KinG ET LE cHAOS
Comme on l’a noté, King a beaucoup de veine comme homme politique. son accession au pouvoir coïncide avec l’amélioration de la situation économique. Celle-ci demeure désespérée dans les Prairies mais, au Québec et en Ontario, dont les économies sont diversifiées, les choses ne vont pas si mal. Les finances provinciales demeurent en crise, ce qui force d’autres renflouements des provinces, ce que King gère dans le même esprit mesquin et parcimonieux que son prédécesseur. Mais Bennett a déjà supporté le fardeau de la Crise. Leur ressentiment en grande partie évacué, la plupart des Canadiens n’ont rien à reprocher à King. et c’est très bien ainsi car King n’a pas la moindre idée de la façon dont on peut régler la Crise et le fait qu’il soit économiste de formation peut empirer les choses car l’économie orthodoxe n’a pas la moindre solution à offrir.
King signe néanmoins un accord commercial réciproque avec le président roosevelt, celui-là même que Bennett a négocié. il défend alors la position canadienne dans les négociations commerciales triangulaires entre Britanniques, Canadiens et américains dans les années 1937-1938.
Convaincu que les Britanniques s’occuperont d’abord de leurs propres intérêts et de ceux du Canada bien longtemps après, il insiste pour obtenir 308
UnE HIsTOIRE dU Canada
dédommagement de toute concession faite par les Britanniques aux états-Unis.
King se trouve en terrain familier lorsqu’il négocie avec les Britanniques et les américains. il a vécu dans les deux pays et détient un Ph.d. de Harvard. il se trouvait à Harvard à peu près à la même époque que roosevelt et les deux hommes ne tardent pas à s’inventer un passé qui pourrait justifier leur amitié officielle actuelle. Curieusement, King et roosevelt entretiennent des liens amicaux. Homme prudent et discret, King a de nombreuses relations sociales opportunes. Plus que tout, le premier ministre a la prudence de ne pas présenter trop de requêtes au président ; quand il le fait, cependant, roosevelt l’écoute. Ce dernier lui fait même la faveur de lui donner des conseils politiques. Observant les difficultés de King à trouver un équilibre entre le Canada anglais et le Canada français, roosevelt lui conseille d’assimiler les Canadiens français le plus tôt possible. Cela fonctionne aux états-Unis, où il y a une importante population canadienne-française, surtout en nouvelle-angleterre : cela devrait fonctionner au Canada également6. King ne donne aucune réponse officielle.
roosevelt voit juste lorsqu’il pense que King consacre beaucoup de temps à la gestion des relations entre Canadiens anglais et français.
Pendant les années 1920, King était totalement dépendant du Québec pour obtenir des majorités proportionnelles au Parlement. en 1935, son lieutenant québécois, ernest Lapointe, arrive au Parlement et au cabinet à la tête d’une forte délégation québécoise. King se fie à Lapointe et, selon les preuves disponibles, même s’il n’est pas d’accord avec les arguments de Lapointe ou peut-être qu’il ne les comprend pas, il les acceptera, si grande est sa confiance envers le jugement de son lieutenant.
Lapointe sait que certaines régions du Québec ont beaucoup souffert de la Crise et qu’il y a, dans la province, une bonne dose de ferment social et politique à l’œuvre. Les signes de l’orientation politique au Québec pointent vers la droite et non la gauche comme dans les Prairies. Homme aux penchants plutôt libéraux, Lapointe le déplore mais en vient à la conclusion que, pour maintenir un Québec relativement calme et animé d’un esprit de collaboration au sein du Canada, il doit travailler avec le Québec tel qu’il est et non tel que lui-même voudrait qu’il soit. il pressent, et King sait, que la situation internationale est instable et potentiellement très explosive.
Parmi les possibilités figure une guerre généralisée et, s’il s’en déclare une, il ne sera pas facile pour le Canada de se tenir à l’écart.
Lapointe, comme King, ne peut s’empêcher de penser sans cesse à la Grande Guerre. elle n’a pas eu bonne presse au Québec et, fait incroyable, la conscription alimente encore davantage les débats en 1935 ou 1936 qu’en 12 • mondes hosTiles, 1930–1945