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de guerre français et est reçu avec enthousiasme par daniel Johnson. au cours des jours qui suivent, Johnson se rend compte qu’il a du fil à retordre.
il avait espéré impressionner les anglais ; de Gaulle veut les mettre en rage. « Je compte frapper un grand coup » dit-il à son gendre, le général alain Boissieu. « Ça bardera. Mais il le faut12 ». Le 24 juillet, la visite de de Gaulle atteint son point culminant lors d’une cavalcade dans le Québec rural, alors qu’il se dirige vers l’hôtel de ville de Montréal. Le langage et le comportement de de Gaulle n’ont rien pour apaiser ses hôtes québécois. On entend Johnson murmurer que lorsque le cortège arrivera à Montréal, « on sera séparé13 ».
Ce soir-là, à Montréal, d’un balcon surplombant une place où est érigée une statue du héros de la marine britannique lord nelson, de Gaulle s’adresse à une foule enthousiaste, allocution qui est retransmise dans tout le pays à la radio et à la télévision. Le discours est assurément captivant.
Le long de la route, l’atmosphère était la même que lors de la libération de la France en 1944, dit-il au public. La foule s’exclame. elle aussi veut la libération. encouragé, de Gaulle termine par une série de vivats. « vive Montréal ! vive le Québec ! » et, naturellement, « vive le Québec libre ! »
La foule entame l’hymne national français, « La Marseillaise ». sa tâche accomplie, de Gaulle va dîner et se coucher.
« vive le Québec libre » est un des principaux slogans des séparatistes. Ceux-ci en connaissent très bien la signification, tout comme le ministre des affaires étrangères de de Gaulle, qui qualifie la performance de son président de « connerie14 ». Les Canadiens anglais perspicaces comprennent aussi le message et sont furieux, comme il fallait s’y attendre.
À Ottawa, le cabinet se réunit toute la journée, le lendemain, pour décider des mesures à prendre. Les Canadiens, furieux contre de Gaulle, inondent Ottawa de télégrammes et d’appels téléphoniques. des manifestants font les cent pas devant les consulats français, qui ont la prudence de verrouiller leurs portes15. Finalement, Pearson lit une déclaration qualifiant les commentaires de de Gaulle d’« inacceptables » et formulant le mince espoir que le général se rendra quand même à Ottawa. évidemment, de Gaulle n’y va pas. dégotant une caravelle d’air France, il s’envole pour Paris, où ses ministres l’attendent nerveusement sur la piste de l’aéroport, cherchant des signes de démence chez leur chef.
de Gaulle laisse derrière lui un climat de discorde. rené Lévesque quitte le Parti libéral provincial et forme son propre mouvement séparatiste, qui deviendra le Parti québécois (PQ). Le bon sens de Pearson maintient les réactions d’Ottawa en équilibre. Le Canada ne rompt pas ses relations diplomatiques avec la France, Johnson non plus. il n’est pas prêt à déclarer l’indépendance et Pearson ne le provoque pas. Les chefs d’entreprises du Québec préviennent Johnson des conséquences désastreuses qu’aurait 410
UnE HIsTOIRE dU Canada
l’indépendance sur la province. À l’inverse, en novembre, lors d’une conférence à laquelle participent les autres premiers ministres canadiens, Johnson ramène le calme. Le Québec et le Canada continueront de faire des affaires au-delà du centenaire. Pearson lui rend la politesse en inaugurant une conférence constitutionnelle afin d’examiner les revendications provinciales et les solutions possibles.
La conférence a lieu en février 1968. Les procédures, qui sont transmises à la télévision, se révèlent extrêmement populaires, ne serait-ce que pour la nouvelle personnalité qu’elles présentent sur la scène fédérale.
Pierre elliott trudeau, le ministre de la Justice de Pearson, assume le gros des responsabilités du gouvernement fédéral. trudeau s’emploie à démontrer que Johnson n’est pas le seul à parler au nom du Québec et sa performance est tellement efficace qu’au bout du compte, Johnson ne prend presque plus la parole. Blessé, humilié et en mauvaise santé, Johnson quitte la scène ; en septembre, il meurt prématurément d’une crise cardiaque.
en septembre, Pearson n’est plus premier ministre. La tâche lui paraît de plus en plus lourde et, à soixante-dix ans, il juge que le temps est venu de se retirer. en septembre 1967, son principal adversaire politique, John diefenbaker, est remplacé à la tête du Parti progressiste-conservateur par le droit et réservé premier ministre de la nouvelle-écosse, robert stanfield. Ce dernier n’aurait pas accordé aussi facilement la victoire à Pearson.
en avril 1968, lors d’un congrès du Parti libéral, le fascinant trudeau balaie ses adversaires. Le soir de la victoire de trudeau, le 6
avril, la srC fait le compte rendu des événements à partir d’une bulle de plexiglas surplombant l’action. Le chef de bureau d’Ottawa de la srC, norman dePoe, et le journaliste nationaliste québécois Claude ryan sont les commentateurs. Lorsque le vote final en faveur de trudeau est lu et qu’il est clair qu’il l’emporte, ryan a un geste de fureur. il est convaincu que trudeau n’est pas l’homme qui doit succéder à Pearson. trudeau, un homme froid, n’a pas la parole douce de Pearson.
il y a peu de gens pour prêter attention aux craintes de ryan.
trudeau est l’homme de l’heure et le restera pour les mois et les années à venir.
LA cRiSE D’OcTOBRE ET LES AnnéES SUiVAnTES
La société bat au même rythme qu’auparavant sans qu’on puisse discerner une différence. trudeau parle peut-être d’une « société juste »
mais les Canadiens semblent avoir une conception très locale, parfois assez 15 • deux naTionalismes