Les guerres pour la

conquête de l’Amérique (2)

Le port et les défenses de la base britannique de Halifax en 1780, pendant la guerre de la révolution américaine.

 

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Les guerres anglo-françaises du dix-huitième siècle remplacent un empire nord-américain, l’empire français, par un autre, l’empire britannique. Les gens qui vivent à cette époque perçoivent l’importance de cet événement et prédisent, avec raison, qu’il en sortira de grandes choses.

Comme c’est souvent le cas avec ce genre de prédictions, les aspects détaillés de l’avenir envisagé viendront les contredire.

Une des conséquences de la guerre est sans appel. Les relations politiques entre les Français d’amérique du nord et ceux de France sont rompues. aucune armée française ne traversera plus jamais les forêts canadiennes. Louis Xiv et ses successeurs de la France royale, républicaine et impériale ne penseront jamais qu’il vaille la peine de revendiquer l’amérique du nord en échange d’argent, de navires ou d’hommes – pourtant, ce qui constitue une remarquable aberration, ils le feront avec des mots. Mais ce chapitre de l’histoire ne surviendra que beaucoup plus tard (voir le chapitre 15).

Les liens économiques qui unissaient la nouvelle-France et la vieille France sont eux aussi rompus, au grand soulagement des contribuables français. Finies les dépenses militaires, ainsi que les subventions destinées à maintenir la traite des fourrures à flot et les alliés amérindiens amicaux.

sur le plan culturel, la rupture est loin d’être aussi évidente. Le droit et la religion ont pris un caractère nettement français. L’église canadienne a des liens non seulement avec rome, mais aussi avec la couronne de France, qui nomme les évêques et maintient ainsi une forte influence sur la manière dont l’église se conduit en territoire français. sur le plan juridique, le droit en nouvelle-France est naturellement le droit français : c’est la coutume de Paris qui régit les contrats et obligations et protège les biens. La culture laïque doit aussi venir de Paris puisqu’il n’existe pratiquement pas d’autres publications en français. sur le plan de la culture matérielle, la situation est moins préoccupante. tout ce qui se fabrique en France peut l’être en Grande-Bretagne, parfois mieux et généralement moins cher. tout ce qu’on peut fabriquer, cultiver ou attraper au Canada peut encore être exporté vers l’europe, quoique vers la Grande-Bretagne plutôt que le France. et l’hostilité traditionnelle n’empêche ni l’admiration ni l’imitation : le style britannique, les marchandises britanniques et la culture britannique font l’objet d’admiration, d’envie et, de plus en plus, d’imitation en europe et, bien entendu, en europe outre-mer1.

La grande question à laquelle sont confrontés les nouveaux maîtres de Québec est de savoir comment perpétuer la rupture avec la France, mais il ne s’agit là que d’un enjeu parmi tant d’autres pour les pouvoirs impériaux de Londres. Comment gérer un empire qui a plus que doublé en superficie 85

 

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UnE HIsTOIRE dU Canada

sur le seul continent nord-américain ? Comment rembourser le prix des guerres qui viennent juste de prendre fin ? Comment payer l’administration d’un empire à l’avenir ? Ce sont là quelques questions auxquelles sont confrontés George iii et ses ministres en 1763. encore plus insoluble que celle des finances (et son cauchemar connexe, l’imposition), il y a une question culturelle : comment absorber un grand nombre de catholiques dans un royaume et un empire qui sont, de par la loi, protestants ?

Le gouvernement britannique s’efforce d’agir d’une manière responsable mais, ce faisant, il réveille les dragons de l’imposition et de la religion. il s’efforce de solidifier l’empire mais, par ses actions, ne fait que miner ses fondations et perd la plupart de ses colonies américaines dans l’aventure. si les cinquante années qui ont précédé 1763 contenaient la garantie que le Canada serait britannique, les cinquante années qui suivent renferment celle qu’il ne sera pas, simultanément, américain.

LA RESpOnSABiLiTé D’Un EmpiRE, 1763–1774

en 1763, le nord de l’amérique du nord compte une population de quelque 300 000 personnes – 200 000 autochtones et 100 000 Blancs, européens ou descendants d’européens. il est divisé en deux colonies avec une seule zone de pêche, terre-neuve, et un seul domaine commercial, les territoires de la Compagnie de la baie d’Hudson. Les colonies en sont le Québec et la nouvelle-écosse. Grâce à la défaite française, la nouvelle-

écosse s’est étendue à toute l’ancienne acadie, y compris le Cap-Breton, l’isle saint-Jean et ce qui deviendra plus tard le nouveau-Brunswick. La colonie est gouvernée depuis Halifax, lieu de résidence du gouverneur et de rencontre périodique de l’assemblée élue. Par sa structure gouvernementale, ses lois (la common law anglaise) et sa langue (l’anglais), elle ressemble aux autres colonies britanniques plus au sud. Le problème de sa population clairsemée, en partie à cause de la déportation des acadiens en 1755, trouve sa solution dans une immigration soutenue d’habitants de la nouvelle-angleterre et l’arrivée de navires entiers d’immigrants venus d’écosse et d’autres parties de l’europe, notamment d’allemagne. ils viennent se joindre à ce qui reste de la population acadienne, à la fois ceux qui ont échappé à la déportation et ceux qui sont revenus dans la région après la guerre. La nouvelle-écosse est moins une colonie continue – les voies de communication terrestres sont éreintantes et une grande partie de la province est une région reculée battue par les vents – qu’une série de poches côtières habitées par des européens et imposées à un territoire intérieur en friche, toujours occupé par les nations amérindiennes locales, surtout les Mi’kmaq et les Malécites.

