LA cHUTE DE DiEFEnBAKER

diefenbaker a la malchance de diriger un Canada divisé selon la génération et la langue. À ces divisions, il ajoute le manque d’harmonie régionale et une véritable crise en politique étrangère. diefenbaker n’a pas beaucoup de politiques qui viennent de lui et les comportements qu’il apporte au gouvernement sont les platitudes d’une époque révolue. Confronté aux grondements du Québec français, il produit des chèques du gouvernement fédéral bilingues, question qui n’a plus fait les manchettes depuis les années 1930. Conscient du fait que les députés francophones et certains de ses propres ministres dorment ou se font du mauvais sang pendant les débats parlementaires ou les séances du Cabinet, diefenbaker instaure la pratique de l’interprétation simultanée.

il n’est pas non plus au diapason avec le Canada anglais. sa dévotion envers la monarchie et ses références au passé – le sien – commencent à paraître désuètes et dépourvues de pertinence. au terme des élections générales de juin 1962, diefenbaker voit sa représentation parlementaire fondre de 208 à 116 députés, ainsi que sa majorité à la Chambre des communes. vulnérable sur le plan politique, « le chef » voit les loups encercler sa position, et tous ne font pas partie de l’opposition. ses propres partisans lui reprochent la disparition de leur confortable majorité et de leurs perspectives de pouvoir pour un temps indéfini. Les Canadiens se sont habitués à des gouvernements pour un temps indéfini sous King et les libéraux ; l’avenir de diefenbaker semble désormais se compter en mois.

diefenbaker pourrait malgré tout survivre. il dispose encore de certaines ressources, notamment un contingent restreint mais encore respectable en provenance du Québec, où les vieilles forces ne sont pas encore totalement anéanties. il détient la plupart des sièges ruraux du Canada et domine les provinces des Prairies, qui ont développé de l’affection envers un homme qui, en dépit de ses défauts, est au moins originaire de l’Ouest. il y a deux petits partis d’opposition, les néo-démocrates ou le nPd (qui a remplacé la CCF depuis 1961) et le Crédit social, qui, en vertu d’un curieux retour du destin, est désormais principalement francophone et 366

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d’origine québécoise. Mais ni le nPd ni le Crédit social ne veut remplacer un diefenbaker blessé par Pearson, dont le Parti libéral représente un ennemi plus mortel pour leurs propres perspectives politiques.

L’ennemi juré de diefenbaker ne vit même pas au Canada.

John F. Kennedy entretient de grands espoirs vis-à-vis du Canada au moment de son élection en 1961. il rend immédiatement visite à diefenbaker pour lui imposer une sorte de partenariat dans les amériques et ailleurs dans le monde. L’esprit de la proposition de Kennedy est tout à fait correct mais c’est toujours dans les détails que se trouve le mal et, au nombre de ces détails, il y a l’écart habituel (de l’ordre de dix à un) entre la richesse et la population des deux pays. il est facile de voir où la plupart des décisions seront prises, même si Kennedy a la ferme intention d’y faire participer diefenbaker. Plus la décision est importante, moindre est la consultation.

Un bon exemple est celui de la défense de l’amérique du nord contre une attaque soviétique. Pendant les années 1950, on suppose avec raison que ce genre de menace proviendra de bombardiers à long rayon d’action dont l’équipage larguera une pluie de bombes nucléaires sur les villes d’un continent jusque-là invulnérable. Les avions soviétiques devront traverser le ciel canadien, ses lignes de radars entretenues par les états-Unis et une organisation de défense aérienne destinées à détecter et abattre les appareils russes. Comme il se doit, ce sont les américains qui prennent l’initiative ; ce sont eux qui disposent de l’argent et de la technologie nécessaires. ils sont en outre déterminés à survivre à une attaque nucléaire et, avec l’aide de diefenbaker, simulent plusieurs alertes au raid aérien afin de permettre à la population de se familiariser avec les conséquences éventuelles d’une guerre nucléaire.

Les alertes (l’une d’entre elles porte le joyeux nom de « tocsin ») n’ont pas tout à fait l’effet voulu. elles effraient les citoyens qu’elles sont censées rassurer, quoique les planificateurs des opérations ne disent pas par quel mystère une projection de plusieurs millions de victimes devrait rassurer la population. selon les plans, diefenbaker et ses principaux ministres doivent se rendre jusqu’à un abri à l’épreuve des bombes en dehors d’Ottawa, un trou aux parois de béton percé dans le sol auquel des plaisantins donnent le nom de « diefenbunker ». Même les piliers de l’establishment conservateur commencent à entretenir des doutes quant à la sagesse d’une politique qui semble accepter avec aplomb la perspective d’une incinération à l’échelle mondiale39. Pour la première fois depuis le déclenchement de la guerre froide s’exerce une pression raisonnable sur le gouvernement pour qu’il dénoue une impasse stratégique proposant la dévastation comme solution de rechange à la défaite.

