RELiGiOn ET pATRiOTiSmE

Comme il se doit, le dix-neuvième siècle prend fin au Canada de la même manière qu’il a commencé, sur une note de divergence religieuse.

La religion occupe une grande place au Canada, comme presque partout ailleurs dans le monde occidental. aux états-Unis, en irlande, en australie, comme au Canada, la pratique politique est ancrée dans des différences confessionnelles et la persuasion par la religion est l’élément le plus fiable permettant de prédire à qui un particulier donnera son vote.

C’est entre catholiques et protestants qui, officiellement à tout le moins, se dévisagent avec une frayeur mêlée de dégoût, qu’existe la plus grande division. dans les ménages protestants, on trouve encore le livre des 222

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martyrs de John Fox, publié à l’origine en 1563 et qui relate en détail la fin dans un bain de sang des saints protestants aux mains de leurs persécuteurs catholiques. La loge orangiste garde frais à la mémoire le fait que la liberté anglaise ait échappé de justesse à la tyrannie catholique en 1688 et le défilé des Orangistes qui se tient le 12 juillet demeure un événement important dans un pays où les gens sont friands de fanfares et de processions, qui font partie des rares spectacles gratuits auxquels le public ait droit. Comme d’autres festivals patriotiques, la fête du 12 juillet au Canada est centrée sur un patrimoine et un univers situés en dehors du pays : la religion et l’empire constituent la dotation historique du Canada.

Les catholiques irlandais ont leur défilé de la saint Patrick et, au Québec, aucune procession religieuse ne saurait être complète sans son contingent de Zouaves pontificaux, des vétérans ou des vétérans en puissance de la courte guerre visant à protéger les états papaux contre l’intégration à l’italie unie en 1870. Pour reprendre les termes utilisés par l’historien arthur silver, au Québec, on observe un « mariage entre la religion et le patriotisme »21. si les Canadiens anglais se tournent vers la Grande-Bretagne et, par extension, son monarque protestant et ses institutions politiques, les Canadiens français contemplent l’univers plus vaste du catholicisme. La réalité du catholicisme va être mise en péril par les forces du nationalisme, du protestantisme, du modernisme et du laïcisme, et ces forces sont à l’œuvre au Canada également.

en 1870 et 1885, les rébellions de riel ont laissé leur marque sur les relations entre Français et anglais et entre catholiques et protestants mais on observe d’autres frictions également. religion et enseignement forment un mélange volatil. On tient en haute estime l’enseignement, étroitement lié au progrès et au développement mais aussi à la formation morale des futurs citoyens. L’enseignement relève de la compétence provinciale et toutes les provinces soutiennent les écoles à l’aide de taxes. en Ontario et au Québec, les systèmes public (protestant en réalité) et catholique coexistent ; enchâssés dans la constitution, ils sont à l’abri de la capacité des majorités religieuses locales de les modifier. La constitution manitobaine est le reflet de l’équilibre initial entre anglophones et francophones et entre catholiques et protestants : le français est officiellement reconnu et il existe un système scolaire catholique distinct. ailleurs, la minorité catholique est à la merci de la tolérance de la majorité protestante face à la protection de certains segments du système scolaire pour permettre l’enseignement catholique. dans la même veine, la pratique des langues est elle aussi question de grâce ou de faveur car, à l’exception du Québec, du Manitoba, du Parlement d’Ottawa et des cours fédérales, l’utilisation du français ne fait l’objet d’aucun droit.

 

9 • expansion eT désillusion, 1867–1896

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Pourtant, il existe une ambiguïté dans les relations des Canadiens catholiques, tant anglophones que francophones, avec les autres Canadiens et l’état canadien. L’église catholique cohabite avec l’état protestant depuis plus de cent ans et, au Québec, elle l’a absorbé. en Ontario, l’état a offert des accommodements à la minorité catholique sous la forme d’un système scolaire catholique distinct. Certains catholiques sont sceptiques face à la bonne foi de la reine victoria et de ses ministres, autant britanniques que canadiens, mais ce n’est pas le cas de tout le monde. On a le sentiment qu’en tant que minorité, il ne faut pas exagérer dans les provocations à l’endroit de la majorité ; autrement dit, beaucoup de catholiques souhaitent ardemment faire la preuve qu’eux aussi sont loyaux, que leur religion est aussi loyale et patriotique que n’importe quelle autre22.

La patience des catholiques et des Français est mise à rude épreuve par les actes du gouvernement du Manitoba. Pendant les années 1880, la province a accueilli de nombreux colons anglo-ontariens, tandis que le proportion de francophones baissait sans cesse. Les élections provinciales de 1888 viennent confirmer cette réalité démographique. sous la direction de thomas Greenway, les libéraux s’emparent du pouvoir et ne tardent pas à abolir aussi bien le statut officiel du français que les écoles distinctes.

L’acte de l’amérique du nord britannique prévoyait ce genre d’éventualité. Le Parlement fédéral a le droit de promulguer une loi pour répondre aux griefs de la minorité au Manitoba et, au bout du compte, le gouvernement conservateur à Ottawa prend son courage à deux mains et passe à l’acte. Lorsqu’il le fait, en 1896, les conservateurs sont sur le point de perdre le pouvoir. Quatre premiers ministres se sont succédé très rapidement : sir John abbott, 1891-1892 ; sir John thompson, 1892–1894 ; sir Mackenzie Bowell, 1894–1896 ; et enfin sir Charles tupper en 1896. Fait cocasse, c’est Bowell, un Orangiste, qui fait adopter la loi sur la question des écoles du Manitoba, au moment toutefois où son propre parti s’apprête à le destituer. C’est donc tupper qui est confronté à Wilfrid Laurier aux élections fédérales de 1896, et c’est tupper qui y subit une défaite sans appel. il a les mains liées par les positions conservatrices dans le dossier des écoles manitobaines tandis que la position de Laurier à cet égard est impossible à cerner. Plutôt qu’une confrontation avec le Manitoba, Laurier recommande la prise de « bonnes dispositions » et la conciliation pour trouver une solution à l’amiable. Ce devrait être à déconseiller au Québec mais la situation tourne autrement.

au cours de ces élections, c’est le Québec qui fait la différence entre la réussite ou l’échec pour Laurier. Lorsqu’on cherche à savoir pourquoi le Québec a rejeté les conservateurs, favorables à la langue française et aux droits des catholiques dans l’Ouest, il est bon de garder à l’esprit que les électeurs sont confrontés à d’autres questions et d’autres circonstances.

 

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Les dirigeants conservateurs sont vieux et vulnérables. Comme c’est le cas de tout parti demeuré longtemps au pouvoir, les conservateurs ont froissé beaucoup de monde. au point de décourager des hommes politiques plus jeunes et plus brillants ou, comme c’est le cas du très compétent israël tarte au Québec, de les amener à quitter le parti. Âgé de cinquante-cinq ans, Laurier n’est plus un jeune homme mais il est malgré tout plus jeune que tupper, qui a soixante-quinze ans. À une époque où l’art oratoire est très prisé, Laurier s’impose comme un orateur brillant et éloquent et il se révèle un chef plein de ressources. en juin 1896, il sort des élections fédérales avec une majorité de trente sièges à la Chambre des communes. il restera premier ministre pendant quinze ans.

 

Une histoire du Canada
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