 

5 • les guerres pour la conquêTe de l’amérique (2) 87

de toutes les parties de l’amérique du nord, c’est la pêcherie de terre-neuve que les européens connaissent le mieux depuis des générations. elle attire chaque année sur les Grands Bancs des essaims de bateaux de pêche venus d’europe occidentale pour pêcher la morue, une ressource qui semble inépuisable. Français comme Britanniques ont tenté d’y créer un établissement ; grâce aux guerres impériales, seuls les Britanniques jouissent du droit d’y demeurer, quoique les Français aient un droit de résidence temporaire sur la côte nord pour y faire sécher et saler leurs prises. Les intérêts britanniques en matière de pêche s’opposent à la dilution de leur pêcherie par une population locale qui pourrait rapidement développer ses propres intérêts et diviser la récolte. C’est pourquoi on décourage officiellement la colonisation mais il n’est guère facile d’empêcher une poignée d’intrépides de prendre racine dans l’île. en ce qui a trait à la valeur de la pêcherie, elle est indubitable : en 1768, sa valeur est évaluée à

£600 000 et elle emploie vingt mille pêcheurs, dont douze mille proviennent des îles Britanniques.

Jusque dans les années 1760, terre-neuve n’a ni gouverneur, ni assemblée, ni élections, ni gouvernement structuré. Quand on nomme un gouverneur, il s’occupe de déporter le plus d’habitants possible. néanmoins, selon les fonctionnaires, la population permanente est évaluée à seize mille âmes, dispersées sur de nombreux kilomètres de côtes – un chiffre et une distance qui s’opposent aux meilleurs efforts de dépeuplement du gouvernement2.

Les colons sont en partie responsables d’un autre genre de dépeuplement : la disparition de la population autochtone de l’île, les Beothuks. Comme ailleurs, la maladie joue un rôle important ; mais à terre-neuve, comme il n’y a aucune interaction attribuable à la traite des fourrures, il n’y a non plus aucun sentiment d’avantage mutuel ni de tolérance. n’ayant jamais été nombreux (on estime que leur population au moment du premier contact avec les européens s’établissait à un millier de personnes environ), à la fin du dix-huitième siècle, les Beothuks ne sont plus qu’une poignée.

et, en dépit des efforts du gouvernement pour établir des contacts amicaux, avec un souci de préservation de la race, le dernier membre connu de la tribu s’éteindra en 1829. À cette époque, les autochtones de la région de l’atlantique de ce qui deviendra le Canada ne sont sans doute pas plus de dix mille en tout.

Plus loin au nord et à l’ouest, sur le territoire commercial de la Compagnie de la baie d’Hudson, les amérindiens ont conservé leur poids économique et militaire dans leurs interactions avec les colons et les marchands blancs. il y a longtemps que les nations de l’intérieur des terres se sont adaptées aux manières européennes de faire aussi bien la guerre que le commerce, s’étant équipées de mousquets et d’autres marchandises de 88

UnE HIsTOIRE dU Canada

troc. Plus loin à l’ouest encore, dans les Prairies, les indiens des Plaines ont adopté une autre importation européenne, le cheval. Plus on s’éloigne vers l’ouest ou vers le nord, bien sûr, moins les amérindiens sont susceptibles d’être décimés par la maladie. en réalité, dans les années 1760 encore, de nombreux amérindiens n’ont jamais vu d’hommes blancs3.

Les différences culturelles n’ont guère d’importance comparativement aux attraits du commerce avec les européens. Même les inuits du grand nord n’y sont pas immunisés : ceux qui vivent le long des itinéraires de navigation ou d’échanges commerciaux, comme le détroit d’Hudson, tirent tout autant profit des échanges commerciaux qu’ils souffrent de la maladie et de la consommation d’alcool, double conséquence du contact avec les navires de la Compagnie de la baie d’Hudson.

Le gouvernement britannique n’est pas à l’aise avec les populations autochtones d’amérique du nord. L’aide de certains autochtones et les alliances avec eux ont joué un rôle crucial dans la guerre qui vient de se terminer. dans un certain sens, les autochtones sont devenus des pupilles de la couronne britannique et, comme tels, ils ont droit à la considération et à la protection ; fait tout aussi important, il serait difficile et coûteux de vouloir occuper l’intérieur du continent sans leur collaboration ou, à tout le moins, leur consentement. il s’ensuit que les politiques britanniques devraient viser à apaiser les craintes des amérindiens et à gagner leur confiance ; malheureusement, le général en chef britannique, Jeffrey amherst, a tendance à faire exactement le contraire.

Comme pour souligner ce fait, la guerre éclate autour de la partie ouest des Grands Lacs au printemps 1763. Un poste britannique, Michilimackinac, tombe aux mains d’une alliance dirigée par Pontiac, le chef des Ottawa ; un autre poste, detroit, ne doit son salut qu’à la chance.

La « rébellion » de Pontiac ne prend fin qu’en 1765 et Pontiac lui-même ne se soumettra pas aux Britanniques avant l’année suivante.

Le gouvernement britannique essaie de gagner du temps en publiant une proclamation royale le 7 octobre 1763. Cette proclamation a pour effet de tracer une ligne longeant en gros les appalaches et de réserver les terres situées à l’ouest aux amérindiens en y réglementant de manière stricte le commerce, au grand dam des spéculateurs fonciers, colons et commerçants des colonies existantes à l’est. La proclamation constitue aussi la « province du Québec », dans un rectangle recouvrant essentiellement la vallée du saint-Laurent. À l’encontre des colonies du sud ou de la nouvelle-écosse, Québec sera une province : elle n’aura temporairement pas d’assemblée.

elle sera plutôt placée sous la direction d’un gouverneur et d’un conseil nommé.

 

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La caractéristique la plus remarquable de cette proclamation est sa futilité. au moment de sa publication, des milliers de colons franchissent déjà les appalaches. des milliers d’autres arriveront dans les années qui suivront jusqu’à ce que, en 1768, le gouvernement britannique le concède et conclue avec les iroquois, suzerains nominaux des tribus de l’intérieur des terres, un traité qui prévoit la cession de terres de la vallée de l’Ohio appartenant à d’autres nations amérindiennes.

Cette proclamation ne représente qu’une des facettes de la politique coloniale britannique. Ce sont les recettes qui retiennent principalement l’attention du gouvernement. en quête d’argent, le gouvernement finit par trouver autre chose : la rébellion coloniale contre les taxes impériales imposées par un Parlement qui ne représente pas les colons.

