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la population américaine double ; de ce pays de 7,2 millions d’habitants, 300 000 vivent au-delà des appalaches dans les nouveaux territoires situés au sud des Grands Lacs. On observe une migration à l’échelle continentale vers l’ouest en franchissant les appalaches et remontant le saint-Laurent jusqu’à l’extrémité occidentale des Grands Lacs.

La population de l’amérique du nord britannique rocheuse, marécageuse et glacée est beaucoup plus modeste et les chiffres sont moins fiables. au meilleur de notre connaissance, il y a environ 166 000 habitants blancs sur les terres correspondant aux provinces de la nouvelle-écosse et du Québec en 1784 et 392 000 en 18061.

Pour voyager, il faut des chalands et des barges pour suivre les cours d’eau navigables et faire des portages autour des nombreux rapides ou sur les hautes terres séparant la région de l’atlantique de l’intérieur du continent. Certains nouveaux-venus répondent à des stimulations politiques, le meilleur exemple étant celui de la migration des américains loyaux, les Loyalistes, vers le territoire britannique au nord de la nouvelle frontière. Mais lorsque les américains déloyaux, venus plus tard du sud et de l’est, atteignent les limites du territoire britannique, rien ne peut les arrêter et les attraits sont nombreux, car les habitants sont dispersés et les terres disponibles sont abondantes. La logique de la colonisation dicte le développement, qui requiert lui-même une population. Une population, il y en a bien une, mais elle provient des états-Unis.

Une fois les colons sur place, la colonisation se révèle pénible. Les fermes pourraient fournir des moyens de subsistance mais il faut commencer par défricher la terre, abattre des arbres, arracher et brûler des souches au rythme de quelques hectares par année. il faut du temps, de l’argent et de la chance avant qu’une ferme ou une rangée de fermes puissent produire des récoltes que l’on pourra vendre sur les marchés locaux qui, en raison de l’état des chemins, peuvent exiger des jours, voire des semaines, de voyage. Les cours d’eau représentent le meilleur mode de transport, mais en amérique du nord britannique (qu’on commence à appeler le Canada), le transport est saisonnier, régi par le dégel et le gel et, bien sûr, par l’accumulation de neige sur les routes. il y a de petits bateaux à voile sur les lacs et des canots et des barges sur les cours d’eau, mais leur capacité de transport de marchandises est limitée.

Pour les habitants de l’amérique du nord britannique, l’europe semble incroyablement loin, à la fois dans l’espace et dans le temps. dans le meilleur des cas, les nouvelles mettent des semaines à parvenir sur la côte atlantique et bien plus encore à l’intérieur des terres. Pourtant, les nouvelles, les marchandises, les idées et les modes y parviennent et on y attache d’autant plus d’importance qu’elles proviennent de la lointaine 6 • les guerres pour la conquêTe de l’amérique (3) 107

europe. L’identité des colons, l’image qu’ils ont d’eux-mêmes, est liée à l’europe et à la mère patrie, la Grande-Bretagne. L’amérique du nord britannique ne revêt aucun sens sinon comme une projection de la Grande-Bretagne et les décisions prises en Grande-Bretagne ont des conséquences énormes sur les sociétés coloniales de l’autre côté de l’océan.

et pas uniquement dans les colonies ; au-delà se trouvent les nations de l’amérique autochtone. dans les années 1780, la plupart des indiens d’amérique du nord sont en contact direct ou indirect avec l’europe et les européens. Les plus proches de la ligne de colonisation subissent l’influence profonde et, à de nombreux égards, la dépendance à l’égard des marchandises européennes, les vêtements et les métaux étant les plus évidentes2. Les indiens des Plaines ont capturé des chevaux égarés que les espagnols ont amenés au Mexique : au dix-huitième siècle, dans les plaines, c’est à dos de cheval et avec des armes à feu que l’on fait la chasse et la guerre.

Les commerçants cherchent des fourrures, surtout des castors, et plus on s’éloigne vers l’ouest et le nord, meilleures sont les fourrures. Le castor du nord a une fourrure plus épaisse, désirable et lucrative sur les marchés de Londres, et c’est dans le pays de l’athabasca, à l’extrémité nord-ouest des grandes plaines, dans les lacs et les cours d’eau qui s’écoulent vers le nord en s’éloignant du Mississippi et de la baie d’Hudson, que l’on trouve les meilleurs castors. Les marchands de Montréal atteignent ces régions dès le début des années 1780. aucune clause du traité de paix ne pourra les empêcher d’aller plus loin.

LA pOLiTiqUE impéRiALE

après 1783, le Québec est le plus grand territoire qui reste à l’empire britannique et, sur le plan démographique, c’est la plus grande colonie de peuplement. Ce n’est ni la plus riche ni la plus importante économiquement parlant des possessions britanniques mais, en raison de son histoire et de son emplacement, c’est, pour l’instant, la plus importante sur le plan politique.

Les colonies nord-américaines coûtent cher. en 1778, dans une tentative tardive pour apaiser l’opinion publique américaine, le Parlement a adopté le Declaratory Act, par lequel il renonçait à son pouvoir de lever des impôts dans les colonies. toujours en vigueur, cette loi régit toutes les relations futures entre la Grande-Bretagne et les colonies. en pratique, elle signifie que tous les impôts levés dans une colonie doivent y être dépensés.

