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provenance de l’étranger. il en résulte du contentement, en particulier parmi les politiciens qui dirigent l’état britannique, son armée, sa marine et son empire. Les colonies britanniques ne devraient-elles pas suivre la même voie ?
Les coloniaux ne le voient pas de la même manière. Pour la Grande-Bretagne, qui est déjà prospère, le recours au libre-échange lui permet d’accroître sa richesse et de dominer les marchés mondiaux grâce à sa production industrielle. Contrairement aux colonies ou à d’autres pays – la Prusse, par exemple, ou les états-Unis – , la Grande-Bretagne possède déjà des industries, a déjà établi une production et sa population est déjà plus qu’abondante. avant de pouvoir souscrire aux bienfaits du libre-échange, les colonies devront atteindre les niveaux de production et de prospérité de la Grande-Bretagne.
Les théoriciens prussiens et les praticiens américains ont des justifications élaborées pour expliquer la raison pour laquelle le libre-échange n’est pas indiqué comme politique dans une économie en développement.
Les industries doivent évoluer avant de pouvoir espérer concurrencer les Britanniques ou toute autre économie avancée. C’est seulement à ce moment que le libre-échange sera possible (la théorie des « industries naissantes »).
Un autre argument repose sur l’expérience récente et douloureuse des colonies, qui étaient à la merci de l’exportation des produits de base, le blé et le bois, vers la Grande-Bretagne. Les colonies n’ont pas diversifié leurs économies et, par conséquent, n’ont aucune solution de rechange lorsque la Grande-Bretagne retire leur préférence tarifaire. seul l’encouragement vigilant des manufactures locales par le biais de tarifs protecteurs permettra de sauvegarder le futur gagne-pain des populations coloniales.
Les colonies réagissent immédiatement en transférant la dépendance d’un partenaire à un autre. si les Britanniques peuvent miner le fondement économique de l’ancien système colonial, pourquoi les coloniaux n’abandonneraient-ils pas leur lien politique avec la Grande-Bretagne ?
Une vague de sentiment annexionniste déferle dans les colonies, touchant particulièrement les classes moyennes. À Montréal, les tories, qui en veulent autant au gouvernement britannique qu’au gouvernement réformiste provincial de Baldwin et LaFontaine, rédigent un « manifeste d’annexion »
demandant l’union avec les états-Unis – les marchés américains au prix de l’intégration à l’union américaine.
il s’agit d’un feu de paille que le gouverneur général lord elgin éteint avec un certain doigté. avec le retour à la prospérité au début des années 1850, le manifeste et le sentiment qui l’a inspiré sont oubliés. Cela indique néanmoins que les économies coloniales doivent reposer sur des bases plus solides et plus fiables. si on ne peut garantir le commerce avec 186
UnE HIsTOIRE dU Canada
la Grande-Bretagne, pourquoi ne pas profiter du bon côté de la plateforme annexionniste et tenter une relation commerciale avec les états-Unis ?
Lord elgin joue de nouveau un rôle crucial. en 1849, il avance qu’un commerce stable et préférentiel avec les états-Unis atténuerait les revendications politiques des colons. Paradoxalement, plus le lien est étroit entre les colonies et le vaste et prospère marché américain, moins elles sont susceptibles de vouloir s’annexer aux états-Unis14. Les états-Unis, sans le vouloir, peuvent donner plus de stabilité à l’empire britannique au sein de l’amérique du nord. de plus, le gouvernement britannique peut facilement réduire sa garnison nord-américaine, tandis que les colons peuvent centrer leurs efforts sur le développement et l’enrichissement de leurs provinces.
Comme pour mettre en évidence le coût élevé des colonies, la Marine royale est appelée à contrôler les eaux de la nouvelle-écosse afin de défier les bateaux de pêche américains qui braconnent ou qui pénètrent dans la limite traditionnelle de souveraineté de trois milles (cinq kilomètres) le long de la côte. Cela pousse les communautés de pêcheurs de la nouvelle-angleterre à envisager un compromis en intégrant les pêches de l’atlantique dans le cadre d’un accord commercial substantiel entre les états-Unis et l’amérique du nord britannique.
apaiser l’industrie des pêches de la nouvelle-angleterre ne constitue qu’un élément, quoique important, dans la négociation d’un accord commercial avec les états-Unis. La constitution américaine attribue un pouvoir réservé sur les tarifs et le commerce plutôt au Congrès qu’au pouvoir exécutif, bien que ce dernier soit responsable des affaires étrangères.
Les tarifs sont un sujet brûlant dans la politique américaine. en effet, en 1833, la Caroline du sud défie l’autorité fédérale afin d’imposer un tarif plus élevé que les politiciens de l’état ne jugeaient indiqué.
Mais aux états-Unis, la question encore plus dangereuse de l’esclavage a dépassé les tarifs sur le plan de la controverse politique.
Quatorze états du sud qui permettent l’esclavage considèrent qu’il constitue la base de l’économie et de la société. au fil des ans, l’esclavage a été banni dans les états du nord, comme il l’a été dans les provinces britanniques15.
Le régime politique américain est bien équilibré entre le nord et le sud ; le sud demande qu’il y ait suffisamment d’états esclavagistes pour bloquer l’influence des anti-esclavagistes du nord16.
naturellement, la première question concernant un accord commercial avec le Canada est de savoir comment cela affectera la grande question de l’esclavage et l’équilibre politique américain. Pour de nombreux états du nord, l’attrait d’une entente commerciale avec les provinces britanniques, indépendamment de ses incidences économiques, réside dans 8 • de colonies à provinces