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UnE HIsTOIRE dU Canada

LA TROiSièmE ARméE En impORTAncE

Le rôle joué par le Canada pendant la seconde Guerre mondiale est remarquable. tout d’abord, le pays parvient à survivre et gagne en richesse et en stabilité entre le début et la fin des combats. Pour l’essentiel, il s’agit là d’un exploit politique, attribuable à son expérience – aux enseignements tirés de la Grande Guerre – ainsi qu’aux circonstances et à sa personnalité.

La stabilité sur le plan politique permet de réduire la portée et l’importance des dissensions politiques internes.

Fait tout aussi important, le Canada déploie des forces armées et produit des munitions et autres approvisionnements en quantités stupéfiantes étant donné sa population. Les 11,5 millions de Canadiens, selon le recensement de 1941, donnent 1,1 million d’enrôlements dans les forces armées, bien que tous ne fassent pas leur service militaire simultanément.

au plus fort des combats, l’armée de terre compte 500 000 soldats dont 15 000 femmes ; l’aviation un peu moins de 100 000 ; et la marine, environ 200 000. Ce sont là des chiffres impressionnants qui, en 1944, font de l’armée canadienne la troisième parmi les alliés occidentaux sur le plan de l’effectif militaire.

Cela dit, elle ne peut se comparer aux deux premières : les états-Unis et la Grande-Bretagne disposent de troupes beaucoup plus nombreuses que le Canada. si l’on s’en tient à l’apport économique, là aussi, le Canada se classe au troisième rang, une fois de plus très loin des deux premiers, avec cinq pour cent peut-être de la production totale de guerre des alliés. Le gouvernement canadien est bien conscient de ces ratios et il faut ajouter, à son crédit, qu’il est plutôt rare qu’il ait recours à l’arme de l’exagération.

La contribution du Canada est suffisante pour attirer l’attention sur lui quand le besoin s’en est fait sentir. dans le Canada de Mackenzie King, la crédibilité et l’influence constituent des ressources qu’il faut rationner et non dissiper.

sur le plan de la politique étrangère, le premier ministre est pratiquement le seul ministre d’une certaine envergure. d’autres ministres, comme Howe, le tsar des munitions, ou ilsley, le ministre des Finances, ont des contacts en dehors du pays, suffisamment pour assurer le fonctionnement harmonieux de leur ministère respectif. ils n’essaient pas de forcer la note ; en fait, Howe résiste aux tentatives de diplomates canadiens de se servir de son approvisionnement en munitions comme outil de négociation pour obliger les principaux alliés, les Britanniques et les américains, à une plus grande reconnaissance envers le Canada. Ce que les alliés font des approvisionnements qu’ils reçoivent les concerne ; de l’avis de Howe, si le Canada se met à dicter ses conditions, il ne restera pas longtemps une importante source d’approvisionnements.

 

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Ce sont les états-Unis qui représentent la principale préoccupation du Canada. Pendant la Grande Guerre, les approvisionnements américains et, au départ, les prêts américains ont joué un rôle essentiel dans le maintien à flots de l’économie canadienne. en 1939, le Canada affiche une grande dépendance à l’égard du charbon et du pétrole américains ; et en 1940, les administrateurs de guerre canadiens s’aperçoivent que leur industrie n’est pas en mesure de produire sans des composants américains, des machines-outils et des moteurs d’avions, par exemple. On épuise les réserves de devises étrangères canadiennes pour payer les approvisionnements américains et les Britanniques, confrontés au même dilemme, ne peuvent être d’aucun secours sur ce plan. C’est à ce moment, en avril 1941, que King profite des bons rapports qu’il entretient avec roosevelt et supervise un accord (la déclaration de Hyde Park, baptisée ainsi en souvenir de la propriété que possède roosevelt à la campagne) en vertu de laquelle les américains, qui se préparent à la guerre, achètent ce dont ils ont besoin au Canada selon les mêmes conditions que s’ils achetaient du matériel de guerre aux états-Unis. Pour l’essentiel, ces achats américains viennent régler les problèmes de devises étrangères du Canada pendant toute la guerre, en plus de créer un précédent sur le plan de l’intégration de la production de guerre canadienne et américaine. simultanément, le Canada peut tirer profit de l’aide américaine aux Britanniques sous forme de composants en fabriquant des approvisionnements destinés au royaume-Uni.

King, ses ministres et leurs fonctionnaires sont contents de voir le déséquilibre canado-américain en matière d’échanges commerciaux et de devises étrangères se régler sur la base du commerce et non d’une aide. On assiste à des échanges commerciaux et non à un don d’argent ni à l’accumulation de la dette envers le grand et puissant créancier voisin.

