligations canadiennes pour les armements impériaux, se servent d’armes fabriquées au Canada, se nourrissent d’aliments canadiens et ont recours aux militaires des dominions (en majorité des Canadiens et des australiens) pour les troupes d’assaut du CeB. au premier ministre britannique Lloyd George, Borden fait rapport de généraux britanniques incompétents, de personnel inefficient et de tactiques incontrôlées. avec Lloyd George et les autres premiers ministres des dominions, il rencontre des candidats afin de remplacer le feld-maréchal Haig en tant que commandant du CeB, en prévision du prochain échec de Haig.

ironie du sort, en août 1918, Haig est victorieux. Quatre années de guerre ont affaibli l’armée allemande et même les renforts de l’ancien 11 • Briser le moule, 1914–1930

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front oriental ne sont pas suffisants. Les troupes canadiennes effectuent la percée à amiens, en France, et dirigent l’avancée britannique en Belgique.

Pour la première fois en trois ans, les soldats canadiens passent du paysage cauchemardesque des cratères et des tranchées à celui des champs et des forêts intactes. avec l’arrivée de centaines de milliers de soldats américains, l’armée allemande s’effondre et son haut commandement demande l’arrêt immédiat des combats. tandis que des émissaires allemands vont à la rencontre du commandant en chef allié, le maréchal français Ferdinand Foch, Guillaume ii prend la fuite et les socialistes s’emparent de Berlin.

À onze heures le onze novembre 1918, les combats cessent. À ce moment, les troupes canadiennes ont atteint la ville de Mons en Belgique ; à la suite d’une légère escarmouche, quelques Canadiens sont tués juste avant que ne cessent les combats (un Canadien de la saskatchewan est le dernier allié tué, à 10 h 58). Les allemands et les alliés signent un armistice, un cessez-le-feu, mais ne signent pas de traité de paix. La paix ne sera conclue que quelques mois plus tard, après la tenue d’une conférence à Paris.

LES RéSULTATS DE LA GUERRE

La Grande Guerre semble avoir renforcé l’empire britannique. La menace navale allemande n’existe plus. Les cartes du monde sont encerclées du rouge britannique : en 1919, les forces de l’empire britannique occupent plus du quart de la masse terrestre. Les troupes britanniques patrouillent Constantinople, la capitale turque ; Bagdad et Jérusalem se trouvent sous occupation britannique ; des troupes canadiennes sont postées à vladivostok et à Mourmansk, dans le cadre de l’intervention de la Grande-Bretagne contre le gouvernement bolchevique de russie.

Les chefs des alliés et leur « puissance associée », les états-Unis, se réunissent à Paris afin de fixer les conditions de la paix, que les allemands seront dans l’obligation d’accepter. sir robert Borden participe à la Conférence de paix de Paris en tant que membre de la délégation de l’empire britannique mais également à titre de premier ministre canadien.

Le Canada occupe sa propre place à Paris ; Borden l’a exigé et Lloyd George obtient de ses alliés qu’ils acceptent la disposition. Borden soutient que les sacrifices du Canada pendant la guerre nécessitent de la reconnaissance, soulignant que le Canada est maintenant une grande puissance sur le plan de ses réalisations militaires et de son importance économique.

Borden n’arrive pas à Paris avec un plan parachevé d’indépendance pour le Canada. L’idée d’indépendance l’aurait horrifié. en fait, il souhaite un condominium de l’empire britannique au sein duquel il y a partage des 284

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responsabilités entre les dominions et le gouvernement britannique. en 1917, Borden et le général sud-africain smuts ont persuadé les membres d’une Conférence impériale de reconnaître les gouvernements autonomes de l’empire, renonçant à toute revendication de supériorité ou de supervision britannique. ils attendent la fin de la guerre pour effectuer une révision complète des ententes constitutionnelles et, entre-temps, la position juridique demeure ce qu’elle a toujours été, c’est-à-dire que l’autorité absolue demeure aux mains du Parlement britannique et du gouvernement britannique en place.

Cela ne cause aucun souci à Lloyd George. La coopération avec les premiers ministres des dominions lui a apporté ce qu’il voulait et ce dont il avait besoin – un avantage sur les politiciens conservateurs qui, autrement, auraient dominé son gouvernement. si Lloyd George parle au nom de l’empire de l’autre côté de l’océan, les synapses impériales des premiers ministres produisent des ondes électriques à coup sûr. en réalité, il pense peut-être qu’il n’est pas logique d’essayer de retarder un développement constitutionnel inévitable.

