161
retirées de la nouvelle-écosse, du nouveau-Brunswick et du Haut et du Bas-Canada. Prédicateurs officieux, vivant d’expédients et de charité, les méthodistes comblent le vide laissé par l’église établie, surmontant même leur incapacité à célébrer légalement des mariages, qui sont la chasse gardée des rares pasteurs anglicans des provinces. si, au Canada français, la langue représente un obstacle insurmontable, ailleurs, leur message est reçu avec enthousiasme, même par des familles ou des personnes autrefois anglicanes.
On peut prendre l’exemple de la famille ryerson, des Loyalistes et anglicans venus du new Jersey et habitant dans le comté du norfolk, sur la rive nord du lac érié. Juge de paix et colonel de la milice, Joseph ryerson adhère à l’église anglicane et va jusqu’à fermer sa porte à son fils egerton lorsque ce dernier se convertit au méthodisme. en dépit des craintes de son père, pour egerton, ce choix religieux n’est pas déterminant pour son allégeance politique ; enfant, il a vu les maraudeurs américains à l’œuvre pendant la guerre de 181237 et n’a aucune raison d’admirer la république ou ses institutions. Quand l’occasion se présente de détacher le méthodisme canadien de ses cousins américains et de retourner à ses racines britanniques, egerton ryerson, devenu le promoteur et le journaliste le plus influent de l’église, ne la laisse pas passer. Mais tant que les pouvoirs ne reconnaîtront pas que les méthodistes et les autres protestants dissidents ne font pas preuve d’un manque de loyauté en choisissant de ne pas vénérer l’église de l’état, l’harmonie dans la province sera mise à mal par la question religieuse.
Les méthodistes ont la malchance de se trouver confrontés à l’inflexibilité de John strachan, l’archidiacre anglican de York, qui deviendra plus tard le premier évêque anglican de toronto. écossais et presbytérien à l’origine, strachan est le promoteur le plus ardent et le plus puissant, mais non le mieux placé, de l’anglicanisme38. Un gouverneur général ultérieur, lord elgin, l’appellera « l’homme le plus dangereux et le plus vindicatif du Haut-Canada39 ». strachan ne ménage pas ses efforts pour créer une province reposant sur son église, voire dominée par celle-ci. ancien maître d’école, il voit ses anciens élèves accéder à des postes de pouvoir, dont ils se servent pour renforcer l’influence de l’église. strachan lui-même siège au conseil exécutif, où il donne des conseils confessionnels aux lieutenants-gouverneurs, qui s’empressent de les écouter. Mais strachan n’est pas seul à défendre sa position puisqu’il peut compter sur ses collègues du conseil exécutif très uni et, à côté de cela, sur l’assentiment et l’enthousiasme d’hommes bien en vue d’un bout à l’autre du Haut-Canada.
Les trois lieutenants gouverneurs du Haut-Canada durant cette période, sir Peregrine Maitland (1818–1828), sir John Colborne (1828–
1835) et sir Francis Bond Head (1835–1838) ne sont pas dépourvus de talent, 162
UnE HIsTOIRE dU Canada
bien que Head soit tellement excentrique que ses critiques soutiendront –
fait tout à fait plausible – qu’il a été nommé à ce poste par erreur. tous trois sont très attachés aux principes de la constitution britannique, qui comprennent, selon leur visions des choses, l’église anglicane. ils sont aussi très attachés à une interprétation stricte de leur fonction et de la relation qui doit exister entre une colonie et l’empire. Les gouverneurs gouvernent, et les colons, s’ils veulent être d’une loyauté à toute épreuve, en acceptent les résultats. Par conséquent, les gouverneurs repoussent toute tentative de compromis – à propos des réserves du clergé, de l’éducation ou de la conduite des fonctionnaires nommés.
Comme au Bas-Canada, l’inflexibilité mène tout droit à la confrontation. strachan et ses amis étouffent une première tentative d’un radical d’origine écossaise, robert Gourlay, de remettre en question leur attitude. Gourlay est arrêté, deux fois acquitté par des jurys, puis finalement trouvé coupable et déporté en 1818. son départ laisse la place à un autre écossais, plus difficile celui-là.
William Lyon Mackenzie est né en écosse en 1795. après une folle jeunesse, il immigre au Haut-Canada en 1820 pour finir par s’établir dans la capitale provinciale, York, en 1824. il y apporte son quotidien, The Colonial Advocate, son tempérament agité, un sentiment aigu de victimisation, tant individuelle que générale, et un talent inégalé pour les vitupérations. il y trouve une matière abondante pour alimenter sa plume et ne tarde pas à soulever l’ire des membres de la minuscule élite de la capitale, à tel point qu’en 1826, certains de leurs fils se vengent de lui en jetant sa presse à imprimer dans les eaux du port. C’est le point de départ du succès de Mackenzie, qui, par la suite, n’est plus seulement une victime imaginaire de la persécution officielle, mais bien une véritable victime. Cette victime poursuit ses tortionnaires et se voit donner raison ; avec l’argent qu’il reçoit à titre d’indemnisation, Mackenzie bâtit à la fois son quotidien et sa réputation.
au moment d’entreprendre sa carrière au Haut-Canada, Mackenzie est convaincu du fait que, bien appliquée, la constitution britannique répondra aux besoins politiques de la colonie et à sa prospérité future, et défend cette idée. en cela, il est semblable à d’autres réformateurs, tels William Warren Baldwin ou son fils robert, ou même Marshall spring Bidwell. Mais, comme Papineau au Bas-Canada, il tourne le dos au modèle britannique qui, selon lui, ne permettra jamais aux gens – ce qui revient à dire lui-même – de se faire entendre.
en réalité, les revendications de réforme de Mackenzie sont partagées par bien d’autres personnes, des méthodistes et d’autres protestants, qui réclament du gouvernement d’être traités sur un pied d’égalité avec les 7 • TransformaTions eT relaTions, 1815–1840