343
construit suffisamment de bombes et qu’on les fait exploser sous l’emprise de la colère, la fin de la civilisation est proche.
La participation canadienne à l’ère atomique comporte deux volets.
Pendant la guerre, le gouvernement canadien procède à l’extraction et au raffinage de l’uranium, matière première pour construire la bombe, et accueille sur son sol un laboratoire atomique, appartenant aux Britanniques.
Ceux-ci ont des visées militaires, fabriquer une bombe atomique, mais une équipe américaine se révèle plus rapide et produit la bombe qui est larguée au-dessus du Japon en août 1945. Le Canada est associé au « secret atomique », de sorte qu’il lui revient de partager avec les états-Unis et la Grande-Bretagne le fardeau de la décision quant à l’utilisation de ce
« secret ». devrait-il et pourrait-il demeurer vraiment secret ? et dans le cas contraire, devrait-il être partagé avec les nations du monde pour constituer la base d’une ère nouvelle fondée sur la confiance et la réciprocité ? Peut-on confier ce secret à d’autres nations ?
La réponse à toutes ces questions est négative. et la principale personne à y apporter la réponse est le dictateur de l’Union soviétique, Joseph staline, qui, en plus d’être le dirigeant national de son empire communiste, est aussi le pape du mouvement communiste international, qui a sa branche au Canada, comme dans la plupart des autres pays. Le Parti Communiste du Canada a beaucoup progressé depuis sa fondation en 1921. Persécuté au pays et désespérément en quête d’aide à l’étranger, il aboutit dans la ménagerie de partis communistes « fraternels » de staline, sur laquelle le grand Parti communiste central d’Union soviétique a la mainmise. C’est la soumission qui représente le prix à payer pour cet appui et le parti canadien ne se privera pas d’en faire preuve, suivant tous les méandres de la stratégie politique sarcastique et souvent caractérisée par l’incompétence de staline.
nul doute que staline n’a pas la moindre confiance envers les démocraties occidentales ; craignant leur richesse et leur ingéniosité, il cherche à savoir ce qu’elles trament. avec l’aide de scientifiques idéalistes chargés d’arracher les « secrets » des capitalistes, il ne lui faut guère de temps pour percer le mystère atomique. Le secret était en grande partie illusoire car, à Moscou comme à Montréal ou à Madras, on connaît bien la science de la physique atomique. À vrai dire, la technologie est plus complexe et beaucoup plus coûteuse que cela mais une fois staline au courant de la possibilité théorique de fabriquer des armes atomiques, il met en œuvre toutes les ressources disponibles d’une Union soviétique dévastée.
Une partie de l’information dont il dispose provient du Canada.
Les fonctionnaires de l’ambassade soviétique à Ottawa maintiennent deux réseaux d’espionnage en quête de secrets atomiques. Ces réseaux obtiennent 344
UnE HIsTOIRE dU Canada
une partie de l’information secrète et en font dûment rapport à Moscou.
Mais ils sont brûlés par un transfuge de l’ambassade, igor Gouzenko, qui, en décembre 1945, raconte toute l’histoire à un gouvernement canadien abasourdi. Mackenzie King est tellement peu au fait de ce genre d’activités qu’il envisage sérieusement de remettre Gouzenko dans les mains des soviétiques ; il finit cependant par le partager avec ses principaux alliés, le président américain Harry truman et le premier ministre britannique Clement attlee, qui ont respectivement succédé à roosevelt et Churchill.
C’est ainsi que débute ce qu’on appellera la guerre froide, quarante-cinq années de confrontation entre les puissances occidentales, menées par les états-Unis, et l’Union soviétique. Jamais personne, pas même staline, ne se pose la question de savoir de quel côté se trouvera le Canada pendant la guerre froide. La société canadienne est une société occidentale, capitaliste et libérale relativement ouverte. selon l’expression méprisante des soviétiques, c’est une « démocratie bourgeoise ». Par opposition, l’Union soviétique est une « démocratie populaire », au sein de laquelle, par définition, le Parti socialiste prend la part du « peuple ». Le communisme promet progrès et prospérité, édification et égalité, ce qui explique pourquoi il a des partisans en dehors de l’Union soviétique et même dans les pays relativement prospère d’amérique du nord et d’europe occidentale, où progrès et prospérité sont déjà bien installés. L’élément clé est que les communistes ne renient ni la violence ni la révolution ; ils comprennent qu’il faudrait avoir recours à la coercition pour renverser une société tout en y instaurant l’éducation, et le concept de coercition en tant que solution véritable et idéale à la politique bourgeoise trouve des adeptes dans l’Ouest et même au Canada. Pendant les années d’après-guerre, caractérisées par la fragilité, et avec le souvenir de la dépression économique encore frais à la mémoire collective, beaucoup de gens en europe occidentale se laissent attirer par l’aspect direct et brutal du communisme autant que par son idéalisme.
si le communisme constitue une menace, un seul pays peut se dresser devant lui et ce sont les états-Unis. La guerre a sapé les économies et les sociétés de l’europe occidentale. Les Britanniques ont sacrifié en grande partie le trésor de leur empire et, pour être en mesure de poursuivre la guerre, ils ont promis qu’une fois cette guerre terminée, ils allaient libérer sa partie la plus avancée, le sous-continent indien. en fait, sur le plan financier autant que politique, les Britanniques ne peuvent plus se permettre d’avoir un empire, de sorte qu’en 1947 et 1948, ils se dépêchent d’abandonner l’inde, le Pakistan, la Birmanie, Ceylan et la Palestine. Prêt ou pas, l’empire britannique prend la voie de la liberté, pendant que les Britanniques concentrent leur attention sur la reconstruction de leur propre société, comme il se trouve, selon un modèle de Parti travailliste social-démocrate proche de son cousin, la CCF, le parti social-démocrate canadien.
13 • des Temps Bénis, 1945–1963