Borden éprouve des réserves quant aux conclusions de la Conférence de paix de Paris. sa réalisation principale, une société des nations destinée à assurer le respect de la paix perpétuelle, offense son sens pratique. si la définition de la paix consiste en le règlement de 1919 et la perpétuation du régime international tel qu’il existe à ce moment, Borden entretient des doutes. Cependant, la société des nations est le projet particulier du président américain, Woodrow Wilson, et Borden n’est pas celui qui lui fera obstacle. Le Canada a besoin de l’assentiment de Wilson en ce qui concerne sa nouvelle position internationale, et il l’obtient. en raison de sa présence à la Conférence de paix de Paris et de sa signature sur le traité final (le traité de versailles), le Canada devient un membre fondateur de la société des nations à titre individuel et non simplement en tant que membre de l’empire britannique.

Borden repart pour le Canada avant la signature du traité. il y a des problèmes au pays. « Bolshevism invades Canada » (le bolchevisme envahit le Canada) annonce le New York Times à ses lecteurs et les ministres de Borden semblent être du même avis. Le monde est balayé par une vague de radicalisme à la fin de la guerre et le Canada n’y échappe pas. Partout, la révolution russe de 1917 inspire les radicaux et les socialistes, qui prennent la saisie du pouvoir de Lénine comme modèle d’avenir – du proche avenir.

Lénine croit que seule la terreur maîtrisera la bourgeoisie, et la terreur devient la signature du pouvoir communiste.

au Canada, les radicaux sont extatiques. La bourgeoisie canadienne, y compris Borden et son gouvernement, sont inquiets. Borden retire les 11 • Briser le moule, 1914–1930

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troupes canadiennes de sibérie29 mais ses collègues et lui sont déterminés à supprimer le bolchevisme au pays. Le gouvernement entre en confrontation avec des révolutionnaires en puissance à Winnipeg, dans le cadre d’une grève générale en mai 1919. démonstration saisissante du pouvoir des travailleurs, la grève est destinée à intimider l’opposition. elle va peut-

être jusqu’à se substituer aux pouvoirs existants en ne permettant que les activités autorisées par le comité de grève. toute cette activité est renforcée par des rafales de discours révolutionnaires.

il y a de bonnes raisons de croire que les grévistes n’ont pas l’intention de renverser l’autorité constituée et que leurs objectifs sont d’abord économiques et relativement modestes. Par contre, il faut tenir compte des accidents, sans parler des précédents. Personne n’oublie que des centaines de milliers de soldats reviennent au pays d’ici quelques mois et qu’en russie, les soldats démobilisés ont été un des facteurs décisifs de la révolution de Lénine. Les autorités réagissent fermement. elles arrêtent les chefs de file de la grève et la Police à cheval du nord-Ouest affronte les grévistes. des coups de feu sont tirés, deux manifestants sont tués, trente sont blessés et la foule se disperse. en quelques jours, voire quelques heures, la grève prend fin.

La grève générale de Winnipeg n’est qu’une des nombreuses grèves déclenchées pendant les dernières années de la Grande Guerre. sans le vouloir, le gouvernement Borden préside un boom économique – plein emploi, pleine production, rareté de l’approvisionnement et hausse des salaires et des prix. Cependant, les prix augmentent plus rapidement que les salaires, à un point tel qu’après 1916, le pouvoir d’achat des travailleurs canadiens perd du terrain de façon constante. il n’est pas surprenant que les syndicats prennent de l’ampleur et que les grèves se multiplient.

La main-d’œuvre change également. L’emploi des femmes a augmenté même avant la guerre, certaines professions comme l’enseignement, le secrétariat et les services de sténographie sont exercées en majorité par des femmes et la tendance se maintient. Les pénuries de main-d’œuvre causées par le départ des hommes pendant la Grande Guerre ont stimulé l’embauche de femmes mais, à la fin de la guerre, la majorité des emplois reviennent aux hommes.

Le plus grand changement se produit sur le plan politique. Les femmes revendiquent le droit de vote depuis des années, établissant un lien entre le suffrage féminin et l’impartialité politique et la réforme. Le Manitoba et la saskatchewan sont les premiers à céder, suivis de Borden.

