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L’affluence et ses malaises

1960–1980

L’église catholique romaine de st. Mary, à red deer, en alberta, conçue par l’éminent architecte canadien Harold Cardinal. Le mélange d’ancien et de moderne réalisé par Cardinal rappelle le passé et les traditions du Canada au bénéfice d’une époque marquée par l’incertitude et l’inquiétude.

 

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CommenTanT par écriT la situation du Canada dans les années 1980, trois historiens ont recours à la même expression pour décrire l’histoire récente du pays : « réussite spectaculaire ». À bien des égards, c’est vrai mais cette réussite est assortie de réserves. sur le plan matériel, elle ne laisse presque aucun doute. Les années qui séparent les décennies 1960 et 1980

sont une période de prospérité quasi ininterrompue. Le Canada est riche.

en termes de pouvoir d’achat, les Canadiens gagnent deux fois plus en 1985 qu’en 19601. selon la mesure à laquelle les Canadiens ont toujours eu recours, celle de leur revenu par rapport aux américains, ils atteignent un record de tous les temps au début des années 1980 : 83 pour cent du revenu par habitant chez les américains en 19812.

il existe d’autres façons de mesurer la réussite et, à ces égards, la performance du Canada est moins impressionnante. Pendant les années 1960, la réaction des Canadiens à la prospérité n’est pas de s’unir mais bien de se diviser. il semble que le problème de l’affluence est qu’il n’y en a pas suffisamment ou, de manière paradoxale, qu’il y en a trop. devant une telle richesse récente, les gens deviennent de plus en plus impatients à propos de la façon de l’utiliser, ce qui entraîne de la déception chez les décideurs occupés à concevoir et imposer des solutions rationnelles à ce qu’ils considèrent comme des problèmes résolubles.

sur les plans générationnel, régional et linguistique, le pays se débat avec les questions de comment utiliser l’argent et les choses qu’il permet d’acheter. Laissées pour compte dans les années 1940 et 1950, les régions exigent les mêmes occasions que le reste du pays. Les minorités ethniques et raciales parlent d’inégalité et de discrimination, historiques et actuelles, et exigent réparation immédiate. Chez les jeunes, beaucoup remettent en question l’importance de l’argent pour bien vivre, un message qui aurait pu provenir autrefois des églises mais qui, en cette être de laïcisation, émane de prophètes profanes plutôt que de chaires religieuses. Ce sont les malaises tout autant que l’affluence qui déterminent l’humeur des années 1960 et 1970.

Car, pendant la plus grande partie de ces décennies, la chance sourit au Canada. son PnB ne cesse de croître pendant les années 1960, jusqu’en 1974 en réalité, puis, après quelques ratés, il reprend son ascension jusqu’en 1981. Le taux de chômage tombe à 3,4 pour cent en 1966, puis connaît des hauts et des bas, chaque vague successive étant plus forte que la précédente : 4,4 pour cent en 1969, 5,3 pour cent en 1974 puis 7,5 pour cent en 1980 avant de franchir la barre des dix pour cent en 1982. Les taux de chômage au Canada, tout en suivant ceux des états-Unis, sont nettement plus élevés qu’en europe occidentale et au Japon jusqu’au début 371

 

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des années 19803. au début des années 1960, l’europe s’est déjà en grande partie remise de la guerre, ce qui signifie que le revenu et le pouvoir d’achat y sont de plus en plus semblables à ceux du Canada. On ne s’en surprendra pas, l’immigration en provenance d’europe continentale vers le Canada marque une tendance à la baisse ; cela vaut aussi pour celle en provenance du royaume-Uni.

Lorsqu’on traverse le pays, la prospérité est visible partout. Être prospère est en soi une nouveauté mais le simple fait de traverser le pays en automobile était totalement inconcevable pour les générations précédentes, plus pauvres. Grâce à la route transcanadienne, une route financée par le gouvernement fédéral et parachevée en 1965, il devient possible de franchir la distance qui sépare terre-neuve de l’île de vancouver4. La route relie toutes les provinces canadiennes, juste à temps car le réseau ferroviaire transcontinental du Canada commence à rétrécir : après 1969, il n’est plus possible de traverser terre-neuve en train.

dans tout le Canada, les villes tentaculaires s’étendent. Les terres agricoles deviennent des banlieues ou des parcs industriels, reliés par des routes à quatre bandes. Les zones urbaines croissent non seulement à l’horizontale mais aussi à la verticale. Un poète contemporain écrit :

« Skyscrapers Hide the Heavens » (Les gratte-ciel cachent le ciel)5. C’est littéralement le cas, mais aussi sur un plan symbolique, car les tours de bureaux et les immeubles résidentiels en béton éclipsent les clochers des églises qui dominaient autrefois les agglomérations canadiennes, petites et grandes.

