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LA cOLOniSATiOn ET LA pAciFicATiOn DE L’OUEST
Le chemin de fer est le bienvenu car, cette même année, Louis riel dirige une nouvelle rébellion sur les rives de la rivière saskatchewan. en 1885, riel n’est plus l’homme qu’il a été. vieilli, attristé, marqué par les expériences et la malchance, riel est convaincu d’être investi d’une mission divine : obtenir justice pour lui-même, son peule métis et, de manière plus générale, pour les colons de l’Ouest. Macdonald traite l’Ouest avec une indifférence distante, y expédiant des gouverneurs et des agents indiens et l’occupant à l’aide d’une gendarmerie, la Police à cheval du nord-Ouest (ou P.C.n.-O., l’ancêtre de la Gendarmerie royale du Canada ou GrC).
Le gouvernement a signé des traités avec les indiens des Plaines afin de les amener à abandonner leurs terres contre des réserves à la charge du gouvernement. L’expérience des guerres indiennes aux états-Unis voisins leur montre bien quel pourrait être leur sort s’ils essaient de résister.
La politique du gouvernement profite de la famine : les autochtones qui pourraient avoir des réticences à se rendre dans les réserves découvrent qu’ils n’ont guère d’autre choix s’ils veulent nourrir leur famille respective.
Quelques colons arrivent en provenance de l’est, surtout de l’Ontario, et beaucoup d’entre eux s’arrêtent au Manitoba. La vieille manière de vivre des Métis est en train de disparaître : la traite des fourrures a baissé et s’est déplacée, les bisons sont partis et les colons ont importé de nouvelles façons de faire les choses et un gouvernement pour les imposer. réagissant à cela, les Métis s’avancent davantage dans l’Ouest, jusqu’à la vallée de la saskatchewan ; là aussi, leurs voisins sont des Blancs. Beaucoup de ces derniers sont mécontents de voir ce qu’ils prennent pour de la négligence officielle et une exploitation par l’est : on peut raisonnablement avancer que c’est à cette époque que commence à naître un sentiment régional dans l’ouest du Canada6.
il ne fait pas de doute que les colons aient des doléances. sont-elles justifiées ? Pour la plupart, les problèmes ont trait à la terre, à l’arpentage et aux titres fonciers. Ottawa prépare sa réponse mais, pour toute sorte de raisons, dont certaines échappent au contrôle du gouvernement, la réponse tarde à venir. de sorte qu’à l’été 1884, les communautés de la rivière saskatchewan nord, composées de colons et de Métis, invitent Louis riel, en exil aux états-Unis, à revenir au Canada et à les conseiller, sinon les représenter, dans leurs différends avec le gouvernement du dominion. riel accepte leur invitation.
nul doute que le programme de riel diffère de celui des colons. il cherche à obtenir réparations et indemnisation, en partie pour lui-même, et en partie pour son peuple, les Métis francophones. il est convaincu que 210
UnE HIsTOIRE dU Canada
les Métis ont hérité de la terre, avec les amérindiens ; mais, à l’encontre de ces derniers, ils n’ont pas cédé leur patrimoine au gouvernement canadien par voie de traité. dans l’univers de riel, il n’y a aucune place pour les colons, sinon comme intrus. Le gouvernement négocie bel et bien avec lui et il serait peut-être possible de trouver un terrain d’entente concernant les revendications territoriales des Métis sur leurs lots en bordure de la rivière saskatchewan nord. Mais la réalité se heurte à la ferveur messianique de riel. il se perçoit comme un prophète et l’organisateur d’une nouvelle église, au sein de laquelle, l’évêque de Montréal, source de son admiration, serait pape.
Macdonald voit en riel de la cupidité et de la malhonnêteté tandis que ce dernier voit dans le gouvernement faux-fuyants et supercherie.
Lorsque riel passe à la rébellion armée, Macdonald rassemble une armée de huit mille hommes et la dépêche vers l’Ouest en empruntant le nouveau Chemin de fer Canadien Pacifique. transportés par le CP et approvisionnés par la Compagnie de la baie d’Hudson, les soldats atteignent sans peine le quartier général de riel à Batoche et infligent une défaite aux insurgés en mai 1885. Certains dirigeants rebelles prennent la fuite mais riel se rend aux soldats canadiens. au cours de cette brève rébellion, quelque quatre-vingts personnes ont perdu la vie.
riel est jugé à regina devant un jury local et accusé de trahison. ses avocats tentent de convaincre la cour que leur client est dément et, compte tenu de ses fantasmes religieux, leur défense est à tout le moins extrêmement plausible. Cependant, riel veut établir sa crédibilité de prophète et se laisse inspirer par un sentiment sincère d’injustice personnelle. il parvient à convaincre le tribunal qu’il est en réalité suffisamment sain d’esprit pour avoir commis un crime de trahison. reconnu coupable, il est condamné à la pendaison.
Ces événements se déroulent en août 1885. il s’ensuit une longue et très pénible crise politique. après tout, riel est canadien-français et, dans un certain sens, catholique. sa cause a fait de nombreux adeptes au Québec, où il est devenu un symbole du bafouement injuste des droits de la minorité par une majorité impitoyable. en réalité, la majorité se sent elle aussi provoquée et exige la pendaison de riel comme la loi l’exige. Macdonald se sent pressé par le Québec d’épargner la vie de riel mais pressé par l’Ontario de mettre la sentence à exécution.
Peu enclin à faire preuve de sympathie, Macdonald n’en fait pas moins examiner riel pour chercher des preuves de démence. deux médecins, un anglais et un Français, sont envoyés à regina afin d’examiner le prisonnier et posent des diagnostics radicalement différents. À ce moment comme il le fera par la suite, Macdonald traite à la légère les avis 9 • expansion eT désillusion, 1867–1896