LA Fin DE mULROnEy

Pour le gouvernement Mulroney, il reste trois années pénibles à passer. alors qu’il cherche désespérément à retrouver son souffle après l’accord, le premier ministre est confronté à une autre crise : une rébellion des Mohawks dans des réserves stratégiquement situées au nord et au sud de Montréal. La révolte éclate en raison d’un différend portant sur des terres que les Mohawks considèrent incorrectement aliénées puis mal utilisées. des promoteurs souhaitent construire un terrain de golf sur un cimetière autochtone. s’ensuivent de la confrontation, une intervention policière et des scènes de violence au cours desquelles la sûreté du Québec, la police provinciale, est repoussée et perd un de ses membres, abattu à l’aide d’une arme à feu. Les Mohawks installent des barricades sur les routes provinciales qui traversent leurs réserves, dont une est une voie d’accès importante à l’île de Montréal pour les résidants des banlieues sud. Pour la deuxième fois dans sa carrière, le premier ministre Bourassa réclame l’intervention de l’armée canadienne, qui est déployée en bonne et due forme. Mohawks et soldats se regardent dans le blanc des yeux, les esprits s’échauffent et il s’ensuit des incidents au cours desquels on lance des pierres. Fort heureusement, le temps fait son œuvre et le bon sens finit par prévaloir : les barricades disparaissent, on oublie le terrain de golf et la vie reprend son cours à peu près normal.

Cette normalité n’est plus la même. L’accord du lac Meech et la manière dont il a été géré, principalement par Mulroney, a débouché sur une situation diamétralement opposée aux attentes. Le Québec est en effervescence, situation qui ne plaît guère à Bourassa, un homme prudent.

Ce dernier cherche lui aussi à gagner du temps, nommant des commissions, tenant des audiences, émettant des ultimatums aux dates butoirs que l’on peut retirer, menaçant de tenir un référendum sur le séparatisme, permettant à une population agitée et déçue de se défouler. Mulroney nomme lui aussi une commission présidée par Keith spicer, qui fait le tour du pays pour permettre aux citoyens de décharger leur colère dessus.

en réaction à une des dates butoirs de Bourassa, Mulroney et ses ministres déclenchent une nouvelle ronde de négociations constitutionnelles.

il en ressort une entente, l’accord de Charlottetown, selon l’endroit où 452

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il a été signé. C’est une entente compliquée, incompréhensible et, très vraisemblablement, impraticable mais c’est une entente, à laquelle le Québec est partie et dont les dirigeants politiques officiels du Canada recommandent la ratification. soumise à un référendum en 1992, elle est rejetée, aussi bien au Québec que dans l’ensemble du Canada. La constitution ne sera pas amendée et l’histoire ne se souviendra pas de Mulroney et de Bourassa comme les nouveaux fondateurs du Canada ou du Québec.

Mulroney est responsable d’une autre grande réforme. depuis des décennies, les gouvernements canadiens ont recours à des taxes de vente fédérales sur les produits manufacturés. Cette taxe est généralement considérée comme inefficace et nuisible pour le secteur manufacturier canadien, pour lequel elle constitue un handicap. Les revenus qu’elle génère sont insuffisants mais, comme telle, le gouvernement en a besoin car Mulroney connaît chaque année des déficits. s’inspirant de la nouvelle-Zélande, qui, dans les années 1980 et 1990, est un modèle de réforme fiscale et économique dans le monde anglophone, le gouvernement Mulroney propose une taxe de vente fédérale beaucoup plus globale, la taxe sur les produits et services ou tPs. Les nouvelles taxes ont toujours des effets politiquement imprévisibles et il ne sert à rien de soutenir que la tPs est meilleure que la taxe qu’elle remplace. au terme d’un brutal combat au Parlement, au cours duquel Mulroney se sert d’une disposition obscure de la constitution (à laquelle personne n’a jamais eu recours) pour nommer quelques sénateurs supplémentaires, la taxe est adoptée.

nul ne peut douter que la tPs joue un rôle dans le déclin politique du gouvernement Mulroney ni qu’elle est particulièrement impopulaire dans l’Ouest canadien, y compris dans le cœur conservateur de l’alberta où, situation unique au Canada, il n’y a pas de taxe provinciale sur la vente et où l’idée même de ce genre de taxe est intolérable. Bien que le cabinet de Mulroney compte un certain nombre de ministres solides et de premier plan en provenance de l’Ouest du pays, les Canadiens de l’Ouest n’ont pas confiance en la propension du premier ministre à plaire au Québec et à favoriser cette dernière province dans sa politique. C’est tout particulièrement le cas avec un lucratif contrat d’entretien de la flotte de chasseurs F-18 dont la force aérienne vient tout juste de faire l’acquisition (c’est le gouvernement trudeau qui les a achetés). Pour des raisons économiques et d’efficacité, la force aérienne était favorable à une société de Winnipeg ; en 1987, le gouvernement donne le contrat à une société montréalaise afin de renforcer le secteur aérospatial dans cette ville. Les critiques soupçonnent, et c’est tout à fait plausible, que le gouvernement s’acquitte de sa dette envers le Québec. Bourassa a utilisé le slogan « un fédéralisme rentable » et il s’agit certes ici d’un fédéralisme rentable pour le Québec. (étant donné que les Québécois estiment que leur province est lésée sur le plan économique en 16 • marasme eT explosion dans les années 1980

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demeurant au sein de la fédération canadienne, Mulroney répond à leurs attentes.) La politique, sous une forme particulièrement grossière, a pris le pas sur l’économie.