À la suite de la migration, depuis les campagnes et l’étranger, les villes se remplissent. La fluctuation du nombre d’immigrants est importante, entre une crête de 223 000 personnes en 1967 et un creux de vague de 72 000 en 1971, avant de demeurer à plus de 100 000 pendant la plus grande partie des années 1970. Jusqu’en 1963 et pendant quelques années encore, le taux de natalité joue lui aussi un rôle important dans la croissance démographique canadienne. Les écoles sont pleines à craquer et l’on assiste à un étalement des banlieues au rythme de la constitution des familles qui, dans les années après 1945, est soutenu. Le baby boom est en marche et, au début des années 1960, il ne présente aucun signe d’essoufflement. C’est en soi un indice de prospérité, la croissance en capital humain reflétant les investissements en capital dans du béton et de l’acier.

si l’urbanisation suppose un changement dans la perception que les Canadiens ont d’eux-mêmes ou de leur société, on ne peut pas dire que les villes soient le seul élément à exercer de l’influence sur le mode de fonctionnement de la société. La société canadienne est jeune ; la pyramide des âges s’élargit à la base. Les modes d’existence, les idées et la politique 14 • l’affluence eT ses malaises, 1960–1980

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changent avec les générations, de sorte qu’on n’aurait pu imaginer en 1963

ce que devient le Canada au début des années 1970.

aux yeux de certains Canadiens s’exprimant avec aisance, le pays dans son ensemble est trop satisfait de lui-même, trop tranquille et même trop suffisant, mais selon l’impression populaire, ils sont minoritaires, principalement confinés dans une province de saskatchewan dirigée par des socialistes ou dans les grandes villes ; on peut s’attendre à ce que les derniers déménagent à new York ou en europe, où s’en vont souvent les Canadiens mécontents qui ont les moyens ou la volonté de partir. L’un d’entre eux écrit : « Comme Canadien, je n’arrivais à rien. La patience, la douceur, le goût du conformisme qui semblaient les conditions préalables à une existence tolérable me dépassaient6. »

en général, ceux qui n’ont pas les moyens de partir passent inaperçus mais on les retrouve dans le réseau national de réserves indiennes ou dans les bas quartiers des grandes villes canadiennes ou encore dans les lointaines enclaves de pauvreté rurale. Les personnes pauvres et malades sont en danger, bien plus encore si elles ont la malchance d’être à la fois pauvres et malades ; les aînés voient leur assurance-maladie annulée lorsqu’ils atteignent soixante-cinq ans et présentent un risque actuariel accru pour leur société d’assurance. Certaines régions du pays sont moins prospères que d’autres : terre-neuve, par exemple, les provinces maritimes ou le Québec rural, ainsi que des agriculteurs marginaux des Prairies ou du centre de l’Ontario. en alberta, le secteur pétrolier et gazier a amené de la prospérité mais pas suffisamment pour transformer la province en texas du nord ou Calgary en nouvelle Houston. Les prix du pétrole sont peu élevés, les marchés incertains et le souvenir des années 1930 de pauvreté est très récent.

Les statistiques démographiques brutes reflètent la réalité d’un pays divisé en régions : les provinces de l’atlantique, le Québec, l’Ontario, la saskatchewan et le Manitoba, l’alberta et la Colombie-Btitannique.

Pendant les années 1960, la croissance de la région de l’atlantique est lente.

si, pendant les années 1950, le taux de natalité élevé de terre-neuve lui a permis de maintenir sa croissance démographique, les années 1960 le voient fléchir très nettement jusqu’à ce que la population cesse carrément de croître au début des années 1980. La population du Québec augmente mais à un rythme moindre que celle de l’Ontario. Pendant les années 1960 et une bonne partie de la décennie suivante, la population de la saskatchewan est en décroissance, tandis que celle du Manitoba n’augmente que très peu. Par ailleurs, l’alberta attire des immigrants de l’étranger et des autres provinces, qui viennent bénéficier de la prospérité due au pétrole. sa population passe de 1,3 million de personnes en 1961 à 2,2 millions en 19817. La Colombie-374

UnE HIsTOIRE dU Canada

Britannique s’en tire un peu moins bien mais un afflux soutenu d’immigrants donne un vote de confiance manifeste à cette province du Pacifique.