Le gouvernement Borden inscrit d’abord certaines classes d’électrices pour les élections de 1917 mais l’année suivante, accorde le suffrage fédéral à toutes les femmes de plus de 21 ans, comme les hommes. toutes les autres 286

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provinces suivent, à l’exception du Québec. Le Québec, comme la France et la suisse, conserve à des fins provinciales un droit de suffrage réservé aux hommes. Cette « institution particulière » prévaudra jusqu’à la prochaine grande guerre.

La politique connaît un autre changement. sir Wilfrid Laurier meurt en février 1919 et le Parti libéral tient un congrès en août afin de le remplacer. dans les dernières années de sa vie, Laurier a été un symbole de division pour les libéraux. Mort, on peut l’honorer en tant que symbole de gloire passée et en tant qu’exemple à suivre pour les aspirations futures du libéralisme. son successeur, Mackenzie King (qui a 44 ans), l’emporte sur des candidats plus âgés en raison de la loyauté qu’il a manifestée au vu de tous envers Laurier en 1917. de nombreux dissidents libéraux reviennent au parti en 1919 ou, comme t. a. Crerar, le ministre de l’agriculture de Borden, quittent le « gouvernement d’union » de Borden pour l’opposition.

Cette situation se produit en particulier chez les agriculteurs ou chez les députés qui sont exploitants agricoles. Les agriculteurs, comme les radicaux travaillistes, réclament la reconnaissance et l’application des intérêts propres à leur classe. il existe certainement une analogie ; toutefois la ressemblance s’arrête là. des gouvernements des « fermiers unis » sont formés en alberta, au Manitoba et en Ontario, habituellement aux dépens des libéraux qui, jusqu’à présent, ont récolté les votes des agriculteurs. À Ottawa, les représentants des agriculteurs s’unissent en tant que « progressistes », déterminés à mettre en application un programme qui les favorise30. Cela signifie des tarifs moins élevés, en particulier sur l’équipement agricole, et d’autres concessions au milieu agricole. Cela ne signifie certainement pas une politique travailliste ou toute autre mesure qui risque d’inhiber la pratique libre de l’agriculture, comme la pasteurisation du lait seulement sous prétexte que cela peut prévenir la propagation de la tuberculose bovine.

Borden se retire avant que le souffle du mouvement agricole ait des répercussions sur la politique. en juillet 1920, son successeur est le talentueux et mordant ministre de l’intérieur, arthur Meighen. il est facile d’admirer sa compétence administrative, facile de craindre son intelligence et son habileté, et difficile de l’aimer. il ne correspond pas au chef politique habituel puisqu’il croit, malgré toutes les manifestations politiques actuelles, que l’ancienne politique qui a formé et mené le Canada depuis 1870 est en fait la meilleure politique. Meighen préconise les tarifs élevés et quelqu’un manifestant le moindre doute à cet égard ne trouvera pas sa place dans son parti. « J’ai été impressionné par son éloquence, mais dégoûté par sa politique », écrit un jeune conservateur, juste avant de devenir libéral31.

 

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Comme cela se produit souvent en politique, Meighen hérite du ressentiment éprouvé à l’égard de son prédécesseur. Beaucoup ont été offensés par les efforts de Borden en vue de réformer la politique traditionnelle. Le favoritisme, l’élixir de vie des partis politiques canadiens, a pratiquement été aboli et les politiciens n’ont pas eu le temps de lui trouver un substitut. Pour beaucoup, le mariage qu’ont vécu les libéraux et les conservateurs en temps de guerre n’est pas une union naturelle et le temps manque pour susciter de la loyauté envers le gouvernement hybride de Meighen. Le souvenir de la conscription est encore frais à l’esprit des Canadiens français et des agriculteurs, qui vouent pratiquement à l’échec les candidats au gouvernement avant qu’ils ne puissent placer un mot.

Finalement, Meighen laisse son jugement être emporté par ses préjugés. il déteste Mackenzie King, qu’il a connu à l’université, depuis de nombreuses années. il ne peut pas croire que l’électorat prendra King au sérieux, alors qu’il n’a aucune structure. ainsi, les résultats des élections sont d’autant plus surprenants pour Meighen qui, pendant des semaines, reste assis dans son bureau, abasourdi, jusqu’à ce que son entourage le pousse à démissionner.

il a gagné seulement 50 des 235 sièges de la Chambre des communes, tandis que King en a obtenu 116. avec l’aide de 64 progressistes, sans oublier cinq indépendants, King est assuré d’une majorité fonctionnelle.