 

13 • des Temps Bénis, 1945–1963

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La question de l’arsenal nucléaire devient plus pressante quand, en 1961-1962, l’administration Kennedy fait pression sur le gouvernement diefenbaker pour qu’il honore les engagements du Canada – certains de ceux-ci ont été pris envers l’Otan et peuvent remonter jusqu’à 1954 –

d’équiper les forces armées canadiennes d’ogives nucléaires américaines.

(Celles-ci demeureraient la propriété des américains, seraient contrôlées par ces derniers et ne deviendraient opérationnelles qu’en cas de consentement mutuel entre le Canada et les états-Unis.) Plus particulièrement, diefenbaker a fait l’acquisition d’un système de missile américain, le Bomarc40, afin d’abattre les bombardiers soviétiques qui s’approcheraient ; le Bomarc ne fonctionnerait qu’avec des armes nucléaires. diefenbaker est coincé entre les engagements internationaux du Canada et son sentiment que cette question risque de soulever une tempête politique dans son pays. Pire encore, son ministre des affaires extérieures, Howard Green, et son ministre de la défense, douglas Harkness, ont des points de vue diamétralement opposés sur cette question, Harkness prônant l’adoption des armes nucléaires et Green y étant opposé.

La question nucléaire atteint un stade critique en octobre 1962, pendant la crise des missiles cubains. depuis la révolution de 1959, Cuba a un gouvernement communiste dirigé par Fidel Castro. La présence du communisme à 150 kilomètres de Key West en passant par le détroit de Floride consterne le gouvernement américain, qui, sous eisenhower comme sous Kennedy, met tout en œuvre pour renverser le dictateur cubain.

Kennedy donne son appui à une invasion insensée d’exilés cubains en 1961

(qui échoue lamentablement) avant de soutenir plusieurs plans en vue d’assassiner Castro, notamment à l’aide d’un cigare explosif. Castro s’en indigne mais sa foi communiste lui souffle à l’oreille que c’est à cela qu’un bon communiste doit s’attendre de la part du capitalisme. il en appelle à la mère de tous les communistes, l’Union soviétique, qui n’est que trop heureuse de lui venir en aide. Cuba représente une tête de pont dans les amériques et l’île vient modifier l’équilibre stratégique, surtout si l’Urss est en mesure d’y installer des missiles (à ogives nucléaires). Les américains les découvrent en octobre 1962, au moment où les rampes de lancement en sont aux dernières étapes de leur construction, ce qui déclenche la crise cubaine.

Kennedy lance un appel à la solidarité chez ses alliés et envoie un diplomate chevronné au Canada faire rapport à diefenbaker sur les agissements des soviétiques et la réaction qu’il se propose d’avoir. il est surpris d’apprendre que diefenbaker met ses preuves en doute, que le Canada est, de ses principaux alliés, celui qui collabore le moins. Heureusement, la crise trouve assez vite son dénouement et, en pratique, les hésitations de diefenbaker ne changent rien à la situation. Mais les fuites dans les médias 368

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ne tardent pas, ce qui a des répercussions sur le jugement que porte sur son premier ministre l’opinion publique canadienne, qui s’attendait à ce qu’il maintienne l’unité avec ses alliés, les états-Unis au premier chef.

Quelques mois plus tard, en février 1963, la question des ogives nucléaires entre dans une phase critique. Kennedy fait une déclaration dans laquelle il reproche au Canada de n’être pas parvenu à un accord sur le déploiement d’ogives nucléaires après des années de négociations. Les ministres de diefenbaker ne tardent pas à se chamailler, le ministre de la défense remet sa démission et le gouvernement subit la défaite à la suite du dépôt d’une motion de confiance à la Chambre des communes. diefenbaker a réalisé l’impossible : convaincre les trois partis de l’opposition d’unir leurs voix pour lui infliger une défaite alors qu’il aurait suffi de l’appui d’un seul pour sauver le gouvernement.

À l’issue des élections qui ont lieu le 8 avril 1963, diefenbaker, son Cabinet à la dérive, subit la défaite. Le chef libéral, Pearson, n’a pas tellement gagné que récolté les fruits du manque d’à-propos politique de diefenbaker. Ce dernier semble trouver l’issue difficile à comprendre et encore plus dure à avaler. Combiné à son caractère vindicatif par nature, cela va donner énormément de couleur à l’histoire politique du Canada pendant les quelques années à venir.

 

Une histoire du Canada
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