On observe aussi une évolution dans la pensée politique et la capacité économique. Les deux sont étroitement liées car l’idéologie est alimentée, ou à tout le moins, dorlotée par la prospérité. Le début des années 1960

représente une époque d’espoir et d’expansivité. L’économie industrielle arrivée à maturité pendant la deuxième Guerre mondiale en amérique du nord atteint son apogée : de grandes usines, une main-d’œuvre importante et des profits constants sont les caractéristiques de sociétés comme Ford, Chrysler ou General Motors (« les trois grands »), qui ont chacune leurs succursales canadiennes. À de nombreux égards, le Canada est un modèle réduit du capitalisme américain, avec des syndicats « internationaux »

comme les travailleurs unis de l’automobile, qui organisent la main-d’œuvre des chaînes de montage d’automobiles canadiennes.

La vie économique semble dominée par de grandes entreprises qui ont leur siège social dans les tours scintillantes de Manhattan. (L’une des plus impressionnantes, l’édifice seagram, conçu par Mies van der rohe et construite en 1958, porte le nom d’un fabricant canadien d’alcool, dont le siège social se trouve alors à Montréal.) C’est une situation familière et étrangère, enviable et enviée.

sur le plan des revenus, le capitalisme à l’américaine élève la classe ouvrière américaine au rang de la classe moyenne. Ce sont des ouvriers de l’industrie qui quittent les villes pour s’installer en banlieue et envoient leurs enfants au collège. Cette situation se répète au Canada également, avec un certain retard. La prospérité atténue l’opposition et homogénéise la politique américaine, puis la politique canadienne, et ce, de façon absolument remarquable. Le socialisme devient une sorte d’assistantialisme caractérisé non seulement par la gauche politique mais aussi par la grande entreprise, qui peut se permettre de verser non seulement des salaires plus élevés mais, de plus en plus, des avantages sociaux à ses travailleurs.

Certains doutent que l’ancienne distinction entre la « gauche » et la « droite » soit encore d’actualité. aux états-Unis, un universitaire, ex-socialiste, soutient que la société à atteint « la fin de l’idéologie8 ». Le parti CCF a abandonné le socialisme comme objectif politique en 1956, puis, en 1961, il se transforme en une formation politique plus centriste, le nouveau Parti démocratique. Les néo-démocrates ne réclament pas la nationalisation générale des grandes entreprises ; ils concentrent plutôt leur attention sur l’organisation gouvernementale et la réglementation du bien-être social, qui se fera bien sûr au détriment de la prospérité.

Le gouvernement jouit lui aussi d’une bonne réputation. il a organisé la dernière guerre (plus exactement, la deuxième Guerre mondiale), de 14 • l’affluence eT ses malaises, 1960–1980

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même que le guerre froide. Celle-ci ne paraît plus aussi critique après la crise des missiles cubains de 1962, le traité d’interdiction des essais nucléaires de 1963 et la décompression progressive de la confrontation en europe. Le gouvernement peut tourner son attention ailleurs. il peut à présent réformer les soins de santé et les pensions pour ceux qui sont trop vieux ou trop malades pour tirer entièrement profit des bienfaits et des revenus élevés des années 1960. il peut se préoccuper des marginaux dans la société et s’attaquer aux problèmes que la prospérité a laissés dans l’ombre ou qu’elle ne pouvait en elle-même résoudre.

Ces idées, qui ne sont ni nouvelles ni propres au Canada, comportent aussi une teinte de nationalisme. Certains Canadiens, beaucoup peut-être, s’insurgent devant la tendance américaine à confondre sans scrupules l’existence des Canadiens et celle des américains. Leur pays, soutiennent-ils, est « pris pour acquis », son identité est obscurcie et ses préoccupations ne trouvent pas d’oreille attentive. Pendant les années 1950, l’ambassade des états-Unis à Ottawa a conservé ouvert un dossier sur le nationalisme canadien dans ses rapports réguliers à Washington tout en surveillant de près la prédilection des Canadiens à trouver à redire à l’attitude des états-Unis.