Les conséquences de cette décision vont bien au-delà de ce que Mulroney avait prévu. Les Canadiens de l’Ouest insatisfaits se réunissent à vancouver en vue de discussions exploratoires, qui finiront pas déboucher sur un mouvement politique principalement constitué d’ex-conservateurs, dont stephen Harper, l’ancien adjoint politique d’un député conservateur en chambre. Le chef, et le cœur, de ce mouvement de mécontentement est toutefois Preston Manning, le fils d’un ancien premier ministre albertain issu du Crédit social, ernest Manning. aux élections fédérales de 1988, Manning présente plus de soixante-dix candidats sous la bannière « réformiste » et si aucun ne parvient à arracher un siège – le parti n’est ni suffisamment connu ni organisé pour le faire – on voit poindre des problèmes à l’horizon.

reniflant les vents politiques, Mulroney a fait un bon calcul.

Comme le pourcentage de soutien accordé à son parti dans les sondages d’opinion reste fermement et irrémédiablement extrêmement faible (il chute à 15 pour cent en 1991), il annonce sa démission pour le printemps 1993. son successeur est choisi au cours d’un congrès des progressistes-conservateurs qui a lieu à Ottawa : il s’agit de Kim Campbell, qui a été ministre de la défense nationale puis ministre de la Justice du pays et qui défait Jean Charest, un des plus jeunes ministres de Mulroney.

Campbell ne reste pas longtemps au pouvoir. il faut tenir des élections à l’automne 1993 puisque le mandat du Parlement expire à ce moment-là.

Campbell retarde l’échéance le plus possible et fixe la date des élections au mois d’octobre. elle a bénéficié d’une brève remontée dans les sondages grâce à son intelligence et son petit côté nouveau, trop nouveau sans doute car elle commet la maladresse de dire aux journalistes qu’une campagne électorale n’est pas le moment idéal pour discuter de choses sérieuses. ses conseillers se mettent à se chamailler, les médias captent l’odeur du suicide politique et les Canadiens se préparent à assister à l’inéluctable le soir des élections, le 25 octobre.

C’est toute une soirée. Les progressistes-conservateurs subissent une véritable raclée, passant de 169 sièges en 1988 à deux exactement en 1993. (ils ont conservé 151 sièges juste avant la dissolution du Parlement.) Campbell perd son propre siège tandis que les électeurs conservateurs s’enfuient dans toutes les directions, bien que son ancien rival, Jean Charest, parvienne à conserver son siège. au Québec, les électeurs se rallient au nouveau Bloc Québécois de Lucien Bouchard, dans l’Ouest au Parti réformiste pour la plupart et dans les régions où ils choisissent une autre option, en Ontario et dans les provinces maritimes, ils optent pour les

 

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libéraux. Le nPd s’effondre, passant de son plus grand nombre de sièges remportés en 1988 à son total le plus bas, neuf, en 1993.

Les libéraux gagnent par défaut. ils recueillent 41 pour cent du vote populaire et la majorité des sièges, 177. aucun autre parti ne remporte 20 pour cent du total des votes. Le parti séparatiste, le Bloc Québécois (le Bloc), se classe deuxième avec 54 sièges, devenant ainsi l’opposition officielle de sa Majesté à la Chambre des communes. Les réformistes de Preston Manning suivent avec 52 sièges, quoique le nombre de votes qu’ils recueillent soit supérieur à celui du Bloc. Les résultats lamentables du nPd ne sont pas tant attribués à la performance du parti fédéral, quoique celle-ci n’ait rien de mémorable, qu’aux réalisations des gouvernements nPd en Colombie-Britannique et en Ontario, où l’idéologie et la politique du parti ne conviennent nullement pour faire face à la récession économique qui, à n’en point douter, a aussi contribué à affaiblir les conservateurs fédéraux.

Les résultats des élections témoignent de la division du pays. Un seul des grands partis traditionnels du Canada, le Parti libéral, sort indemne des élections avec des sièges dans toutes les provinces dont, ô miracle, quatre en alberta. il s’agit de sa meilleure performance dans cette province depuis une génération. Mais le Québec, qui, pendant la plus grande partie du vingtième siècle, a constitué un bastion libéral, passe aux mains du Bloc. Celui-ci est un parti tout à fait régional et, en réalité, totalement francophone bien qu’il prétende, fait très peu plausible, être également ouvert aux anglophones. Le Parti réformiste a lui aussi la prétention d’être un parti national et parvient à faire élire un député en Ontario. Même s’il n’est pas une création purement régionale, sur le plan idéologique, il est limité à des régions ou des électeurs favorables à la rectitude ou aux traditions en politique, ce qui est très loin d’être la majorité des Canadiens.

il revient à Jean Chrétien, un homme politique très traditionnel, de voir si l’art traditionnel de la recherche du compromis et de l’équilibre pourra rétablir le Canada après la folle aventure des années 1980, la récession des années 1990 et la catastrophe de l’accord du lac Meech. Le défi est de taille.

 

Une histoire du Canada
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