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réputation bien méritée chez lui en irlande d’homme politique large d’esprit et conciliant. tous deux sont incapables de faire des progrès. Comme l’a fait remarquer Phillip Buckner, biographe d’aylmer, les hommes politiques du Bas-Canada, Papineau en tête, sont déterminés à prouver que même le meilleur gouverneur doit être considéré comme un échec30. au début des années 1830, de constitutionnaliste libéral qu’il était, Papineau est devenu un républicain radical, un admirateur de la révolution française de 1830
et un partisan enthousiaste de la démocratie à l’américaine, à condition, bien entendu, que ses privilèges de seigneur soient respectés après la révolution, en plus de quelques bagatelles semblables. en 1832, Papineau a écarté beaucoup de ses anciens associés modérés et professe une révision en profondeur de la constitution du Bas-Canada.
ses partisans et lui refusent les tentatives britanniques d’en arriver à un compromis à propos du contrôle des revenus. si l’on doit dépenser des fonds publics, surtout pour payer les détenteurs de fonctions publiques, ils veulent déterminer qui doivent être ces détenteurs. Le point important réside dans l’aspect négatif de la proposition : si Papineau choisit les conseillers du gouverneur, ce ne sera pas le gouverneur ni même le gouvernement britannique qui dirigera la province.
Pendant les années 1830, l’hystérie politique prend de l’ampleur.
Certains Patriotes soupçonnent le gouvernement d’essayer de les noyer sous une vague d’immigration. Mais lorsque, en 1832, l’immigration provoque une épidémie de choléra qui emporte sept mille personnes sur une population de 500 000 habitants, certains Patriotes en viennent à penser que le gouvernement s’efforce véritablement d’exterminer les Canadiens français pour les remplacer par des immigrants anglophones. Cette même année 1832, une émeute provoquée par les élections à Montréal oblige l’armée britannique à intervenir pour maintenir l’ordre. Les soldats tirent sur les émeutiers et en tuent trois – nouvelle preuve, si besoin en était, de la tyrannie britannique.
en 1834, Papineau et ses partisans font adopter les Quatre-vingt-douze résolutions par la Chambre d’assemblée, exigeant le contrôle populaire sur le gouvernement par le biais d’élections ; et, grâce aux élections, ils y remportent une écrasante majorité. ils s’en servent pour faire obstacle à toutes les lois, y compris celles sur les revenus, jusqu’à ce qu’on ait accédé à leurs revendications constitutionnelles. C’est tout ou rien, quoique ce n’est peut-être pas ainsi que Papineau voit les choses. Les gouverneurs, eux, le comprennent très bien et, au bout du compte, le gouvernement britannique également.
Face à cette situation, le gouvernement prend trois mesures : il garde sir John Colborne, général à la grande expérience, au Canada ; il 158
UnE HIsTOIRE dU Canada
commence à établir des relations avec des hommes politiques plus modérés ; et il met tout en œuvre pour consolider les revenus qu’il peut soustraire au contrôle de l’assemblée, de façon à maintenir un semblant de gouvernement.
Comme lieutenant-gouverneur du Haut-Canada, Colborne a fait l’objet de critiques – trop aux yeux du gouvernement impérial libéral (voir plus bas), de sorte que les whigs l’ont rappelé en 1836. en tant que général, toutefois, il se révèle l’homme idéal, se trouvant au bon endroit au bon moment. Le gouverneur général, lord Gosford, est un homme très pacifique et porté aux compromis ; pendant un certain temps, en 1837 et 1838, il semble que sa politique de compromis, d’établissement de rapports avec l’opposition, a échoué. Comme l’indiquera la suite des choses, cependant, elle n’a pas échoué même si Gosford lui-même, qui démissionne de son poste en novembre 1837 et quitte la province au début de l’année suivante, ne pourra en être témoin31. il reste à Colborne à préparer la scène en rassemblant des troupes et en renforçant ses positions.
sans s’en apercevoir, Papineau et Colborne prennent la même direction. À l’été et à l’automne de 1837, Papineau convoque une série de réunions monstres, les « assemblées » dans toute la province. dans ces réunions, les propos utilisés deviennent de plus en plus insensés. Comme le soulignera plus tard l’historien allan Greer, c’est sans doute nécessaire pour éloigner les Canadiens français d’une vision du monde profondément ancrée dans le monarchisme et la tradition. s’ils veulent inculquer des notions républicaines, les Papineau et consorts doivent commencer par se débarrasser du discours monarchique avant d’abolir la monarchie ellemême. La jeune reine, victoria, qui vient juste d’accéder au trône, devient la cible privilégiée d’insultes personnelles32. Puis, prenant ainsi une mesure qui rappelle les rebelles avant la révolution américaine, Papineau met en place des « comités de correspondance ».
Coincé entre les discours et la réalité, Papineau fait confiance aux discours. Par mesure préventive, il a été en contact avec le dirigeant radical du Haut-Canada, William Lyon Mackenzie, et espère des soulèvements simultanés, de sorte que la garnison britannique s’en trouvera débordée. Les discours n’ont pas l’effet escompté ; au lieu de terroriser le gouvernement et ses partisans, ils leur donnent un coup de fouet : les patriotes britanniques locaux se mobilisent pour défendre leurs concepts constitutionnels opposés à ceux de Papineau. La perplexité s’empare du dirigeant populaire. Le gouverneur suspend la constitution, autorise la levée de forces paramilitaires parmi les loyaux sujets (anglophones) et émet des mandats d’arrêt contre Papineau et ses comparses.
Les combats éclatent en novembre 1837, au nord et au sud de Montréal. Point essentiel, les autres régions de la province ne s’en mêlent pas. Colborne est prêt et, après quelques premiers revers, il écrase les 7 • TransformaTions eT relaTions, 1815–1840