Le rôle joué par la province du Québec dans la dérive vers la guerre et la révolution est minime. dès le départ, les autorités britanniques sont conscientes du fait que le Québec pose problème en raison de son catholicisme, du français et de sa loyauté nouvelle envers la couronne française. Pour résoudre ces problèmes, les gouverneurs locaux, James Murray et Guy Carleton, réclament des accommodements. ils n’ont guère le choix, disposant de trop peu de soldats à mettre en garnison dans une grande province et de trop peu de fonds pour maintenir une administration dominante. Le gouvernement du Québec doit compter sur le consentement, tacite ou déclaré, de ses administrés et la meilleure façon de l’obtenir consiste à employer ce qui reste des agents et officiers de l’ancien régime français.

L’église catholique représente un élément important de la gestion publique. au début des années 1760, cependant, elle n’a plus de dirigeant au Québec à la suite du décès de l’évêque précédent en 1760. sans évêque, impossible de consacrer des prêtres et sans prêtres, les paroisses, unités sociales et politiques fondamentales dans les campagnes, finiront par perdre leurs pasteurs. Le problème est que les dirigeants britanniques, tous protestants, voient dans le catholicisme l’ennemi de la liberté, surtout la liberté protestante, et le rempart de la tyrannie. L’urgence dicte un compromis provisoire avec le catholicisme : la pratique de la religion catholique sera tolérée mais à long terme, une telle politique est des moins souhaitables voire carrément subversive. Le triomphe des soldats britanniques, soutenu par la prospérité britannique (et coloniale) au cours de la dernière guerre, est certes preuve de la supériorité de la liberté protestante.

en dépit de ces sentiments anti-catholiques, les résidants catholiques des territoires britanniques, même ceux des îles Britanniques, ne se voient pas persécuter en raison de leur foi et l’on ferme les yeux sur les activités des prêtres catholiques, pour autant que ces derniers demeurent discrets.

Ce sont les protestants qui ont la mainmise sur le pouvoir politique même 90

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lorsque, comme en irlande, ils ne représentent qu’une infime partie de la population. Les catholiques se soumettent sur le plan politique ; en revanche, les protestants ignorent la question insignifiante de leur pratique religieuse.

tout naturellement, cet oubli officiel s’étend aux colonies indépendamment du fait que de nombreux colons croient fermement que le catholicisme fait obstacle au bien-être de leur pays.

C’est principalement pour des motifs religieux que le gouvernement britannique hésite sur le mode de gestion publique du Québec. Même une colonie comme le Maryland (dont le seigneur propriétaire est catholique) a retiré le droit de vote aux catholiques en 1718. avec une population de soixante-dix mille âmes qui augmente pendant les années 1760, le Québec a plus de poids que la Georgie, le delaware et la nouvelle-écosse et mérite certainement autant que ces colonies le droit d’élire une assemblée. Le gros problème est que, à l’exception de quelques centaines de personnes, tous les habitants du Québec sont catholiques.

Pour les quelques centaines de protestants, il va de soi qu’eux seuls devraient avoir le droit de vote et le monopole d’une future assemblée, et occuper toutes les fonctions publiques. Les gouverneurs qui se succèdent, Murray (1760–1766) puis Carleton (1768–1778) adoptent un point de vue différent. Comment peuvent-ils parvenir à maintenir l’ordre, faire appliquer les lois et lever des impôts dans un système discriminatoire envers presque tous les habitants de la province ?

James Murray, fils cadet d’une famille de la noblesse écossaise, trouve à redire à l’attitude des marchands britanniques immigrants, qu’ils viennent des colonies américaines ou directement de Grande-Bretagne : c’est un tas de « camelots licencieux », grommelle-t-il. il est convaincu que leurs intérêts ne concordent pas avec les siens, pas plus qu’avec ceux de l’ensemble de la colonie. Londres a vent des objections envers son style de gouvernement, qui offrent à ses opposants politiques l’occasion de lui faire perdre son poste. Les marchands fondent de grands espoirs en son successeur, le lieutenant-gouverneur Guy Carleton, mais ce dernier finira lui aussi par les décevoir.

selon le point de vue adopté pendant les siècles ultérieurs, le gros problème du Québec après 1960 est le sort réservé aux Canadiens français, simplement appelés les « Canadiens » : leur place en politique, au sein de la société et dans l’économie. nombre d’intervenants économiques à l’époque sont aussi des intervenants politiques, et ils cherchent à influencer le gouvernement britannique afin de servir leurs propres intérêts.

 

5 • les guerres pour la conquêTe de l’amérique (2) 91

en réalité, cependant, il n’y a pas grand-chose à dire ni à faire à propos de l’économie. La nouvelle-France était soutenue par les subventions françaises, sa structure sociale renforcée par des infusions d’or français et d’honneur français, de même que la perspective d’emplois de guerre pour sa haute bourgeoisie. On ne sera pas surpris d’apprendre que la plupart des membres de cette dernière repartent en France en quête d’un agent payeur auquel ils sont habitués. Quant aux marchands de nouvelle-France, certains repartent, d’autres restent, mais, inévitablement, les liens commerciaux dont ils dépendent changent avec le passage de la nouvelle-France d’un empire à l’autre et, par conséquent, d’une source de capitaux et de marchés à l’autre. dans un monde mercantile – c’est-à-dire régi par les théories du mercantilisme – cela est tout simplement considéré comme naturel.

Les gouverneurs submergent Londres de leurs opinions sur le Québec, ses habitants, son économie et ses perspectives. Les dépêches en provenance de Québec sont étudiées à la loupe par des ministres qui doivent les intégrer à leur propre cadre de référence et les ajuster aux réalités politiques de la Grande-Bretagne qui, pendant les années 1760 et 1770, connaît l’instabilité politique du fait que le roi, George iii, nage dans l’hésitation, présidant ses gouvernements, pratiquant l’interférence mais ne parvenant pas à exercer son contrôle.

