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rétrocession contenue dans le Pen comme une confiscation de sa propriété.
« Le véritable enjeu, souligne le Edmonton Journal, est que, vu la tendance d’Ottawa à la confiscation et à la nationalisation, le secteur et la collectivité des investisseurs continuent de penser qu’il demeure utile de mettre en valeur les ressources en pétrole et en gaz du Canada4. » Le premier ministre de l’alberta, Peter Lougheed peut certes compter sur l’appui de la majorité de la population de sa province lorsqu’il décide de réduire la production pétrolière de l’alberta plutôt que de verser de l’argent à Ottawa. « Let the Eastern bastards freeze in the dark » (Laissons les salauds de l’est geler dans le noir), peut-on lire sur les autocollants posés sur les pare-chocs en alberta.
en dépit de ces discours chargés d’émotion, qu’il a en grande partie lui-même provoqués, Lougheed n’est pas, en fin de compte, opposé à l’idée d’un compromis avec Ottawa. après tout, qui dit baisse de production dit baisse des recettes pour l’alberta et, si les projections fédérales sont exactes et que le prix international augmente, il y aura abondance de recettes pour tout le monde. s’ensuit une série de modalités complexes en vertu desquelles le « pétrole neuf » peut se rapprocher des prix mondiaux tout en accordant d’autres concessions fiscales à la province. Une entente survient donc entre Ottawa et edmonton (de même que des ententes parallèles avec la saskatchewan et la Colombie-Britannique)5.
Les ententes de 1981 ne durent guère. il s’avère que les prix internationaux du pétrole ont atteint leur plafond en 1980 et que, déjà, ils amorcent leur descente, sous les 20 dollars le baril en 1985 et jusqu’à 11 dollars en 1987. Les recettes suivent, au grand désarroi des gouvernements, tant fédéral que provincial. Les investisseurs qui ont prêté l’oreille aux mesures incitatives séduisantes d’Ottawa et emprunté de l’argent pour acheter dans le domaine pétrolier voient leurs revenus chuter et les taux d’intérêt augmenter. La faillite devient un thème récurrent dans le champ de pétrole albertain et c’est du marasme économique de 1981-1982 et de ses suites que l’on se souviendra longtemps après que le Pen ait disparu du recueil des lois. en réalité, ces difficultés se seraient sans doute concrétisées en grande partie même si le Pen n’avait jamais existé. La prospérité de l’alberta suit la tendance du prix international du pétrole au sud après 1981, avec le départ des installations de forage et des équipes d’exploration de la province, conséquence directe du régime du Pen. Les conséquences directes attribuables au Pen se mélangent aux effets d’autres phénomènes, qui échappent au contrôle d’Ottawa. C’est néanmoins du Pen qu’on se souviendra et non des caprices du marché. Comme exercice sur la scène politique, le Pen n’a pratiquement aucun équivalent, mais on ne s’entend pas encore sur le fait qu’il s’est agi d’une tragédie ou d’une farce.
en 1984, le Pen et les hypothèses sur lesquelles il repose sont en ruines. trudeau a joué et perdu, non seulement sur le plan économique mais 434
UnE HIsTOIRE dU Canada
politique également, et les conséquences en sont durables. elles contribuent tout d’abord à la défaite libérale lors des élections fédérales de 1984. seuls deux libéraux sont élus à l’ouest de l’Ontario et l’un d’eux est le nouveau chef du parti, John turner. Mais il y a plus. dans l’Ouest, mais surtout en alberta, le Pen s’apparente à la question de la conscription au Québec au cours des trois décennies qui ont suivi l’année 1917. au décès de trudeau en 2000, les quotidiens de l’alberta ne lui reconnaîtront pratiquement aucune réalisation en raison du péché originel qu’a constitué l’intervention fédérale dans le champ de pétrole.
Ce genre d’intervention, claironne l’opposition progressiste-conservatrice, disparaîtra avec les libéraux. « Le Canada est ouvert au monde des affaires », proclame Brian Mulroney, le chef conservateur victorieux.
sa première priorité est de démanteler les vestiges de l’intervention et du contrôle du fédéral sur le pétrole. Cela plaît énormément aux albertains et, bien entendu, Mulroney remporte tous les sièges dans cette province en 1984 et répétera cet exploit en 1988. Cela ne déplaît pas à l’Ontario, même si l’on met ainsi un terme au régime à deux vitesses des prix du pétrole.
Ceux-ci sont plus bas et poursuivent leur chute, de sorte que la douleur de l’ajustement n’est pas trop vive. Mais ce que Mulroney est en mesure de donner au champ de pétrole, il ne lui est pas facile de le faire pour le reste du pays.
mULROnEy, LA pOLiTiqUE ET LE cOmmERcE, 1984-1993
Brian Mulroney est le cinquième premier ministre en provenance de la province du Québec ; il y a déjà eu un autre Québécois anglophone à ce poste, en 1891-1892, sir John abbott, mais si l’on excepte le fait qu’il a laissé son nom à un collège pré-universitaire, il est tombé dans les oubliettes.
Mulroney vient du fin fond de l’arrière-pays de sa province, de la rive nord du fleuve saint-Laurent à l’est, loin à l’est, de Québec, de la ville de Baie Comeau. né de parents canado-irlandais, Mulroney a étudié dans sa ville, de même qu’à l’Université st. Francis Xavier de nouvelle-écosse, où il a teinté son catholicisme natal de conservatisme. Un de ses anciens associés dans un cabinet d’avocats souligne que Mulroney fait parte d’une « minorité au sein d’une minorité », qu’il est le genre de personne qui ne s’est jamais considéré comme un membre de l’establishment6. et pourtant, Mulroney possède certains titres de l’establishment. il était déjà à l’aise en français et, pour lui, il était tout naturel de finir par migrer vers la faculté de droit de l’Université Laval, où il n’a eu aucune difficulté à s’intégrer à la clientèle très majoritairement canadienne-française. après avoir obtenu son diplôme, il s’est rendu à Montréal, où il est devenu un avocat spécialisé en droit du 16 • marasme eT explosion dans les années 1980