Pendant les années 1960, il y a énormément de choses à signaler.

dans les faits, nationalisme est devenu synonyme d’anti-américanisme, bien qu’il diffère des opinions des générations antérieures, ayant perdu sa nuance « impériale » ou britannique. Mais que signifie anti-américanisme ?

au sens large, cela revient presque à se plaindre de l’effet homogénéisant de la vie moderne. dans son ouvrage Est-ce la fin du Canada ? Lamentation sur l’échec du nationalisme canadien9, dont la version originale anglaise date de 1965, le philosophe George Grant déplore le fait que, selon sa perception, les Canadiens des classes moyenne et supérieure aient délaissé leur patrimoine au profit des lots rutilants offerts par le monde des affaires et la technologie américains (ou à l’américaine)10. d’autres, comme l’éminent homme d’affaires torontois Walter Gordon, déplorent le fait que des postes de haute direction, et avec eux la capacité de prendre des décisions de cet ordre, quittent le Canada. selon Gordon, ce dernier ne peut être un pays indépendant à moins d’avoir aussi un secteur d’affaires autonome.

tout comme celle de la prospérité du Canada, la perception de ces idées diffère selon la région et l’âge. Pour les habitants de l’Ontario industriel et prospère, il n’y a rien de mal à rejeter les fruits des investissements américains. (déjà, l’Ontario en regorge et il est peu probable qu’ils disparaissent dans un avenir prévisible.) L’arrière-pays, lui, manque d’investissements de quelque sorte que ce soit et l’argent de provenance américaine ferait tout aussi bien l’affaire que de toute autre provenance. (en réalité, on se plaint qu’il ne soit pas facile de trouver de l’argent canadien sans 376

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risque et que les fonds étrangers soient les seuls qu’on puisse se procurer.) se souvenant de la Crise et de la guerre, les Canadiens plus âgés sont moins enclins à rejeter les investissements, l’industrie et les emplois.

Les Canadiens plus jeunes se révèlent différents de leurs aînés. Ce n’est pas une simple question de nationalisme bien que la génération des années 1960 soit nationaliste. ses membres ont des habitudes vestimentaires différentes : c’est pendant cette décennie que le jeans devient universel. Puis viennent des styles de musique différents, que leurs parents, à l’instar de leurs propres parents avant eux, se plaisent à désapprouver. ils appellent leur style de vie une « contre-culture » – la contre-culture – et lui attribuent les habituels aspects romantiques de l’authenticité et de la spontanéité et, bien entendu, de l’exclusivité générationnelle. Le mot d‘ordre est : « ne faites pas confiance à quiconque a plus de trente ans11. »

n’ayant jamais connu autre chose, les baby boomers (une expression américaine librement adaptée) tiennent la sécurité d’emploi et la prospérité économique pour acquises. ils sont conscients de leur propre canadianité et s’identifient sur le champ au nouveau drapeau canadien adopté par le gouvernement Pearson en 1965. sur le plan de la culture, des idées ou du style de vie en général, ils ne se démarquent toutefois pas tellement des jeunes américains, européens ou australiens12. nationaliste sur le plan politique, international par son style, le baby boom donne le ton du dernier tiers du vingtième siècle.

LA pOLiTiqUE DE LA SécURiTé

On se souvient de Lester Pearson, après son décès, en raison du rôle qu’il a joué en matière de sécurité internationale, mais on se souvient surtout de son gouvernement en raison de la sécurité nationale qu’il a assurée : la sécurité individuelle, ce qui signifie l’élargissement du filet canadien de sécurité sociale. Bien qu’il soit minoritaire au sein de deux Parlements élus en 1963 et 1965, le gouvernement libéral promulgue et met en vigueur, entre 1963 et 1968, des réformes fondamentales pour le régime de pensions de vieillesse du Canada en plus de concevoir un régime global et universel de soins de santé. aucun de ces programmes n’étant de compétence fédérale, Pearson, ses ministres et ses fonctionnaires ne cessent de négocier avec les provinces afin de s’assurer de leur consentement et de leur collaboration et, ô miracle, ils obtiennent en général aussi bien l’un que l’autre.

Les rentes, privées et publiques, demeurent une difficulté constante en politique canadienne. Un régime de pensions fédéral-provincial a été mis sur pied en 1927, surtout grâce à l’insistance de deux députés travaillistes13.