La question du Québec préoccupe énormément les ministres et fonctionnaires de la capitale britannique au début des années 1770, alors que le gouvernement en arrive lentement, après bien des hésitations, à un consensus sur la marche à suivre. Finalement, en 1773, le gouvernement, sous la direction de lord north, prend son courage à deux mains et rédige un acte qui a quatre conséquences : la levée des restrictions concernant les catholiques du Québec, l’autorisation pour ces derniers d’occuper des fonctions publiques ; l’extension des frontières de la province de manière à inclure tout le territoire britannique au sud de la baie d’Hudson, à l’est du Mississippi et au nord de l’Ohio ; la reconnaissance du droit civil (mais non criminel) français ; et la création d’une administration par un gouverneur et un conseil nommé, sans assemblée élue cependant.

de ces quatre points, le plus important, et de loin, sur le plan politique est le premier, non pas en raison de ses répercussions au Québec, mais parce qu’il crée un précédent auquel on pourrait envisager d’avoir recours en Grande-Bretagne et en irlande4.

 

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LA pROGRESSiOn DE LA RéBELLiOn

Pendant ce temps, le gouvernement britannique a d’autres chats à fouetter. il a payé le coût de la dernière guerre avec la France. Les principaux bénéficiaires de cette guerre sont sans conteste les colonies américaines, en raison de l’élimination de la menace française à leurs frontières, à leur commerce et à leur expansion territoriale. Par conséquent, les colonies devraient contribuer au remboursement des dettes contractées en leur nom.

Les colons ne voient pas du tout les choses du même œil. ils résistent aux tentatives de lever des impôts en organisant boycotts et manifestations.

au bout du compte, le gouvernement envoie des soldats à Boston, plus turbulent centre de résistance coloniale, pour s’apercevoir que, quelles que soient les soldats qu’il dépêche, il ne parviendra jamais à intimider les américains.

tous les américains ne sont pas rebelles. Un des chefs de la résistance face aux Britanniques, John adams, estimera plus tard qu’un tiers des colons sont en faveur de la résistance, un tiers demeurent loyaux envers la couronne et un tiers sont neutres ou indécis. Ce sont les résistants, ou les patriotes, comme ils s’appellent eux-mêmes, qui se révèlent les mieux organisés et les plus habiles en politique, tablant sur les craintes coloniales de conspirations ministérielles visant leurs biens et leur liberté.

La protection de la propriété et la défense de la liberté comptent parmi les principaux objectifs d’un gouvernement, de sorte qu’un gouvernement qui les bouleverse ne peut qu’être illégitime.

Le moment choisi pour publier l’acte de Québec en 1774 a beau être fortuit, ce n’est pas la perception des colons craintifs et amers. L’acte de Québec n’a presque rien à voir avec le problème colonial plus vaste de la Grande-Bretagne ; il ne s’agit que d’une malheureuse coïncidence. Mais cette coïncidence est suffisante pour raviver les craintes coloniales d’agression catholique et rappeler aux colons la nature arbitraire du pouvoir français soutenu par une église accommodante.

saisissant l’esprit du moment, le général Gage, gouverneur du roi au Massachusetts, conseille aux ministres de lever des troupes et de récolter de l’argent, un million de livres ou davantage. des américains loyaux des régions éloignées commencent à arriver à Boston, craignant pour leur sécurité. Ceux qui restent font l’objet d’ostracisme, de vandalisme et, parfois, de violence. Gage comprend que l’autorité lui échappe et passe aux mains des « congrès », provincial et « continental », ce dernier se réunissant à Philadelphie en 1774 et 1775.

 

5 • les guerres pour la conquêTe de l’amérique (2) 93

LA RéVOLUTiOn AméRicAinE

Québec

1775–1776

Lac saint-Pierre

trois-rivières

Montréal

1776

1775, 1776

Fort

Fort

Chambly

saint-Jean Lac

Fleuve saint-Laurent

rivière richelieu

1775

Champlain

Fort ticonderoga

ri

1775

viè

Lac Ontario

re Hud

saratoga

so

Lac

n

1777

Fort niagara

Fort Oswegor

George

ivière Mohawk

Océan

atlantique

Boston

1775–1776

À Londres, les ministres ne croient Gage que lorsqu’il est trop tard.

ils envoient des hommes, mais pas assez, et Gage se retrouve assiégé dans sa capitale de Boston, encerclé par une armée coloniale qui ne cesse de grossir. il demande à ses collègues gouverneurs de lui envoyer des renforts et Carleton au Québec lui envoie la plus grande partie de ce qui constitue déjà une petite garnison. Pendant ce temps le « Congrès continental » de Philadelphie invite le Québec et la nouvelle-écosse à envoyer des délégués pour se joindre à un front uni contre le gouvernement.

 

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UnE HIsTOIRE dU Canada

La nouvelle-écosse ne réagit pas. Quant au Québec, il ne dispose d’aucun mécanisme pour nommer des délégués puisqu’il n’a pas d’assemblée ; même le Conseil prévu dans l’acte de Québec ne sera créé qu’une fois l’acte en vigueur le 1er mai 1775. Carleton se dit, avec raison, qu’il n’a pas grand-chose à craindre d’une subversion directe dans sa province. Ce genre de subversion existe cependant bel et bien au-delà de la frontière, dans la colonie new-yorkaise et en nouvelle-angleterre, où les rebelles s’emparent des forts situés le long du lac Champlain, ouvrant ainsi un chemin propice à l’invasion.