Mais elle établit un autre principe : les habitants du Québec n’ont aucun moyen de donner leur consentement à des taxes, qui doivent leur être 108

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imposées par décret ou ne pas l’être du tout. donner son consentement suppose la constitution d’une assemblée, dont les membres doivent être élus.

il faut faire quelque chose mais personne ne sait quelle direction prendre.

La révolution n’a en rien modifié la perception britannique de l’empire comme un espace politique fermé, réglementé par le gouvernement métropolitain même si ce dernier n’y perçoit plus d’impôts directs. La mère patrie produira des marchandises pour les colonies, que ces dernières échangeront contre leurs matières premières. Le poisson de la nouvelle-

écosse et de terre-neuve servira à alimenter les colonies d’esclaves britanniques dans les antilles, tandis que le blé du Québec ou le bois du nouveau-Brunswick serviront à combler les besoins des Britanniques. On suppose que les colonies sont politiquement stables et, si ce n’est pas le cas, il incombe au gouvernement de veiller à rétablir la situation.

Les Loyalistes représentent donc un élément d’une équation politique plus vaste. ils ressentent une amère déception face à l’issue de la révolution, dont ils rejettent la responsabilité, à parts approximativement égales, sur leurs anciens voisins, les rebelles, et sur des généraux britanniques incompétents. Loyaux, ils sont aussi sceptiques : loin de se passionner pour la moindre mesure prise par le gouvernement britannique, ils s’attendent à ce que ce dernier fasse amende honorable.

Quelque quarante mille Loyalistes débarquent sur les côtes canadiennes. Beaucoup ont défendu le roi pendant la révolution et se retrouvent au Canada avec leurs unités une fois la guerre terminée. ils se retrouvent aussi, pour la plupart, dépourvus de biens, que les rebelles leur ont confisqués chez eux. il faut tout d’abord les loger et les nourrir ; un jour, il faudra les indemniser pour ce qu’ils ont laissé derrière eux.

Les gens ordinaires parmi les Loyalistes reçoivent des concessions de deux cents acres (un peu plus de quatre-vingts hectares). Quant aux officiers, selon leur rang, ils peuvent recevoir jusqu’à cinq mille acres (deux cents hectares). Comme il faudra du temps et des efforts pour rendre ces concessions habitables et rentables, le gouvernement leur fournit des outils, le logement et de la nourriture. des villes naissent là où il n’y avait qu’un

« véritable désert », pour reprendre les termes d’un de ces Loyalistes. en une seule année, 1783, quinze cents habitations sont construites dans la nouvelle ville de saint-Jean, au nouveau-Brunswick. d’autres sont construites à shelburne, de l’autre côté de la baie de Fundy.

en fait, saint-Jean est bien située, avec un bon port et une vallée fertile le long de la rivière qui pénètre dans les terres. Ce n’est pas le cas de shelburne, si bien qu’au bout du compte, les Loyalistes quittent ce lieu, certains pour se rendre ailleurs en nouvelle-écosse, d’autres pour retourner 6 • les guerres pour la conquêTe de l’amérique (3) 109

aux états-Unis, d’autres encore pour entreprendre le long voyage jusqu’au Haut-Canada.

strictement parlant, ni le nouveau-Brunswick ni le Haut-Canada n’existent encore en 1783. Le gouvernement les crée en 1784 et 1791 respectivement, en grande partie pour répondre aux revendications loyalistes d’un pouvoir local responsable avec des institutions familières et compatibles. il semble que la loyauté ne soit pas inconditionnelle : les Loyalistes sont des Américains loyaux qui se démarquent de leurs cousins américains par certains aspects de la politique ou, plus exactement, de la politique telle qu’on la définira plus tard. sur d’autres points, par exemple des assemblées élues et représentatives, il n’existe aucun désaccord entre les deux camps.

À la fin du dix-huitième, siècle, en Grande-Bretagne comme en amérique du nord, la politique ne se différencie guère des différends entre factions et les partis politiques sont un concept très flou. L’intérêt national, personnifié par le monarque ou, dans les états-Unis tout récemment créés, par le président, a préséance sur la politique. sur ce plan, les gouverneurs britanniques du Québec et de la nouvelle-écosse ne sont guère différents de George Washington. Comme toujours, le problème consiste à découvrir l’intérêt national et à amener les divers personnages politiques à s’entendre sur ce point.

de l’autre côté de la frontière, c’est George Washington, un général, qui devient président en vertu de la nouvelle constitution américaine, qui vient tout juste d’être adoptée. au Canada, sir Guy Carleton, général lui aussi, devient pour la deuxième fois gouverneur du Québec en 1786, remplaçant à ce poste Frederick Haldimand, un autre général. déjà, le frère cadet de Carleton, le colonel thomas Carleton, préside aux destinées du nouveau-Brunswick.

LE GOUVERnEmEnT, LE TERRiTOiRE

ET LA qUESTiOn AméRinDiEnnE

dans les années 1780, il est relativement simple de gouverner. il y a une administration centrale, des gouverneurs, des conseillers et des employés. il y a aussi des tribunaux, qui appliquent le droit criminel anglais et, sauf au Québec, la common law anglaise également. il y a les militaires, l’armée, la marine et une milice, dans lesquelles on s’attend à ce que servent tous les hommes bons pour le service qui ont entre seize et soixante ans. il y a des percepteurs, qui recueillent les droits et autres frais. il y a un bureau de poste et un ministère des amérindiens.

Une histoire du Canada
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