 

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il a été réformé et considérablement élargi en 1951 par le gouvernement de saint-Laurent. néanmoins, les Canadiens continuent de jeter des regards envieux de l’autre côté de la frontière, au programme américain de sécurité sociale, qui offre aussi bien des rentes contributives que de l’assurance-chômage.

dans la plupart des sociétés occidentales, les soins de santé, leur disponibilité, leur accessibilité économique et leur efficacité posent problème depuis la fin du dix-neuvième siècle. depuis toujours, la santé publique – la prévention des maladies, la salubrité et la mise en quarantaine des malades contagieux – constitue une responsabilité de l’administration publique, généralement provinciale ou municipale. (Le gouvernement fédéral a des responsabilités inhérentes à ses propres zones de compétence, comme les forces armées, les anciens combattants et l’immigration.) L’expression « maladie catastrophique » revêt un sens bien réel au Canada, au-delà de ses effets sur le corps ou l’esprit. Certaines maladies, aiguës aussi bien que chroniques, risquent de mettre en péril les finances des familles.

Bien qu’il existe de l’assurance-santé, privée et volontaire, pour la plupart des Canadiens, cela ne suffit pas. au cours de sa dernière année de règne, le gouvernement saint-Laurent a mis sur pied un régime d’assurance-hospitalisation, avec l’appui des provinces : les Canadiens ne doivent plus payer les services hospitaliers de base (les soins en clinique interne à l’hôpital) tandis que les assurances privées continuent de rembourser les

« chichis », par exemple les frais d’une chambre semi-privée ou privée.

s’occuper des pensions et des soins de santé fait partie du programme de la CCF/du nPd, mais le parti socialiste (semi-socialiste à compter de 1956) du Canada ne pourra jamais obtenir suffisamment d’appuis pour former un gouvernement national. La CCF a cependant du pouvoir en saskatchewan et, en 1961, sous un gouvernement dirigé par tommy douglas, elle met sur pied un régime gouvernemental d’assurance-santé à la fois obligatoire et universel. au terme d’une vive échauffourée avec l’association médicale provinciale et ses partisans, dont la télévision rend abondamment compte, douglas parvient à faire passer l’assurance-santé dans le programme de la politique nationale. il faudra se souvenir du fait qu’une province peut prendre l’initiative et faire œuvre de pionnier dans un important dossier d’une ampleur nationale. Cela donne aussi un élan au nPd fédéral, dont douglas devient désormais le dirigeant national14.

Le programme du Parti libéral national renferme une promesse de réforme aussi bien des pensions que de l’assurance-santé. solide, le soutien du parti à cette réforme n’est toutefois pas unanime ; il se trouve cependant que les réformistes ont en main la plupart des leviers du pouvoir et de la politique. Le ministre des Finances, Walter Gordon, et tom Kent, principal conseiller politique de Pearson, sont déterminés à aller de l’avant et ils 378

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entraînent un premier ministre parfois chancelant avec eux. avec Kent, en particulier, on peut dire que les idées d’un économiste de Harvard d’origine canadienne, John Kenneth Galbraith, ont trouvé preneur15.

On commence par s’occuper des pensions. Pearson propose un

« régime de pensions du Canada » (rPC), qui serait transférable mais non universel. ses principes sont négociables et son financement est, à l’origine, nébuleux. Comme il empiète sur une zone de compétence provinciale, sa concrétisation est fonction du nombre de provinces qui y adhéreront.

Comme la suite le démontrera, on n’adoptera pas exactement les propositions fédérales pour constituer l’assise du futur rPC.

À la grande surprise d’Ottawa, le Québec est le premier à se manifester, avec un régime de rentes contributives global et réalisable. La réforme des pensions présente certes des attraits au Québec, surtout en raison de la perspective d’engranger des cotisations. Le régime de pensions permettra d’accumuler assez rapidement des millions de dollars, dont le gouvernement du Québec pourra se servir pour réaliser des investissements.

Les pensions, ou plutôt les cotisations de retraite, sont la clé de la volonté gouvernementale d’édifier une économie « moderne » de façon autonome.

Pour atteindre son objectif de régime national de pensions, le gouvernement fédéral doit donc commencer par négocier, et négocier sérieusement, avec les provinces.