Le Congrès interdit les échanges commerciaux avec toute colonie qui n’a pas envoyé de délégués à ses séances, puis autorise les corsaires à s’attaquer aux navires marchands britanniques et à tout autre bien, y compris ceux des pêcheurs terre-neuviens et néo-écossais. Cette arme économique est puissante mais c’est une arme à deux tranchants : elle cause du tort alors même qu’elle impressionne et offre aux néo-écossais l’occasion de combler le vide dans l’économie impériale ouvert par les rebelles. il est aussi vraisemblable que la nouvelle-écosse elle-même arme des corsaires et rende à ses voisins la monnaie de leur pièce avec les intérêts.

en nouvelle-écosse, on observe une certaine sympathie à l’égard de la cause des rebelles parmi les immigrants récents venus de la nouvelle-angleterre (mais les immigrants récents en provenance de la Grande-Bretagne ou d’autres parties de l’empire ne sont pas immunisés contre les sentiments révolutionnaires). il s’agit d’un mouvement né dans les régions inexploitées, loin de la capitale, Halifax, où l’assemblée, par rapport à celle des autres colonies, demeure respectueuse du pouvoir impérial, voire pleine de déférence à son égard. La région se trouve aussi loin des villes de nouvelle-angleterre les plus proches, à des centaines de kilomètres de forêts sans voie de communication et séparée par des amérindiens qui sont, au mieux, neutres face à la cause des rebelles.

Le chef des rebelles, George Washington, autorise l’invasion du Québec qui, avec la nouvelle-écosse, espère-t-il, pourraient devenir les quatorzième et quinzième colonies à se joindre à la rébellion. À l’automne de 1775, deux forces rebelles convergent vers le Québec, l’une vers Montréal, où Carleton s’efforce de diriger la résistance de sa province, et l’autre par voie terrestre en passant par les forêts des appalaches en direction de Québec.

en vain, Carleton espère recevoir de l’aide des neuf mille vétérans canadiens de la guerre de sept ans ou de leurs nombreux enfants. Certains seigneurs se rallient à sa cause, mais beaucoup trop peu. La plupart des agriculteurs canadiens-français, les « habitants », ne ressentent aucune loyauté envers George iii. ils ont beaucoup souffert aux mains des pouvoirs 5 • les guerres pour la conquêTe de l’amérique (2) 95

français pendant la guerre de sept ans, ont connu de nombreuses pertes de vies humaines et des pertes économiques considérables, et les Britanniques ont couronné le tout en incendiant et en pillant tout le long du saint-Laurent. C’est suffisant pour inciter à la prudence face à l’enthousiasme des seigneurs envers une guerre qui justifierait leur statut social (en tant qu’officiers) et leur apporterait gloire et faveurs.

en 1775, Carleton commence à recevoir une aide inattendue : les immigrants anglophones du Québec, qu’ils proviennent des îles Britanniques ou des colonies, se rallient au gouvernement. ils s’intéressent surtout à la traite des fourrures et leurs marchés se trouvent en Grande-Bretagne et non en amérique. La guerre les libère de la concurrence américaine et a pour effet de rendre à Montréal son ancien statut de capitale nord-américaine de la traite des fourrures. Mieux encore, les « Canadiens » qui s’adonnent à la traite des fourrures sont aussi susceptibles de percevoir l’avantage que peut leur apporter un lien avec la Grande-Bretagne. Cette perception s’intensifiera au cours des années de guerre qui suivront mais, au départ, elle n’est pas d’une grande utilité pour Carleton.

Finalement, à la mi-novembre, le gouverneur abandonne Montréal aux américains et s’enfuit sur le saint-Laurent couvert de glaces jusqu’à Québec, où l’attend une autre armée américaine. Heureusement pour Carleton, il parvient à constituer une force de défense avec ses maigres troupes et des volontaires de la ville ; cette force est suffisante pour résister à une armée américaine qui, fort heureusement, ne dispose pas d’une artillerie propre à assiéger une ville et doit donc s’en remettre à un blocus ou prendre Québec d’assaut. Comme beaucoup de soldats américains se sont enrôlés jusqu’à la fin de l’année seulement, leur commandant, richard Montgomery attaque la ville en pleine tempête de neige la veille du jour de l’an en 1775.

Les Britanniques repoussent l’assaut et Montgomery meurt au cours des combats. Les assiégeants maintiendront leurs positions sous les ordres de Benedict arnold, successeur de Montgomery, jusqu’au printemps.

Le printemps ramène des navires, des militaires et des vivres britanniques. Les américains se replient sur Montréal, puis sur le richelieu.

Carleton les suit lentement, dans l’espoir, peut-être, que moins il y aura d’effusion de sang, plus grandes seront les chances de raviver la loyauté des américains envers la couronne.

Cet espoir est vain et Carleton est critiqué avec raison pour avoir laissé échapper l’occasion d’anéantir l’armée américaine au Québec. Les américains battent en retraite pour mieux se battre plus tard, ce qu’ils font sous les ordres de Benedict arnold au lac Champlain. Par conséquent, une armée britannique considérable ne remontera pas le lac Champlain en direction d’albany et, en fin de compte, de la ville de new York en 1776, 96

UnE HIsTOIRE dU Canada

mais attendra la suite des choses dans des campements dressés autour de Montréal. Pour les ministres qui ont levé des impôts et une armée pour écraser la rébellion, ces résultats ne sont guère convaincants : Carleton n’aura plus jamais la chance de commander une armée offensive.

en mars 1776, les Britanniques quittent Boston et font voile vers Halifax, où un nouveau général britannique, sir William Howe, a regroupé une grande armée, la plus importante qu’on n’ait jamais vue en amérique du nord. il transporte son armée par bateau jusque devant new York et erre au large des côtes pendant que les rebelles rassemblés dans la ville célèbrent la déclaration d’indépendance américaine à l’égard de la Grande-Bretagne le 4 juillet. À partir de ce moment, toute tentative de réconciliation sera futile : les Britanniques ont le choix entre la guerre et l’abdication face à l’indépendance américaine.

