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connexes à la politique étrangère, le commerce et l’immigration. Politiciens et économistes s’entendent pour dire que seuls les échanges commerciaux peuvent entraîner un regain de prospérité ; là où ils ne sont plus d’accord, ou lèvent les bras en signe de désespoir, c’est sur la manière de donner un nouvel élan au commerce. Pour ce qui est de l’immigration et des immigrants, le pays n’en veut plus. La police ratisse les ruelles à la recherche d’immigrants radicaux que l’on peut déporter, ce qui est fait. Ce n’est plus la peine de présenter de demandes d’immigration.
Le sentiment anti-immigration vient conforter le directeur de l’immigration du Canada dans les années 1930, Fred Blair, dans ses convictions. en réalité, Blair est antisémite et il occupera son poste jusqu’au début de la campagne montée par Hitler en vue de persécuter les Juifs d’allemagne. Pour Blair, les réfugiés juifs peuvent bien se rendre ailleurs.
il est convaincu qu’aucun homme politique ne prendra publiquement fait et cause pour l’admission de réfugiés juifs au Canada, ce en quoi il a raison15.
L’indécision de Mackenzie King sur les questions de politique étrangère a d’autres motifs. Une génération de commentateurs sceptiques a disséqué les raisons du déclenchement de la Grande Guerre. La confiance dans le fait que la cause britannique était juste et bonne n’est plus aussi solide qu’avant. aux états-Unis, un comité du Congrès, dont les travaux sont très médiatisés, se penche sur la question de savoir si la guerre n’était pas due à une conspiration de banquiers et de fabricants de munitions. King lui-même se semble pas se laisser influencer par ces spéculations, mais l’opinion publique canadienne n’est pas insensible à la brise qui souffle depuis les états-Unis et l’idée selon laquelle l’amérique du nord est qualitativement distincte de l’europe et devrait demeurer à l’abri, isolée, des machinations européennes trouve quelques appuis.
King fait de son mieux pour éviter une crise concernant la politique étrangère. il répudie son propre représentant à la société des nations et s’efforce ensuite de mettre en œuvre le régime de sanctions de la société pour stopper l’invasion italienne en éthiopie en 1935 et la faire reculer. L’opinion publique canadienne est divisée sur cette question, en fonction de la langue et de la religion, signe évident pour le premier ministre que le Canada doit éviter toute implication. On observe une scission semblable l’année suivante lorsque les forces monarchistes, catholiques de droite déclenchent une guerre civile en espagne contre un gouvernement républicain laïque et socialiste. il y a mésentente entre les Canadiens, encore une fois selon la race et la religion, quant à savoir qui a tort et qui a raison ; et, une fois de plus, King recule, refusant de prendre parti si ce n’est pour demander instamment aux Canadiens d’éviter de s’impliquer trop ouvertement. en dépit de ses avertissements, certains le font, prenant les armes en faveur de la république espagnole au sein du « bataillon Mackenzie-Papineau ». rien 314
UnE HIsTOIRE dU Canada
n’indique que King se laisse émouvoir par l’évocation du nom de son grand-père révolutionnaire.
King se rend en europe à plusieurs reprises en 1936 et 1937 et devient un visiteur habituel, le plus fréquent visiteur étranger à son époque en réalité, à la Maison-Blanche. il fait appel à roosevelt avant d’aller assister à une conférence impériale à Londres en 1937, mais roosevelt, coincé par sa propre opinion publique isolationniste, n’est en mesure d’offrir ni aide ni promesse d’aide aux Britanniques, de plus en plus inquiets devant la montée de l’allemagne nazie et la défection de l’italie fasciste d’une alliance avec la Grande-Bretagne à la suite de l’incident éthiopien. seule la France demeure une alliée fidèle de la Grande-Bretagne, ce qui, comme le diraient les Français, est « faute de mieux ». Les Britanniques cherchent en vain à soutirer des promesses d’aide à King en 1937 ; King refuse de s’engager de façon explicite. Pourtant, au cours d’une visite à Berlin, King déclare à certains ministres incrédules d’Hitler que, si jamais l’allemagne attaquait la Grande-Bretagne, les Canadiens traverseraient l’atlantique à la nage pour venir en aide à la mère patrie16.
Les indications sont claires : en cas de crise internationale comme celle qui est imminente, le Canada entrera une fois de plus en guerre aux côtés de l’empire britannique. (King envoie au gouvernement britannique une note concernant les conversations qu’il a eues à Berlin, notamment son observation à l’effet que les Canadiens seraient disposés à venir en aide aux Britanniques.) toutefois, les Britanniques ne saisissent pas ces indices et passent les années 1938 et 1939 dans l’incertitude à propos des intentions du Canada.
en réalité, King est totalement en accord avec la politique du plus récent premier ministre britannique, neville Chamberlain (1937–1940).
neville est le fils de Joe, l’ancienne bête noire de Laurier mais, aux yeux de King, c’est un défaut pardonnable. autoritaire, arrogant même, au sein de son propre gouvernement, Chamberlain a une foi profonde en l’art de la conviction, l’apaisement, en matière d’affaires étrangères. Pendant les années 1920 et 1930, c’est une stratégie familière pour les Britanniques.
il vaut mieux choisir n’importe quoi que la guerre, avec ses horribles pertes, ses coûts et ses perturbations. La Grande Guerre a porté atteinte à la position financière de la Grande-Bretagne, qui se trouverait en moins bonne position qu’en 1914 pour se lancer dans une nouvelle guerre. (King et ses collègues entretiennent le même genre de craintes à propos de la situation économique du Canada.) Personne ne peut prédire comment la Grande-Bretagne pourrait survivre à un nouveau conflit, de sorte qu’il est parfaitement rationnel de vouloir en éviter un.
12 • mondes hosTiles, 1930–1945