LA pOLiTiqUE ET L’écOnOmiE DAnS LES AnnéES 1920

Mackenzie King possède un attribut politique particulièrement utile : la chance. Le Canada a connu une récession économique brutale en 1920-1921. Le chômage et la pauvreté ont contribué à la défaite de Meighen ; une lente reprise aiderait ses perspectives politiques.

À de nombreux égards, King est un progressiste à la manière américaine ou britannique avec tout ce que cela suppose et favorise la responsabilité de l’état en matière de politique sociale et économique.

Pourtant, une des caractéristiques dominantes de la politique de King est une aversion profonde à l’égard du déficit et de la dette. en 1921, la dette du Canada est de 3,018 milliards de dollars, comparativement à 750 millions de dollars en 1914. Ce n’est pas King le réformateur, mais bien King le conservateur qui en ronge les bords au cours des années 1920. Les premiers cabinets de King, composés en grande partie de politiciens plus âgés et avec plus d’expérience que lui, approuvent une politique qui, plutôt que d’accepter de nouvelles occasions risquées en matière de dépenses, rembourse la dette nationale. ainsi, en pourcentage du produit national brut, la dette fédérale diminue, mais non en chiffres absolus. évidemment, ses collègues comprennent que King doit diminuer les impôts – les tarifs 288

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sur la machinerie agricole, par exemple – afin de pouvoir s’attirer l’appui des progressistes. en conséquence, la plupart du temps, les progressistes soutiennent les libéraux. avec le temps, il devient de plus en plus difficile de différencier certains progressistes des libéraux ; n’ayant jamais mis l’accent sur la discipline de parti, les progressistes ne s’entendent pas et le parti se fracture. À l’arrière plan, King aide discrètement les ministres les plus anciens à démissionner et recrute des libéraux provinciaux influents pour prendre leur place32.

Plus tard, King laissera le souvenir d’un maître de la politique mais ce n’est pas l’impression qu’il crée dans les années 1920. en 1925, son parti évite de justesse une défaite aux mains d’arthur Meighen et des conservateurs, qui reviennent en force mais, au sein d’un Parlement minoritaire, King parvient à subsister avec l’appui des progressistes et de quelques députés travaillistes. il gagne les premiers votes de confiance au Parlement, en observateur puisqu’il a perdu dans sa propre circonscription, et doit attendre que ses alliés de la saskatchewan lui offrent un siège sûr. À

ce moment précis, un scandale éclate au ministère des douanes et accises et les révélations s’avèrent trop compromettantes pour les partis secondaires.

ils laissent tomber King, qui se hâte de demander au gouverneur général Lord Byng de dissoudre le Parlement.

Lord Byng refuse, sans vraiment comprendre ce qu’il fait. King démissionne et Byng demande à Meighen de former un gouvernement.

Le problème sur le plan politique réside dans le fait que, bien que les progressistes et les députés travaillistes aient pu être prêts à voter contre King, ils ne sont pas disposés à voter pour Meighen33. Par conséquent, Meighen est défait à la Chambre des communes et, à sa demande, Byng accepte de dissoudre le Parlement.

King n’hésite pas à saisir la chance de sa vie. La question des élections est simplifiée du fait que Byng a accordé à Meighen la dissolution qu’il avait refusée à King. L’affrontement, qui met en jeu le Peuple et les Pairs, s’avère des plus inégal. King, qui représente le Peuple, gagne et Meighen, qui porte le chapeau des Pairs, subit la défaite. Byng ne tarde pas à partir et Meighen à quitter la direction du Parti conservateur.

en 1927, Mackenzie King préside le jubilé de diamant de la Confédération (le cinquantième anniversaire tombait en réalité en 1917 mais l’année n’a pas été jugée propice à la célébration). tout le monde est présent, du moins ceux qui comptent. albert-édouard, le fascinant Prince de Galles, vient de la Grande-Bretagne et peut ensuite se rendre à son ranch en alberta.

Le premier ministre stanley Baldwin est également présent ; il s’agit de la première fois qu’un premier ministre au pouvoir visite le Canada, surnommé

« la Grande-Bretagne de l’Ouest » par un poète canadien enthousiaste. Les 11 • Briser le moule, 1914–1930

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chorales chantent, les canons tonnent, les fanfares jouent et, d’un océan à l’autre, la radio transmet cette effervescence. Mackenzie King, qui prévoit 250 000 dollars pour l’événement, un montant très élevé, aide à préparer la cérémonie, y introduisant sa touche presbytérienne (à la surprise de King, les catholiques sont offensés par la brochure des célébrations).