disposant d’une telle armée, ils optent tout naturellement pour la guerre et, au départ, la fortune sourit à la couronne. reconquérir un territoire aussi vaste que l’amérique n’est pas une mince affaire ; sur le plan stratégique, cela se défend, non en raison de la taille de l’armée britannique, mais parce que le gouvernement britannique peut compter, ou croit pouvoir compter, sur un grand nombre d’américains pour le soutenir « en aidant les bons américains à vaincre les mauvais ». Comme l’écrira l’historien Piers Mackesy, « l’armée britannique va briser la puissance des rebelles et organiser et soutenir les Loyalistes qui maintiendront l’ordre dans le pays5 ». il croit aussi que, dans un combat en règle, les Britanniques peuvent vaincre les américains. Cela semble se confirmer quand le général Howe défait Washington à Long island au mois d’août, s’empare de la ville de new York en septembre et marche à travers le new Jersey sur la capitale rebelle, Philadelphie. Howe espère que la simple apparition de la grande puissance britannique suffira à rallier de loyaux sujets jusque-là intimidés par les rebelles et, pendant une brève période, il semble qu’il ait vu juste.

et si l’armée britannique continue à chasser les rebelles devant elle, si l’armée britannique continue à paraître irrésistible, les rebelles risquent de désespérer de leur cause et les « Loyalistes » finiront peut-être par prendre le contrôle des diverses colonies.

Pour montrer sa puissance, toutefois, Howe doit occuper le territoire et cela signifie qu’il doit disperser ses troupes en plus petites garnisons au new Jersey, ce qui les rend vulnérables à des contre-attaques des rebelles.

et c’est ce que fait George Washington, le commandant de l’armée rebelle : il se présente devant plusieurs avant-postes britanniques au new Jersey, repousse les Britanniques vers new York et, fait plus important, annule les gains politiques de Howe au sein de la population américaine. Pour les Britanniques et les Loyalistes américains, il s’agit là d’un sérieux revers. du côté américain, les rebelles ont gagné du temps, sur le plan politique aussi 5 • les guerres pour la conquêTe de l’amérique (2) 97

bien que militaire, pour s’organiser, consolider leur rébellion et se chercher des alliés dans cette lutte. en europe, cela n’échappe pas aux rivaux de la Grande-Bretagne, surtout à la France et à l’espagne, et si la prudence dicte les actions du gouvernement français, dans les milieux intellectuels et ceux que l’on qualifiera plus tard de « progressistes », la cause des rebelles suscite beaucoup d’enthousiasme. Mais les Britanniques les plus libéraux et modérés rebutent aussi à s’indigner devant leurs cousins transatlantiques.

Comme le soulignera l’historien américain david Hackett Fischer, les Whigs anglais « ne peuvent écraser la résistance américaine sans trahir les valeurs que, selon eux, le gouvernement représente6 ».

Le gouvernement britannique bénéficie encore d’une année, 1777, pour mettre un terme à la rébellion avant que les intérêts français se transforment en interférence française. Les tentatives d’établir une stratégie cohérente se heurtent aux difficultés de communication, au fait qu’il faut compter des semaines avant que l’information traverse l’atlantique ou se rende même de Québec à new York. Mais le souvenir de la guerre précédente contre les Français – quand trois armées ont convergé vers Montréal pour forcer l’armée française à se rendre – demeure frais à la mémoire. Cette fois-ci, le gouvernement britannique prévoit utiliser ses bases à Montréal, new York et les forts des Grands Lacs pour lancer une attaque sur trois fronts contre albany et la vallée du fleuve Hudson. s’il y parvient, les colonies seront scindées en deux et le centre de la rébellion, la nouvelle-angleterre, sera isolé des autres colonies.

Pour cela, tous les éléments doivent se mettre en place en même temps ; une fois donnés, les ordres doivent demeurer tels quels et être respectés. Mais ce n’est pas le cas, de sorte que le plan tombe à l’eau. L’armée du nord, placée sous les ordres du général John Burgoyne, doit compenser les occasions manquées l’année précédente. elle avance lentement et méthodiquement vers le sud et albany, laissant aux rebelles assez de temps pour rassembler leur propre grande armée. L’armée du sud, commandée par le général Howe, ne bouge pas du tout et quand elle finit par le faire, elle prend la mauvaise direction, contournant le new Jersey par la mer en direction de Philadelphie, la capitale rebelle. Howe s’empare de Philadelphie en septembre sans rencontrer trop de difficultés, mais n’est pas certain de ce qu’il doit en faire ensuite. Quoi qu’il en soit, cette prise est totalement inutile pour son collègue Burgoyne, qui a besoin d’aide. Harcelé et entouré par les rebelles, Burgoyne est obligé de se rendre à saratoga en octobre.

Une troisième force britannique, constituée de soldats de métier et d’alliés amérindiens, connaît elle aussi la défaite à bonne distance d’albany.

Cette victoire inutile et ces deux sérieux revers ont des conséquences désastreuses pour la cause britannique. sur le plan diplomatique, les 98

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nouvelles en provenance de saratoga encouragent le gouvernement français à signer une alliance avec les rebelles au début de l’année 1778. Une guerre s’ensuit, au cours de laquelle une flotte française nettement améliorée conteste la maîtrise des Britanniques sur les mers et force le gouvernement britannique à ramener des ressources navales d’amérique du nord dans les eaux européennes. Les Britanniques évacuent Philadelphie en 1778 et battent en retraite vers new York. Quand, en 1779, l’espagne entre en guerre à son tour, la position stratégique de la Grande-Bretagne se détériore encore.

Le gouvernement britannique fait une tentative, tardive, pour réconcilier les colonies avec l’empire. en 1778, une Declaratory Act accède à ce qui constituait la principale revendication des colonies : le Parlement concède solennellement le droit de lever des impôts aux colonies. Les recettes perçues dans les colonies doivent donc être dépensées dans les colonies et non plus réquisitionnées à des fins impériales. Cette loi ne demeure pas tout à fait lettre morte puisqu’elle est directement applicable aux colonies qui demeurent des possessions britanniques, soit la nouvelle-

écosse et le Québec. elle deviendra plus tard un principe fondateur d’un empire renouvelé, mais elle ne permet en rien de récupérer les colonies perdues d’amérique.

en amérique du nord, les rebelles ne sont pas en mesure d’attaquer les Britanniques à new York, n’ont pas la puissance maritime nécessaire pour menacer la nouvelle-écosse et ne peuvent se passer de troupes pour les envoyer attaquer Québec. Une guérilla le long des appalaches oppose des unités loyalistes avec certains alliés iroquois et des pionniers agriculteurs à new York et en Pennsylvanie. Les pertes sont considérables dans les deux camps et les iroquois qui favorisent les Britanniques sont chassés de chez eux et finissent comme réfugiés sous les canons du fort niagara. Ce fort devient alors la base de raids sanglants des Loyalistes et des Mohawks contre la frontière coloniale7.

