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provinciales débutent en 1945 et, en 1946, on organise une conférence dominion-provinciale dans le plein sens du terme. Le gouvernement du dominion dépose un livre vert (appelé ainsi en raison de sa couverture) invitant les provinces à remettre à Ottawa le pouvoir d’imposer par voie législative et de financer un régime de sécurité sociale universel. il bénéficie de l’appui du cabinet, en particulier du ministre des Finances, ilsley, et de celui de la Justice, saint-Laurent. en réponse à un collègue qui lui demande si le Québec ne va pas s’y opposer, saint-Laurent répond par l’affirmative mais ajoute qu’on peut s’attendre à ce que le Québec s’oppose à presque n’importe quoi. Bien entendu, il a parfaitement raison.
Pour Mackenzie King, toute cette affaire comporte bien des risques.
il n’est ni expert constitutionnel, en dépit de sa formation d’avocat, ni théoricien de l’économie, en dépit de son doctorat en économie. Cependant, King est passé expert en politique ; il garde un œil sur l’avenir et jouit d’une très vaste expérience. il est doté d’un bon sens des atouts et des faiblesses des intervenants dans le jeu de la politique canadienne et sait que la fin de la guerre donnera l’occasion aux politiciens provinciaux, si tel est leur choix, de réaffirmer leurs droits constitutionnels, face auxquels des politiques radicales de bien-être social, tout aussi bien conçues et intelligemment défendues qu’elles soient, ne peuvent tenir.
Cela signifie que les provinces, si tel est leur choix, vont récupérer leurs pouvoirs d’imposition, dont celui de fixer leurs taux d’imposition au niveau qu’elles souhaiteront. King sait qu’il ne pourra les empêcher de proposer leurs propres politiques de bien-être social et que, sans le consentement des provinces, Ottawa ne pourra le faire à leur place. il sait très bien aussi qu’il aura, en face de lui à la conférence, deux partisans extrêmement convaincus des pouvoirs provinciaux, Maurice duplessis du Québec et George drew de l’Ontario. des deux, c’est duplessis qui est, et de loin, le plus conservateur, étant opposé sur le plan philosophique à une intervention de l’état dans des champs de compétence comme le bien-être social, chose que, selon lui, on doit laisser aux organismes caritatifs ou aux églises. C’est un libéral économique de la vieille école : ce sont les marchés et les entrepreneurs privés qui sont les mieux à même de s’occuper des salaires et des conditions de travail, et les syndicats sont, au mieux, une déformation de la nature. duplessis peut mélanger ces convictions à l’élixir du nationalisme canadien-français ; en assimilant l’Ottawa « anglaise » à des théories sociales qui lui semblent insupportables, il peut espérer rallier l’opinion québécoise contre le reste du pays.
sur des questions comme celles-là, la position de drew est plus floue. il déteste les experts et les théories, surtout ceux et celles qui viennent d’Ottawa. d’autre part, il sait très bien que la plupart des Ontariens s’attendent à voir leurs gouvernements, fédéral et provincial, veiller à leur 342
UnE HIsTOIRE dU Canada
sécurité individuelle. drew doit donc proposer à ses électeurs l’idée que ses collègues du Parti progressiste-conservateur et lui peuvent mieux se tirer d’affaire qu’Ottawa, en étalant des arguments selon lesquels Ottawa fait entrave au travail des provinces.
Unis contre le gouvernement fédéral, drew et duplessis font dérailler les propositions du livre vert. Mackenzie King s’y attendait, de sorte qu’il ne perd pas de temps à regretter ce qu’il percevait comme une tentative trop ambitieuse et dangereuse de réécriture de la constitution canadienne18.
King passe à l’action ; il élimine les dépenses reliées à la guerre le plus rapidement possible, procède à la démobilisation des forces armées et ramène les soldats chez eux. sagement, le gouvernement convertit une partie de l’argent épargné directement en avantages sociaux pour les anciens combattants : dans le logement, l’éducation et la formation professionnelle.
À l’encontre des anciens combattants de 1919, les soldats qui reviennent du front en 1945 reçoivent souvent et de façon tangible les remerciements de la société qu’ils sont allés défendre. On évite ainsi les terribles épreuves du radicalisme ; un généreux programme social, appliqué de façon rationnelle, compense une société plus conservatrice en distribuant très largement la sécurité, ou les occasions.
DES mOnSTRES à DéTRUiRE
Les luttes qui surviennent au cours de la seconde Guerre mondiale visent moins à parer les dangers qui menacent directement le Canada que ceux qui menacent ses alliés et ses partenaires. seul et isolé, le Canada ne représente rien ; de sorte que les Canadiens vont combattre à l’étranger un ennemi dont les chances d’atteindre l’amérique du nord par voie aérienne, terrestre ou même maritime dans un avenir relativement rapproché sont minimes. Le seul voisin du Canada, les états-Unis, partage avec lui l’immunité contre toute attaque venue de l’extérieur et c’est à partir de leur front intérieur parfaitement sécuritaire que les deux pays partent à l’étranger
« à la recherche de monstres à détruire » pour reprendre l’expression utilisée par John Quincy adams.
La paix est troublée par la science et la technologie à l’origine des bombes atomiques et les flottes aériennes en mesure de les emporter sur de longues distances. Les armes de destruction massive sont une innovation du vingtième siècle et, très vite, toute l’industrie se consacre à la création de chimères concernant « l’ère atomique » et les possibilités qu’offrent les armes nucléaires. À vrai dire, c’est une question d’arithmétique : si l’on 13 • des Temps Bénis, 1945–1963