DipLOmATiE inTéRiEURE ET ExTéRiEURE

de profession, King est médiateur des relations de travail. La conciliation est naturelle pour lui, tout comme le compromis et les demi-mesures. « ne fais pas à moitié ce qui peut être fait au quart » écrit un poète canadien à propos du premier ministre. il s’agit d’un jugement perspicace avec lequel King peut même avoir été d’accord. il considérerait que des quarts de mesure contribuent à son succès en augmentant le niveau minimum de satisfaction pour la quantité maximum d’intérêts d’un bout à l’autre de son pays très diversifié.

sa tâche la plus importante consiste à trouver des moyens de se concilier le Canada français, en particulier le Québec où vivent 90 pour cent des Canadiens français qui, pour leur part, forment 80 pour cent de la population de cette province. il rêve souvent de sir Wilfrid Laurier, qui lui reproche périodiquement de ne pas apprendre le français. King choisit la deuxième meilleure option : il s’adjoint dès le début un lieutenant québécois influent possédant les aptitudes requises, ernest Lapointe. Lapointe fait le pont entre l’allégeance catholique des Québécois français et le libéralisme – suffisamment catholique pour satisfaire la majorité du clergé et assez libéral pour marcher de pair avec les courants politiques actuels.

assurément, en ce qui concerne la plupart des questions, Lapointe est plus libéral que Louis-alexandre taschereau, le premier ministre libéral du Québec, d’esprit très conservateur. Lapointe possède un caractère politique plus pertinent et plus naturel que taschereau, dernier représentant d’une dynastie provinciale libérale d’abord élu en 1897 puis premier ministre de 1920 à 1936. au Québec, les jeunes libéraux possédant la fibre sociale se tournent d’abord vers lui, puis vers Mackenzie King. Le mot d’ordre est : « rouge à Québec, rouge à Ottawa ». Forts, les libéraux ont l’avantage supplémentaire d’une opposition conservatrice discréditée par le souvenir de la conscription. La conscription confère un avantage électoral sans fin aux libéraux, qui reviennent sur la question le plus souvent possible

– c’est-à-dire à tout moment. Parallèlement, l’exploitation que font les libéraux de la conscription affaiblit l’ancien régime de partis au Québec en transformant les conservateurs, le parti de remplacement, en un parti 290

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croupion non éligible. Cependant, sur le plan politique, le soleil brille pour l’instant du côté de Mackenzie King et de taschereau.

au cours des années 1920, Ottawa et les provinces se partagent la responsabilité du développement. il peut sembler que la prospérité réglera, ou du moins masquera, les querelles de compétence entre les échelons fédéral et provincial mais ce n’est pas le cas. Les chiffres globaux indiquent que la prospérité est bien réelle. Le produit national brut du Canada augmente de façon constante après 1921, stimulé par une augmentation rapide des exportations, qui passent de 3,5 milliards de dollars en 1921 à 6,1 milliards en 1929. Les gouvernements canadiens fédéral et provinciaux s’en réjouissent et font ce qu’ils peuvent. ils ne sont pas vraiment préoccupés du fait que les exportations vont en majorité aux états-Unis et que la part britannique du commerce canadien diminue, tout comme l’investissement britannique au Canada. en effet, la Grande-Bretagne a moins de capital disponible à exporter et les investisseurs britanniques ont subi des pertes importantes lors du krash du Grand tronc et du chemin de fer Canadien du nord.

Les secteurs des pâtes et papiers, des minéraux et du blé sont responsables du boom, encouragés par les restrictions provinciales au commerce qui exigent des exportations transformées plutôt que brutes.