Le général Howe perd son poste, mais son successeur, le général sir Henry Clinton, n’a pas de solution magique à offrir, sinon de poursuivre les tentatives de ralliement des Loyalistes à la cause britannique pour finir par ré-établir le pouvoir britannique. ses espoirs ne sont pas totalement sans fondements, quoique les augures, après saratoga et l’intervention française, ne soient guère favorables. Les Loyalistes sont, ou ont été, nombreux dans le sud. Coincé par l’armée américaine devant new York, Clinton se dirige vers le sud en 1779, s’empare de savannah et réoccupe la Georgie, puis la Caroline du sud, où les Loyalistes sont à la fois nombreux et actifs. Pendant une brève période, il semble que les Britanniques pourraient parvenir à étouffer la rébellion une colonie à la fois et s’en remettre à la lassitude de la guerre dans les colonies du nord pour miner la cause américaine.

 

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Cette occasion s’évanouit. Comme au new Jersey en 1776, les Britanniques doivent une fois de plus disperser leurs troupes pour protéger leurs partisans loyaux et s’exposent ainsi à une stratégie de harcèlement des guérilleros rebelles. Les Loyalistes rétorquent et les conséquences, comme dans la plupart des guerres civiles, en sont sanglantes et futiles. Les Britanniques sont obligés de battre en retraite vers les villes portuaires de savannah et Charleston, alors que le gros de l’armée du sud britannique est encerclée par une force franco-américaine à Yorktown en virginie et forcée de se rendre en octobre 1781.

Par la suite, Charleston, savannah et new York sont surtout utiles comme points de rassemblement des réfugiés qui fuient les représailles des rebelles. Certains se sauvent en passant par le lac Champlain jusqu’au Québec, où les autorités établissent un camp à sorel. Beaucoup de Loyalistes partent alors pour la Grande-Bretagne tandis que d’autres s‘enfuient aux Bermudes ou dans les antilles.

À la fin de 1781, il est évident que leurs espoirs de rentrer chez eux victorieux sont perdus. ils ont misé sur la puissance britannique et contre la rébellion, contre la perturbation de l’ordre normal des choses, contre le désordre et la violence, et ce sont le désordre et la violence qui ont prévalu. désormais, leur avenir se trouve entre les mains des diplomates britanniques envoyés à Paris pour conclure les meilleures conditions de paix qu’ils pourront obtenir avec les américains, les Français et les espagnols.

LA pAix, LES AméRicAinS ET LES LOyALiSTES

Les Britanniques ont subi une cuisante défaite dans leur tentative d’écraser la rébellion américaine qui, une fois la victoire obtenue, sera connue sous le nom de révolution américaine. ils n’ont cependant pas tout perdu. sur les mers, les américains ne peuvent faire grand-chose sinon lancer des raids ou piller les navires marchands britanniques. La flotte britannique maintient son contrôle, parfois fragile, sur l’atlantique, assez pour garder la nouvelle-écosse, terre-neuve et le Québec à l’abri des invasions. Les vastes étendues protègent les approches du Québec et des Grands Lacs, et la guérilla ne constitue pas une menace pour les principales régions colonisées.

au moment où les représentants de la Grande-Bretagne, de la France, de l’espagne et des états-Unis d’amérique constitués depuis peu se réunissent pour négocier les conditions de la paix, la nouvelle-écosse et le Québec sont déjà devenus des refuges pour les Loyalistes et il est tout naturel pour le gouvernement britannique de les considérer sous cet angle.

Même si elle a eu une incidence sur les hypothèses du gouvernement quant 100

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à la façon de les aborder, la guerre n’a pas ébranlé les notions britanniques de la valeur des colonies. Le gouvernement n’est donc pas du tout prêt à abandonner les colonies : les Français n’en veulent pas, les américains sont incapables de s’en emparer et les Britanniques savent que, dans les circonstances les plus prévisibles, ils pourront les défendre contre une attaque américaine. Les Français le savent également. L’amérique du nord pourrait épuiser graduellement les ressources britanniques si elle était aux prises à l’avenir avec une république américaine hostile.

La reconnaissance, par la Grande-Bretagne, de l’indépendance américaine représente un élément essentiel du traité de paix. vient ensuite l’acceptation, de la part des américains, qu’ils ne peuvent chasser carrément les Britanniques d’amérique du nord. deux nations anglophones occuperont donc le continent, les états-Unis et la Grande-Bretagne, et, plus tard le Canada. Le traité établit une frontière partant de la baie de Fundy jusqu’au cours supérieur du fleuve Mississippi. il tient compte des pêcheurs américains au large des côtes de la nouvelle-écosse et de terre-neuve et leur permet de débarquer sur terre et de s’approvisionner dans des baies inhabitées. il « recommande », par l’entremise du Congrès, seule institution américaine commune, que les divers états rendent leurs propriétés aux Loyalistes ; étant donné le caractère indistinct du pouvoir du Congrès, cependant, c’est à tout le moins douteux. Les Loyalistes sont les grands perdants de la guerre civile qui a marqué la révolution américaine.

Les amérindiens ne se trouvent pas à Paris pour y négocier leur avenir. aucun des participants ne reconnaît leur souveraineté et leur territoire est morcelé sans tenir compte de sa valeur8. déjà, les iroquois de l’état de new York ont été inquiétés et certains dépossédés. Le même sort attend désormais les amérindiens de la vallée de l’Ohio, qui fait partie des états-Unis récemment créés.

