218
UnE HIsTOIRE dU Canada
Mais, toutes choses étant par ailleurs égales, c’est la question des tarifs plus que toute autre politique gouvernementale, mélangée à d’autres formes de dévotion (ethnique, linguistique et religieuse), qui détermine la tendance du scrutin en 1896, ce qui donne un électorat déterminé à soutenir les partis politiques nationaux. Les tarifs sont, par définition, des subventions, un transfert d’argent des consommateurs aux industries protégées, mais leur attrait particulier pour les politiciens réside (et c’est encore le cas de nos jours) dans le fait que la plupart des consommateurs-
électeurs ne s’en rendent pas compte.
Les tarifs représentent la grande question théologique de la politique au dix-neuvième siècle et ce, pas seulement au Canada. Bien que le débat sur le libre-échange et la protection s’apaise en Grande-Bretagne pendant la plus grande partie du dix-neuvième siècle, il demeure, en toile de fond, un des grands tabous de la politique britannique. aux états-Unis, les tarifs continuent de soulever les passions, surtout parmi les agriculteurs, qui bénéficient peu des prix élevés de la machinerie agricole ou des textiles.
Le miracle réside dans le fait que, dans un pays principalement agricole, les tarifs puissent bénéficier d’appuis tellement forts qu’ils sont pratiquement intouchables.
Les gouvernements canadiens préféreraient en revenir à des tarifs moins élevés avec les états-Unis, mais il s’agit là d’une ambition irréalisable.
il reste le marché intérieur et la politique à son sujet. L’avantage politique dicte un régime de tarifs élevés, dont les retombées sont bien perceptibles aux états-Unis, où ils représentent le ciment invisible qui lie les fabricants au Parti républicain favorable à des tarifs élevés. Cette convergence d’intérêts est enrobée de nationalisme : on assure aux électeurs que c’est faire preuve de patriotisme que de soutenir des tarifs élevés. Macdonald ne voit aucune raison de ne pas imiter les républicains. il donne à son régime tarifaire le nom de « Politique nationale ». inaugurée en 1879, elle demeurera la pierre angulaire de la politique commerciale canadienne pendant les cent années qui suivront.
La technique est simple. Bien qu’il soit petit, le marché canadien est suffisamment grand pour soutenir l’industrie locale, pour autant qu’on puisse protéger cette dernière de la concurrence étrangère. Le gouvernement demande donc aux parties intéressées d’exposer leurs vues puis les transmet à un petit groupe de conseillers à Ottawa. il est très rare que l’on tienne compte des intérêts des consommateurs, uniquement lorsque les consommateurs représentent un intérêt commercial en mesure de faire sentir son influence à Ottawa. La politique a certes son rôle à jouer : il faut mettre les exactions tarifaires dans la balance avec le ressentiment au sein des diverses régions du pays. dans le cas de la Colombie-Britannique, par exemple, les tarifs représentent une concession par rapport à la promesse 9 • expansion eT désillusion, 1867–1896