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Macdonald saisit toute l’importance de cet événement. il éprouve de l’amertume face à l’abandon, par les Britanniques, des intérêts canadiens pour atteindre leur objectif plus vaste, celui de rétablir des relations pacifiques et harmonieuses avec les états-Unis. Bien que, dans un certain sens, il y ait eu trois pays autour de la table de négociation, seuls les deux plus grands en ont décidé de l’issue. Le rôle du Canada se limitait à ne pas faire obstruction.
La leçon à en tirer est que l’empire britannique n’est pas une association offrant des occasions égales à tous. Une colonie comme le Canada n’est peut-être plus subordonnée, mais elle n’est manifestement pas l’égale de la Grande-Bretagne. Les ministres britanniques peuvent tenir compte des besoins des colonies, voire y accéder, mais ceux-ci n’ont ni la consistance, ni l’urgence, ni l’importance des intérêts strictement britanniques. Quoi qu’il en soit, si jamais les relations entre les états-Unis et la Grande-Bretagne se détériorent à nouveau, si les négociations ne peuvent permettre de régler les problèmes en suspens, les intérêts canadiens au sens large vont en souffrir3.
Mais le Canada aurait-il pu mieux tirer son épingle du jeu s’il avait négocié seul ? Comme Macdonald le sait très bien, la réponse est négative et, comme le montre la proposition à moitié sérieuse de sumner d’annexer le Canada, l’enjeu était plus grand que la discussion de questions d’importance limitée. Peut-être les américains n’apprécient-ils guère ce qu’ils perçoivent de l’empire britannique, mais l’empire représente une puissante entité, dont il faut tenir compte4. On ne peut dire la même chose du Canada.
en tout état de cause, Macdonald doit garder à l’esprit qu’il a besoin de l’argent des Britanniques pour garantir l’avenir du Canada, si avenir il y a. il en a besoin pour le chemin de fer intercolonial reliant Québec à Halifax, ainsi que pour son chemin de fer vers la Colombie-Britannique, une entreprise énorme. riches et regorgeant de ressources, les états-Unis viennent tout juste de parachever une liaison ferroviaire avec la Californie en 1868 sur un territoire à la configuration beaucoup plus favorable.
enfin terminé en 1876, le chemin de fer intercolonial a lui-même absorbé des emprunts se chiffrant à 21 millions $ et l’on estime qu’il a pris deux fois plus de temps à construire que nécessaire. son ingénieur en chef, sandford Fleming, met en application son expérience dans la pose d’une voie ferrée pour le Chemin de fer du Pacifique visionnaire de Macdonald5.
Les amis et alliés politiques de Macdonald semblent avoir tiré profit de cette expérience mais dépensent leur argent dans des domaines névralgiques sur le plan politique. Le chemin de fer intercolonial réussit donc à tisser des liens entre des colonies dispersées au sens métaphysique autant que physique.