Qui sont les Loyalistes ? ils proviennent de toutes les colonies, mais surtout des colonies du milieu, new York et la Pennsylvanie, plutôt que de la nouvelle-angleterre. Presque toutes les couches de la société sont représentées dans leurs rangs. dans les colonies du nord, les anglicans sont davantage portés à soutenir les Britanniques tout comme, bien entendu, les fonctionnaires du roi. Les minorités religieuses et ethniques, ainsi que les immigrants récents des îles Britanniques, sont eux aussi davantage portés à être en faveur de la couronne. des sectes religieuses comme les Quakers et les amish en particulier s’opposent à la guerre et à la violence, et leurs membres sont incapables de se plier aux exigences des révolutionnaires sur les plans de la conformité et du soutien.

de nombreux Loyalistes prennent les armes pour se battre pour le roi George. dans le sud surtout, des esclaves noirs s’enfuient vers les 5 • les guerres pour la conquêTe de l’amérique (2) 101

lignes britanniques et la liberté9. Certaines batailles, particulièrement dans le sud, opposent des américains exclusivement et les rebelles n’en sortent pas toujours victorieux. Quand les Loyalistes s’en vont, beaucoup le font par groupes, ce qui confère à leurs nouveaux établissements un caractère particulier.

dans de nombreux cas, la plupart peut-être, les Loyalistes ne sont guère différents de leurs voisins républicains, même sur un plan politique.

ils se rallient aux hypothèses de l’usage politique en Grande-Bretagne, croient en un gouvernement représentatif et tiennent à leur liberté et à la protection de la propriété privée. Bien sûr, ils voient les institutions britanniques d’un meilleur œil que les rebelles, convaincus que la couronne est plus susceptible de leur assurer réparation et sécurité de leur propriété que la voyoucratie dont certains américains rebelles font montre à l’endroit de leurs opposants10.

Les Britanniques acceptent de retirer leurs troupes du sol américain.

Le commandant britannique, sir Guy Carleton, est envoyé à new York pour superviser le démantèlement de la garnison britannique et l’évacuation des Loyalistes (déjà, savannah et Charleston ont été évacuées par les troupes britanniques). sur un ton glacial, Carleton refuse de rendre à son opposant, George Washington, les esclaves évadés qui ont cru en les promesses de liberté des Britanniques. ils sont transportés en nouvelle-écosse, d’où la plupart repart vers la nouvelle colonie libre du sierra Leone, en afrique de l’Ouest11. en novembre 1783, on descend le drapeau britannique et les derniers navires s’en vont.

LES cOnSéqUEncES DE LA GUERRE

La révolution américaine crée deux instances dans l’est et le nord de l’amérique du nord, là où il n’y en avait qu’une. au terme de la guerre, un grand nombre d’américains, quatre-vingt mille peut-être, sont dépossédés et deviennent des réfugiés à l’intérieur du pays. La moitié environ se rend en nouvelle-écosse et au Québec et reçoit des terres et de l’argent du gouvernement britannique en guise de compensation. À la suite de cette vague de migration loyaliste vers des terres essentiellement inhabitées, dans certaines régions, les régions retirées de nouvelle-écosse et l’ouest du Québec, en amont de Montréal, les réfugiés constituent la majorité de la population. Leur identité de loyaux sujets britanniques mais, fait tout aussi important, d’américains loyaux, avec des comportements et des identités façonnés du côté ouest de l’atlantique, influencera la politique et le développement des colonies où ils aboutissent12.

 

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La révolution divise les américains autant qu’elle divise la Grande-Bretagne et les états-Unis. Beaucoup conservent de l’amertume face à cette guerre. Pour certains membres de la génération révolutionnaire, dans les deux camps, jamais la guerre ne prend réellement fin, et tant que cette génération subsiste, l’issue de la guerre demeure fortuite et éphémère.

il n’est nullement assuré que les états-Unis eux-mêmes subsisteront et, si c’est le cas, quelle forme prendra la nouvelle république. Pour de nombreux américains, c’est une drôle d’idée que la république. d’autres éprouvent de la difficulté à s’ajuster à un mode de gouvernement fédéral lorsque la constitution américaine est adoptée en 1787. Les ex-américains vivant au Canada se réjouissent des difficultés initiales des états-Unis. Ça ne durera pas, ça ne peut pas durer, c’est sûr, se disentils, confiants.

Les communications de part et d’autre de la nouvelle frontière ne cessent pas. La frontière s’étend sur bien au-delà de quinze cents kilomètres, en grande partie sur des plans d’eau, de sorte qu’elle est invisible et encore bien plus impossible à surveiller. elle est franchie par des amérindiens, qui se refusent à la reconnaître, et des colons en quête de terres et de sécurité, pour qui elle ne suscite qu’une relative indifférence. au sud, les américains continuent à lire des publications britanniques, à acheter des produits anglais et à faire du commerce avec des marchands écossais.

L’afflux de marchandises britanniques par delà l’océan se poursuit, tout comme celui d’immigrants britanniques vers le nouveau pays que sont les états-Unis. On n’observe pas de scission de l’univers anglophone qui entoure l’atlantique, pas plus que de tout sentiment mutuellement hostile.

Les radicaux britanniques sont en admiration devant l’aventure américaine, alors que les anglophiles et les conservateurs américains gardent leur attrait à l’égard de nombreux aspects de la vie britannique13.

Les colonies britanniques restantes font désormais partie d’une relation anglo-américaine plus vaste, mais n’en seront jamais le principal élément. si le gouvernement ou l’élite dirigeante britannique avait soif de revanche, obsédé par la honte causée par la perte d’une grande partie de l’amérique, l’avenir de la nouvelle-écosse et du Québec, noyau du futur Canada, pourrait s’en trouver bien changé. Mais jamais, en Grande-Bretagne, ne songera-t-on sérieusement à la reconquête de l’amérique. Pas plus que les colonies restantes n’auront un jour la même importance que les anciennes colonies.

 

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Une histoire du Canada
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