Par conséquent, la production de pâtes et papiers se déplace au nord de la frontière des états-Unis ; les menaces des américains quant à des mesures de rétorsion ne réussissent pas à freiner le processus. Le gouvernement fédéral voit une occasion rêvée d’élargir sa surface en blé et accommode les anciens combattants, qui se voient offrir des conditions très avantageuses pour leurs acres et une facilité d’emprunt afin de pouvoir s’adonner à l’agriculture. des installations s’implantent dans des régions peu productrices des Prairies, dans les forêts-parcs au nord et dans le triangle de Palliser au sud, qu’on a d’abord considéré comme des régions convenant seulement à l’élevage du bétail. La surface en blé et la production de blé augmentent jusqu’à ce qu’en 1928, la saskatchewan récolte un record de 321 millions de boisseaux. Les compagnies de chemin de fer construisent des lignes d’embranchement afin d’amener les céréales, les minéraux et le papier à destination des marchés. On construit de nouveaux projets énergétiques afin d’accroître l’approvisionnement en électricité destiné aux mines et aux moulins et aux villes canadiennes en pleine expansion.

de l’avis de Mackenzie King, la prospérité encourage le trouble.

Les provinces des Prairies reprennent confiance au cours de la décennie et elles sont de plus en plus intolérantes à l’égard du fait que le gouvernement fédéral garde une emprise sur les terres et les installations de la Couronne et sur leur revenu. appuyées par les provinces plus anciennes, en particulier 11 • Briser le moule, 1914–1930

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l’Ontario et le Québec, elles exigent la restitution des terres, et des ressources et revenus qui en découlent.

L’Ontario est dans un état de guerre de compétence avec le gouvernement fédéral, comme c’est le cas pratiquement depuis la Confédération. d’abord dirigé par les conservateurs (1905-1919), puis par les fermiers unis (1919-1923), et de nouveau par les conservateurs (1923-1934), son gouvernement a peu en commun avec Mackenzie King, qui ne réussit même pas à se faire élire dans sa province d’origine. Les provinces maritimes, plus solidement libérales, éprouvent leurs propres malaises sociaux : elles sont coincées dans un marasme économique depuis les années 1920 et réclament l’aide d’Ottawa.

toutes les provinces, à l’exception peut-être du Québec, font face à un véritable problème de revenu. elles doivent construire des routes, des écoles et des hôpitaux et assumer des obligations en matière d’aide sociale en temps de récession ou de dépression avec des ressources fiscales limitées.

Comme pour les autres compétences nord-américaines, la taxe sur l’essence leur procure une nouvelle source de revenu lucrative, mais cet argent servira aux routes. en ce qui concerne les provinces, la moralité aussi a un prix. Malgré le caractère honorable et bien intentionné de la prohibition, la taxe sur les boissons alcoolisées apaise surtout les consciences politiques.

Le péché s’avère profitable, et non seulement pour les pécheurs. Malgré tout, même avec les taxes sur l’essence et l’alcool, la province la plus riche et la plus diversifiée, l’Ontario, accuse un déficit régulier et doit emprunter34.

L’Ontario conservatrice et le Québec libéral attendent la même chose de Mackenzie King : de l’argent, un objectif commun à toutes les provinces. L’Ontario est à l’origine de la demande à l’effet qu’Ottawa quitte le champ d’imposition sur lequel il a empiété en 191735. Ottawa refuse. La guerre a entraîné une dette d’un milliard de dollars et le gouvernement fédéral doit l’assumer seul. s’ensuivent des négociations houleuses et sans fin. Le gouvernement fédéral caresse ses propres espoirs, cherchant un moyen de modifier la constitution canadienne, l’acte de l’amérique du nord britannique, au Canada. Les provinces ont bien d’autres choses en tête et finalement, ni King ni Lapointe, alors ministre de la Justice, ne peuvent trouver de proposition acceptable.

en bout du compte, King accorde aux provinces ce de quoi elles se contenteront. Les Prairies ont leurs ressources naturelles, comme toutes les autres provinces, en plus de certains octrois supplémentaires. il se concilie les bonnes grâces de l’Ontario et du Québec par des concessions en matière d’énergie hydroélectrique. Les Maritimes obtiennent une commission royale, la ventilation de leurs griefs, quelques futilités relatives au chemin de fer interprovincial et d’autres octrois.