Lorsqu’il finit par être créé en 1964, le régime de pensions du Canada est contributif, universel et transférable. Mais il présente deux branches : un régime pour le Québec, le rrQ, et un autre pour le reste du pays. La pilule est dure à avaler pour le gouvernement conservateur de l’Ontario mais, au bout du compte, après des appels à l’unité nationale, ce dernier finit par le faire.

il reste les soins de santé. La question de savoir s’il est souhaitable de mettre en place un régime gouvernemental et celle de savoir s’il ne suffirait pas d’avoir des régimes privés et à contribution volontaire viables suscitent de nombreux débats dans les provinces les plus conservatrices comme l’Ontario et l’alberta. On n’a pas non plus oublié que l’adoption, par la saskatchewan, d’une assurance-santé, l’assurance-maladie, a entraîné une grève des médecins et beaucoup de ressentiment au sein du public. d’un autre côté, les tactiques et les propos incendiaires utilisés par les médecins de la saskatchewan ont contribué à jeter le discrédit sur les opposants à l’assurance-maladie, non pas seulement dans la province mais dans l’ensemble du pays16.

À l’été de 1965, sous la supervision générale de tom Kent, les fonctionnaires d’Ottawa élaborent un plan à la fois simple d’un point de vue administratif et réalisable d’un point de vue politique. Ottawa remboursera 14 • l’affluence eT ses malaises, 1960–1980

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la moitié du coût des services des médecins17 si les provinces acceptent de rembourser l’autre moitié, sous réserve de l’acceptation, par les provinces, des quatre principes fondamentaux suivants : universalité des soins couverts ; définition complète de ce que sont les services des médecins ; transférabilité des avantages d’une province à l’autre ; et administration publique. On baptise le tout « régime d’assurance-maladie ».

Le moment choisi pour le dévoiler est directement lié à la nécessité, pour le gouvernement libéral, de se trouver un programme pour les élections de 1965, que Pearson déclenche dans une tentative désespérée pour obtenir la majorité à la Chambre des communes. il n’y parvient pas mais, en ce qui a trait à l’assurance-maladie, cet échec ne change rien. Les conditions en sont tellement attrayantes que le Québec renonce à son opposition aux programmes à frais partagés avec le gouvernement fédéral, l’Ontario à sa préférence pour l’assurance privée et l’alberta à ses objections face à l’universalité18. À la fin des années 1960, le Canada dispose d’un régime d’assurance-maladie universel, transférable et financé et administré par le secteur public, dans lequel tom Kent voit avec raison « la plus importante des réformes mises en place par l’administration Pearson19 ».

La mise en place d’un régime de bien-être social apporte des changements fondamentaux à la façon de faire affaire du « Canada ».

Pendant les années 1940 et 1950, les affaires du « Canada » étaient, pour l’essentiel, la guerre et la sécurité extérieure et le « Canada » signifiait le gouvernement fédéral. Mais le gouvernement, en particulier au Canada, est un nom collectif. La défense étant urgente, et coûteuse, on mettait de côté les provinces et leurs dossiers prioritaires. sur le plan des affaires internationales, le Canada était un acteur de second plan, de sorte qu’il avait besoin de concentrer ses ressources s’il voulait être en mesure d’apporter une contribution à la défense collective et de jouir d’un poids correspondant dans un système d’alliance. Les besoins de la défense canadienne ne laissaient que très peu de place à un coûteux programme de bien-être social.

après 1968, toutefois, le Canada a ce programme à sa disposition.

son ampleur et son coût sont suffisamment importants pour permettre à Mitchell sharp, le successeur de Gordon comme ministre des Finances, de convaincre ses collègues de différer l’implantation de l’assurance-maladie d’une année entière, jusqu’en 1968. entre-temps, le pourcentage des coûts liés à la défense et à l’aide mutuelle passe de 23,45 pour cent des dépenses du gouvernement fédéral en 1961 à 13,7 pour cent en 1969 ; en 1975, il est de 7,1 pour cent. Celui du bien-être social, d’autre part, grimpe de 20 pour cent des dépenses du gouvernement fédéral en 1961 à 23 pour cent en 1969 et à 33 pour cent en 1975. Les ministres et la plupart des autres hommes politiques ne prennent pas la peine de rappeler à leurs électeurs que gouverner, c’est faire des choix, et que ce que l’on dépense d’un côté 380

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ne le sera pas de l’autre. Mais c’est bien le cas : les Canadiens sont plus à l’aise chez eux, et dans leur existence quotidienne, parce que c’est là que, par l’entremise de leur gouvernement, ils avaient choisi de dépenser leur argent. On réduira donc les dépenses consacrées à la défense et aux industries et programmes connexes et le Canada ne peut que jouer un rôle moins important dans ses alliances et afficher une plus grande réticence dans ses engagements internationaux.

Une histoire du Canada
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