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il y occupe le poste de secrétaire de 1895 à 1903. sous sa direction, la vie dans les colonies n’a rien d’ennuyeux. il souhaite ardemment rapprocher les colonies de la mère patrie. Géopoliticien dans l’âme, Chamberlain est convaincu que, confrontée à la puissance américaine et allemande, la Grande-Bretagne ne tardera pas à perdre son statut. il convoque une conférence des colonies à Londres qui coïncide tout juste avec le jubilé d’argent de la reine victoria pour marquer sa soixantième année sur le trône en 1897.
La conférence des colonies rassemble les premiers ministres des colonies autonomes sous la présidence du secrétaire aux colonies26. L’idée de « fédération impériale » est dans l’air et ce, bien que personne n’en ait encore élaboré une version qui plaise aux éléments constitutifs de l’empire.
Les Britanniques n’ont aucune envie de donner à leurs colonies quelque mot à dire important que ce soit en matière de politique étrangère impériale, de politique impériale commune sur les tarifs ou autres questions du genre.
de leur côté, les colonies craignent de se retrouver à nouveau sous tutelle anglaise étant donné l’écart immense entre la puissance, la richesse et la population britanniques et celles des diverses colonies autonomes.
si Chamberlain espère ressentir des volontés d’unité au cours de cette conférence, il n’en retire, au mieux, qu’une harmonie superficielle. Le secrétaire aux colonies n’a pas grand-chose à offrir aux premiers ministres.
en ce qui a trait au cabinet britannique, il n’est pas question d’offrir quoi que ce soit aux colonies en retour de leurs tarifs préférentiels et d’une position privilégiée sur le marché britannique. C’est le libre-échange, aussi proche d’un consensus universel qu’on puisse l’imaginer, qui constitue l’assise de la politique britannique ; et cela prendrait un politicien irréfléchi pour le remettre en question. en privé, Chamberlain le remet en question et il finira même par s’y opposer, mais pas encore. de toute façon, les immigrants et les capitaux britanniques affluent dans les colonies et il n’y a rien que le gouvernement britannique veuille ou puisse faire pour stimuler cet afflux.
Laurier assiste à des défilés et à des banquets, se laisse charmer par le contingent obligé d’hôtesses aristocratiques et se rend dans le Cheshire rencontrer son véritable héros, le dirigeant libéral à la retraite M. Gladstone.
après avoir été fait chevalier – il prétendra ne pas savoir comment refuser ce titre – sir Wilfrid Laurier rentre au Canada.
Chamberlain a d’autres chats à fouetter. Le secrétaire d’état aux colonies est déterminé à régler le « problème » de l’afrique du sud, marqué par la cohabitation difficile entre deux colonies britanniques et deux républiques néerlandophones indépendantes, le transvaal et l’état libre d’Orange (leurs habitants s’appellent eux-mêmes des afrikaners, mais on les désigne plus souvent sous l’appellation de Boers, mot qui signifie agriculteurs en néerlandais). Pour épicer un peu la sauce, on trouve de 246
UnE HIsTOIRE dU Canada
grandes quantités d’or et de diamants au transvaal, ce qui ne peut qu’attirer des mineurs en afrique du sud. Fait inévitable, beaucoup sont anglophones et, en réalité, des sujets britanniques. Craignant d’être envahis par des immigrants, les Boers restreignent leurs droits politiques. soucieux de régler ce problème et d’autres questions de « persécution », Chamberlain choisit d’avoir recours à la force.
au dix-neuvième siècle, la foi en la force met la pensée politique britannique à rude épreuve. elle découle du sentiment de supériorité résultant des longues guerres avec la France et de la victoire finale sur napoléon en 1815, et qui a été renforcé par une centaine de conflits mineurs étalés sur plus de quatre-vingts ans. Le choix de l’ennemi pouvait varier mais, à un certain moment, alors que la guerre semblait imminente avec la russie impériale, il y avait une chanson populaire qui allait comme ceci : « nous ne voulons pas nous battre mais nom d’une pipe ! si nous le faisons, nous avons les navires, les hommes et l’argent qu’il faut ». Le texte anglais de cette chansonnette contenait le terme jingo ; il a donné le dérivé jingoism, qui signifie « chauvinisme », un patriotisme ardent et agressif27. en ce qui a trait aux Boers et à l’empire, Chamberlain est chauvin et, étant bon politicien, il sait pouvoir faire appel à ce sentiment non seulement en Grande-Bretagne, mais aussi au Canada, en australie et ailleurs dans les établissements anglais de l’empire. dans le lexique politique de Laurier, il existe peu de termes qui suscitent autant de crainte. Le chauvinisme britannique représente une force incroyable, capable d’entraîner l’opinion publique dans des directions potentiellement dangereuses. il est d’autant plus dangereux que le chauvinisme n’a que peu d’échos au Canada français et ne bénéficie d’aucun appui politique solide28.
Chamberlain commence par se lancer dans une expédition officieuse de flibustiers en 1895, le raid Jameson, destinée à renverser les gouvernements des Boers et réaliser l’union de l’afrique du sud. Mais l’expédition échoue et il apparaît clairement que la politique britannique est non seulement belligérante mais qu’elle constitue aussi un double jeu. Pour la Grande-Bretagne, le raid Jameson représente un échec diplomatique retentissant. il est perçu comme une attaque de la part d’une grande puissance contre deux pays beaucoup plus petits, une action empreinte d’hypocrisie, défaut que de nombreux pays de l’europe continentale considèrent déjà comme un trait marquant du caractère britannique. La Grande-Bretagne ne récolte qu’hostilité et isolement en europe.
La seule option qui reste à Chamberlain est la force militaire brute.
il commence à lever une armée en afrique du sud et à penser à la meilleure façon d’impliquer le reste de l’empire dans une guerre qu’il sait imminente.
Les Boers prennent les armes, s’organisent du mieux qu’ils peuvent et frappent les premiers, en octobre 1899. Prise au dépourvu, l’armée 10 • explosion eT marasme, 1896–1914