 

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Le souhait de Mackenzie King quant à une formule visant à modifier la constitution tient à des motifs qui vont au-delà de ses raisons rhétoriques habituelles. il est conscient que le statut du Canada sur le plan des affaires extérieures connaîtra des changements. en 1926, les Britanniques accordent l’indépendance aux dominions et ceux-ci promettent de s’harmoniser au principe avec une législation officielle.

il s’agit d’un changement radical par rapport à la situation lors du départ de Borden en 1920. La résolution iX de la Conférence impériale de guerre de 1917 a prévu l’égalité entre les nations de l’empire britannique mais a également promis la tenue d’une grande conférence constitutionnelle à la fin de la guerre sans pour autant faire de promesses quant au dénouement de cette conférence. il est vrai que le Canada devient un membre distinct de la société des nations avec l’australie, la nouvelle-Zélande, l’afrique du sud et l’inde (bien que l’inde ne soit guère indépendante de la Grande-Bretagne). dans l’ensemble, la délégation canadienne à la société coopère avec son homologue britannique mais reçoit ses directives d’Ottawa et non de Londres.

néanmoins, l’unioniste Borden et les gouvernements de Meighen s’efforcent du mieux qu’ils peuvent de placer le Canada au sein d’une politique étrangère impériale qui, selon eux, convient aux traditions du Canada. ils croient également que le Canada aura plus de poids sur le plan international en faisant partie d’une grande puissance impériale plutôt qu’en tant qu’ancienne colonie isolée au nord des états-Unis dans un hémisphère mal connu. Leur politique est mise à l’épreuve lors d’une Conférence impériale en 1921. sir Lloyd George est toujours premier ministre et son gouvernement, comme celui de Meighen, est une continuation précaire de sa coalition de temps de guerre. Lloyd George veut que la Conférence impériale ratifie sa décision sur la poursuite de l’alliance britannique avec le Japon, qui arrive à échéance. Une telle décision est très importante pour l’australie et la nouvelle-Zélande, qui ont besoin de la protection que leur procure l’alliance, et elle dispenserait la Grande-Bretagne de certaines dépenses liées à la protection des dominions du Pacifique. toutefois, en prenant cette décision, Lloyd George ignore les signes d’hostilité que montrent les états-Unis, dont les gouvernements ont demandé, à juste titre, contre qui serait dirigée l’alliance anglo-japonaise maintenant que la marine allemande repose au fond de l’océan. Le Canada est le membre de l’empire le plus près de états-Unis et le plus exposé au courroux des américains.

La Conférence impériale entraîne un conflit entre deux stratégies impériales – celle du Canada, qui favorise avant tout l’harmonie avec les états-Unis, et celle de Lloyd George (et de l’australie), qui soutient qu’une évaluation rationnelle de la défense de l’empire doit prendre en considération le risque d’offenser le Japon. Meighen affirme sans détour 11 • Briser le moule, 1914–1930

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que le Canada ne peut pas accepter, et n’acceptera pas, une politique qui offense les états-Unis. au début, Lloyd George maintient sa position. s’il le faut, le Canada partira.

La position de Lloyd George découle davantage de son imagination et de la mésinformation que du principe. il ne croit pas à l’irritation profonde des américains. Lorsque, très tardivement, il apprend que celle-ci est réelle (et que Meighen avait toujours eu raison), il change radicalement de position. L’alliance anglo-japonaise est mise en veilleuse et l’empire britannique consent à une conférence navale à Washington, avec les états-Unis et d’autres puissances intéressées. en 1922, après la conférence, l’alliance anglo-japonaise n’existe plus, remplacée par un pacte multilatéral pour le désarmement naval et des ententes relatives au désarmement autour du Pacifique. L’australie est satisfaite du résultat, tout comme le Canada bien sûr.

Lorsque la conférence de Washington prend fin, un nouveau gouvernement siège à Ottawa. Mackenzie King n’a pas connu la solidarité impériale pendant la guerre ; à la différence de Borden, il considère que le principal effet de la guerre est de diviser l’opinion au pays, bien que son intention ne soit nullement de contester les sacrifices qu’ont dû faire les Canadiens pour la gagner. King hérite de la méfiance de Laurier à l’égard des stratagèmes de l’empire, quoiqu’il ne doute pas – encore comme Laurier

– que l’identité du Canada soit principalement britannique. il y a toutefois des limites à être britannique, ce que King découvre dès le début alors que Lloyd George tente d’entraîner l’empire dans une guerre mal inspirée avec la turquie en 1922 – appelée l’affaire Chanak en raison de l’emplacement du conflit. Chanak ruine Lloyd George et détruit son gouvernement. La guerre contre la turquie n’a pas lieu mais King fait clairement comprendre que s’il y en avait une, le Canada n’y prendrait pas part automatiquement.

