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UnE HIsTOIRE dU Canada
son affection pour l’angleterre, ou la Grande-Bretagne, n’est pas feinte. Laurier admire les institutions britanniques et vénère l’empire britannique. il n’est pas non plus indifférent à la richesse et à la puissance britanniques. Cette richesse fertilisera, espère-t-il, l’économie canadienne.
Quant à la puissance britannique, inattaquable en raison de la Marine royale, elle protège le Canada contre les dommages, à tout le moins ceux qui viennent d’outre-mer. il y a bien les états-Unis, mais il vaut mieux traiter avec ces derniers dans le cadre d’un puissant empire que comme un petit pays périphérique blotti le long de la frontière septentrionale de la grande république.
L’amour de l’angleterre ne se traduit pas nécessairement en amour des anglais, particulièrement ceux du Canada. Laurier est très au fait des divisions sectaires que connaît le pays, ainsi que des animosités nationales.
tout en espérant les transcender, il demeure réaliste et choisit de les éviter dans la mesure du possible. dans certaines régions du pays, et aux yeux des ultra-protestants, étant Français et catholique, il demeurera toujours suspect (il est certes Français mais on peut douter qu’il soit un catholique convaincu, par opposition à pratiquant). Chez lui au Québec, il apparaît suspect aux yeux des catholiques conservateurs et des nationalistes, qui estiment qu’accommoder les anglais et frayer avec les protestants constitue un premier pas sur le chemin de l’enfer.
Laurier ne change pas grand-chose aux institutions canadiennes qu’il trouve en place. son Canada n’est pas tant un pays insulaire qu’une colonie isolée. et s’il utilise le langage de la nation et du nationalisme – et ce, dans les deux langues – il n’a nullement l’intention de presser les choses.
Le Canada finira par devenir une nation à son propre rythme et Laurier ne tient nullement à se sentir pressé. C’est l’un des grands attraits de l’empire britannique que, jusqu’à la fin de ses jours, Laurier considérera comme presque tout puissant et d’une supériorité incontestable en dehors de l’amérique du nord, et, même là, il est peu probable que cette supériorité soit remise en cause. son univers est celui du milieu du dix-neuvième siècle, un univers dans lequel la Grande-Bretagne sera, pour l’éternité, un grand pays. dans ce genre d’univers et ce genre d’empire, le Canada peut s’occuper de ses propres affaires.
Laurier tient beaucoup à l’autonomie locale, pour le Canada au sein de l’empire britannique et pour les provinces au sein du Canada. il comprend le pouvoir des provinces et attache beaucoup d’importance aux droits de ces dernières. il se peut, en réalité, qu’il soit le politicien le plus décentralisateur à occuper le poste de premier ministre du Canada. sa victoire aux élections de 1896 est autant le résultat des griefs provinciaux à l’endroit du gouvernement que de la réputation d’administration conservatrice sénile des ses prédécesseurs. signe des temps, Laurier attire dans son cabinet 10 • explosion eT marasme, 1896–1914