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est trop isolée et son arrière-pays agricole est limité dans l’espace, tandis que Montréal est situé à l’endroit exact ou à proximité du confluent de trois grands cours d’eau, le saint-Laurent, la rivière des Outaouais et le richelieu. La ville se transforme en un entrepôt qui dessert la province du haut. Canaux et bateaux à vapeur lui facilitent la tâche, de sorte qu’à la fin des années 1820, les communications par terre et par eau en amont et en aval du fleuve et des deux rivières sont régulières24.
encouragés par cette prospérité, des consortiums de commerçants montréalais fondent la Banque de Montréal en 1817 et l’Université McGill en 1821. La ville s’étend vers le nord-ouest ; ses nouvelles artères sont plus larges ; et les visiteurs sont impressionnés par ses édifices de pierre. de passage dans la ville en 1819, edward silliman, géologue à l’Université de Yale au Connecticut, écrit qu’il « s’est trouvé très chanceux de pénétrer, pour la première fois, dans une ville américaine bâtie en pierre ». Les demeures des nouveaux commerçants, s’exclame-t-il, sont « joliment taillées et très belles, et elles seraient des ornements dans la Cité de Londres ». (dans les rues proches du port, on retrouve encore intacts certains panoramas du début du dix-neuvième siècle.) À l’époque où silliman livre ses impressions, il est trop tôt pour décrire l’impressionnante église notre-dame, construite entre 1824 et 1829, qui est à ce moment le plus grand édifice d’amérique du nord britannique, si l’on excepte les forteresses. La ville des marchands devient la plus grande en amérique du nord britannique, statut qui lui vaut d’être dotée d’un maire et d’un conseil municipal en 183225.
C’est une ville agitée, divisée par les langues, les religions, les intérêts économiques et les ethnies. Un grand fossé sépare bien sûr les anglais et les Français, mais au sein de la collectivité anglophone – si l’on peut l’appeler ainsi – il y a des sous-groupes : les irlandais, à la fois protestants et catholiques, les écossais (que l’on appelle les Scotch au dix-neuvième siècle) et les anglais, en plus des américains, qui conservent en partie leur identité propre.
il faut s’attendre à ce qu’anglais et Français soient à couteaux tirés ; comme le souligne le gouverneur général lord dalhousie, le Bas-Canada est une « contrée où de violents sentiments partisans sépar[ent] depuis longtemps les deux classes distinctes des sujets du roi – les anglais et les Français26 ». sans doute dalhousie exagère-t-il, bien qu’à l’époque où il est gouverneur général, de 1820 à 1828, il est certes l’un des artisans de la promotion de l’amertume partisane et du ressentiment ethnique. Quelques années plus tard, un autre gouverneur général, lord durham trouve « deux nations en guerre au sein d’un même état ».
Les choses ne sont jamais aussi simples. Le Bas-Canada est une société divisée, divisée entre des marchands, généralement anglophones et 154
UnE HIsTOIRE dU Canada
de Montréal, et des intérêts ruraux, francophones en général. il est divisé entre protestants et catholiques, et divisé sur le plan des régions, surtout entre Montréal et Québec. enfin, il est divisé entre une vieille élite –
seigneurs, propriétaires, officiers et dignitaires cléricaux – et un nouveau groupe de politiciens qui cherchent à les déloger, et pourtant certains soi-disant réformistes sont eux-mêmes des seigneurs, ou des hommes riches, ou encore des officiers. Fait plus important encore, on retrouve les deux langues dans les deux camps politiques.
Les années 1820 et 1830 correspondent à une époque d’effervescence libérale partout dans le monde. elles sont témoin de rébellions en espagne, en Belgique et en Pologne et de revendications en vue de faire valoir les droits des nations face aux empires et aux monarques distants. On l’observe avant tout en amérique latine, où presque toutes les colonies, espagnoles et portugaises, rompant leurs liens avec l’europe, accèdent à l’indépendance. (La plupart deviennent aussi des républiques, à l’exception du Brésil, qui devient un empire.) aux états-Unis, la révolte gronde au sein du régime républicain, alors que les anciennes élites reculent devant l’agitation d’intérêts plus récents, ce que vient incarner andrew Jackson, un démocrate et un populiste, élu à la présidence en 1828.
On a pu observer les frémissements de la révolte au Bas-Canada depuis le début des années 1800. Un parti « patriote » s’est formé et, en 1810, il domine l’assemblée élue, mais son programme est d’un genre constitutionnel non agressif : ses dirigeants ont perçu le salut dans la constitution britannique et les droits des sujets britanniques. au nombre de ces droits, il faut souligner la notion selon laquelle le gouvernement devrait rendre des comptes à la Chambre d’assemblée sur les revenus fiscaux qu’il dépense. Les gouverneurs généraux ne ménagent pas leurs efforts pour s’opposer à toute idée du genre et les Patriotes n’insistent pas trop. ils ne renoncent toutefois pas à ce projet, qui demeure un point litigieux quand lord dalhousie accède au poste de gouverneur général en 1820.
ancien général de Wellington, dalhousie est un gouverneur actif et soucieux d’améliorer les choses. Comme lieutenant-gouverneur de la nouvelle-écosse, où il a laissé derrière lui un collège qui deviendra l’Université dalhousie, il s’est révélé constructif quoique plutôt chamailleur.
son autoritarisme le dessert au Bas-Canada, où il surestime son propre bon sens et sous-estime les dangers politiques auxquels il est confronté, ainsi que les limites bien réelles de son poste27.
aucun gouverneur ne peut échapper à la réalité que, pour gouverner, il doit se trouver un intermédiaire, individuel ou collectif, et, dans le cas des deux Canadas, cela signifie les conseils, exécutif et législatif, dont les membres sont nommés. au Bas-Canada, les membres de ces conseils sont 7 • TransformaTions eT relaTions, 1815–1840