King explique son point de vue au premier ministre britannique, le conservateur stanley Baldwin, lors d’une Conférence impériale en 1923. s’il se produit un « appel du devoir impérieux et manifeste », dit-il, le Canada se rangera alors du côté de la Grande-Bretagne, comme en 1914. Chanak ne constitue pas un appel du genre et, par extension, aucune autre aventure impériale mineure ne peut également prétendre à ce statut.

King renforce sa position en nommant au poste de conseiller en chef de la fonction publique le très nationaliste doyen des arts de l’Université Queen’s, O. d. skelton. skelton partage les tendances de King en ce qui a trait à l’isolement canadien, qui sont de plus en plus prononcées dans les années 1920. il espère que pendant une décennie de paix, le traditionalisme anglo-victorien de King ne sera pas mis à l’épreuve par l’ « appel du devoir impérieux et manifeste ».

 

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King et skelton ont de la chance. Le secrétaire d’état britannique aux affaires étrangères, lord Curzon, n’a pas l’intention de soutenir une

« politique étrangère impériale » si cela signifie qu’il doit consulter les dominions au sujet des plans britanniques en matière d’affaires étrangères.

Les dominions peuvent s’y opposer ou se taire. Comme King décide de s’y opposer, il pourrait être retiré de la politique britannique et, sous la gouverne de Curzon et de ses successeurs, le Canada et les autres dominions qui hésitent sont retirés des traités britanniques. Le Canada pourrait adhérer à cette politique s’il le désire mais il n’a pas à le faire. À l’avenir comme par le passé, la Grande-Bretagne informera l’empire mais ne le consultera pas ; entre temps, la Grande-Bretagne, comme le Canada, s’en remettra à la chance.

Ce processus atteint son apogée lors d’une autre Conférence impériale en 1926. Cette conférence reconnaît officiellement, dans un rapport présenté par un ex-premier ministre respecté, lord Balfour, l’autonomie complète des dominions britanniques. Le rapport de Balfour reconnaît également que les dominions choisissent de demeurer membres du Commonwealth britannique, terme qui remplace « l’empire », et qu’ils sont liés par une allégeance commune envers la Couronne.

Mackenzie King est assez satisfait. il invoque, comme il le fait souvent, le souvenir de son grand-père, le rebelle William Lyon Mackenzie, qui lui sourit dans ses rêves sur l’autonomie canadienne. en fait, King aime l’apparat de la monarchie et demeure fondamentalement Britannique.

Pour le premier ministre canadien, la notion à l’effet que le Canada soit

« la Grande-Bretagne de l’Ouest » ne constitue pas un anachronisme mais une caractéristique déterminante profondément ancrée de l’identité canadienne.

il reste à mettre certains détails au point. À la fin des années 1920, des discussions entre les membres du Commonwealth donnent lieu à une autre Conférence impériale en 1930. Cette conférence met la touche finale à une nouvelle constitution pour l’empire autonome – le statut de Westminster est adopté par le Parlement britannique en 1931.

Par le statut de Westminster, le Parlement britannique renonce pour toujours à son droit de légiférer sur l’empire. Les dominions autonomes sont désormais complètement autosuffisants sur les plans juridique et constitutionnel – si ce n’est de quelques exceptions notables. d’abord, le droit d’appel à ce qui est en réalité la cour suprême impériale, le Comité judiciaire du Conseil privé, reste en vigueur à moins qu’il ne soit aboli, ou jusqu’à ce qu’il le soit. ensuite, le statut reconnaît que les éléments de la fédération canadienne, le gouvernement fédéral et ceux des provinces, ne peuvent pas convenir de la façon de modifier la constitution canadienne.

 

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Pourtant, la constitution doit être modifiée à l’occasion et, au regard de cette éventualité, le statut maintient le pouvoir du Parlement britannique de modifier l’acte de l’amérique du nord britannique.

Le Canada commence ainsi son existence autonome – et indépendante

– en tant que pays semi-autonome. il peut prendre les décisions politiques nécessaires ; il peut exercer sa propre compétence sur tout sujet canadien de son choix – en autant qu’il relève du bon côté de la division des pouvoirs, entre le fédéral et le provincial, de l’acte de l’amérique du nord britannique.

Peut-être est-il heureux qu’au moment où le statut de Westminster entre en vigueur, les Canadiens ont d’autres sujets de préoccupation. après tout, la Grande Crise bat son plein depuis deux ans.

 

Une histoire du Canada
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