Le Canada ne se retrouve donc pas endetté envers les états-Unis à la fin de la guerre et son égalité de souveraineté dans ses transactions avec les américains est intacte. Bien sûr, la disparité en matière de population, de richesse et de puissance demeure mais, comme dans le cas du traité des eaux limitrophes de 1909 et de la Commission mixte internationale qui en a découlé, les relations canado-américaines se déroulent d’égal à égal selon des règles convenues qui sont censées s’appliquer de manière impartiale des deux côtés de la frontière.

en ce qui a trait à l’autre importante puissance alliée, l’Union soviétique, les relations sont importantes sur le plan matériel mais n’ont d’importance politique que sous un aspect seulement. Les Canadiens –

les Canadiens anglais, pour être plus précis – sont pour l’essentiel pro-britanniques et pro-américains, admiratifs devant ces deux alliés et inspirés par leurs dirigeants, Churchill et roosevelt. en général, on ne peut en dire autant de l’Union soviétique, mais il existe tout de même 330

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une faction de Canadiens, le Parti Communiste du Canada, qui éprouve une profonde admiration pour staline et perçoit dans l’Union soviétique l’espoir de la race humaine. Les communistes canadiens sont des fantassins fidèles du communisme international, ce qui signifie qu’ils acceptent tous les louvoiements des politiques parfois compliquées et souvent contre-productives de staline. entre 1939 et 1941, alors que l’entente est bonne entre staline et Hitler, les communistes canadiens mettent tout en œuvre pour s’opposer à l’effort de guerre. après 1941, lorsque les allemands s’en prennent à l’Union soviétique, les communistes deviennent des hyper-patriotes et des fanatiques de la guerre totale.

L’Union soviétique ouvre une ambassade à Ottawa et s’en sert pour solliciter des approvisionnements canadiens, en vertu d’un programme dit d’aide mutuelle. À côté de l’aide fournie à la Grande-Bretagne, celle qui prend le chemin de la russie peut sembler minime mais elle n’en demeure pas moins importante. L’autre programme de l’ambassade soviétique est tout aussi officiel mais il demeure soigneusement dissimulé aux regards des autorités canadiennes. se servant de leurs sympathisants au Canada, les soviétiques établissent un réseau d’espionnage afin de découvrir ce qui se trame chez les Canadiens et les autres alliés occidentaux. Ce n’est qu’après la guerre que l’on mettra ce réseau – le premier au Canada – au jour, et nous en verrons l’importance dans le chapitre suivant.

après la russie, il y a la France, dont l’importance politique au pays est sans égale parmi les alliés en raison de son poids au Québec. deux versions de la France se disputent le soutien du Québec et du Canada. il y a la France du maréchal Pétain, dont le gouvernement a mis un terme à la guerre avec l’allemagne et qui a profité de la tolérance des allemands dans une région inoccupée du sud de la France. Pétain a promis de débarrasser la France de ses éléments décadents et impurs qui l’ont, selon Pétain, affaiblie et rendue mûre pour la défaite. Le gouvernement Pétain repose sur le catholicisme de droite, de même que sur le fascisme inconditionnel, mais ses valeurs officielles, « travail, famille, patrie », trouvent un fort écho au sein des milieux catholiques de droite au Québec.

d’autre part, il y a la France libre, dirigée depuis Londres par le général Charles de Gaulle. elle condamne la paix signée avec l’allemagne et promet de redresser la France en aidant les alliés à vaincre l’allemagne.

terriblement faible à l’origine, le mouvement dirigé par de Gaulle prend de l’ampleur en 1941, alors que certaines parties de l’empire français outre-mer se rallient à sa cause. Homme sévère, visionnaire et sans compromis, de Gaulle n’est pas un partenaire facile à manier pour les Britanniques et les américains ; le président roosevelt le déteste, tandis que Churchill, son protecteur à l’origine, reconnaît que la cohabitation avec le général est difficile. Mackenzie King se débrouille beaucoup mieux, bien que, pendant 12 • mondes hosTiles, 1930–1945

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un certain temps, le Canada entretienne des relations aussi bien avec la France de vichy qu’avec la France libre. Le Canada anglais se révèle un milieu hospitalier pour les Français libres et Montréal, ville bilingue, constitue à tout le moins une base à partir de laquelle les émissaires envoyés par de Gaulle peuvent faire du prosélytisme. Le gouvernement canadien appuie la prise de saint-Pierre et Miquelon par de Gaulle à vichy en décembre 1941 et se révèle un partenaire extrêmement peu enthousiaste lorsque le gouvernement américain exige la restitution des îles à Pétain (ce qui n’a pas lieu). en juin 1944, reçu de façon triomphale à Ottawa, de Gaulle donne tous les signes d’une amitié sincère envers le Canada, qui se prépare à lui fournir de l’aide matérielle et des crédits lors de son retour à Paris plus tard cet été-là.

en temps de guerre, la diplomatie canadienne est modeste, bien proportionnée et efficace. Loin d’être une grande puissance, le Canada ne manifeste pas de grandes prétentions de pouvoirs. son gouvernement n’en est pas moins capable de prendre des mesures efficaces dans l’intérêt des Canadiens en s’abstenant de trop étendre sa portée et d’abuser de sa crédibilité.

Mais, en fait, qu’est ce que le Canada et qu’est-ce que l’intérêt des Canadiens ? Juste au moment où la guerre prend fin, les subordonnés de King décident de rompre avec la tradition. Les soldats, marins et aviateurs canadiens ont combattu dans des uniformes britanniques mais avec un écusson « Canada » sur l’épaule. Les subordonnés de King décident d’essayer de faire la même chose et hissent le pavillon rouge du Canada au lieu de l’ Union Jack au sommet de la tour de la Paix des édifices du Parlement canadien le jour de la capitulation allemande. Ce geste timide donne des palpitations à King, autant pour lui-même que parce qu’il craint la colère de ses électeurs à l’esprit traditionnel. est-il possible pour le Canada d’avoir son propre symbole ? Le Canada est-il devenu un pays ?

 

Une histoire du Canada
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