Les guerres pour la

conquête de l’Amérique (1)

Le major-général James Wolfe expliquant les dommages collatéraux à un jeune couple de Québec en termes misogynes. « Grâce, mon général », l’implorent-ils. « Mes ordres sont rigides, rétorque-t-il. Pour chaque homme attrapé, une boulet ; pour chaque femme, deux. » Ce dessin est de la main du subordonné irrévérencieux de Wolfe, le brigadier-général George townshend.

 

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pEndanT pLUs dE CEnT ans, entre 1689 et 1815, l’amérique du nord connaît plusieurs guerres. Ce sont d’abord des prolongations d’autres conflits, parfois plus anciens – entre les iroquois et les Français, ou les iroquois et les algonquins, par exemple – mais ils s’inscrivent dans la rivalité entre Français et anglais, ainsi qu’entre espagnols et Français, et ils se livrent à l’échelle mondiale.

Les guerres entraînent la destruction du pouvoir militaire et donc la perte d’indépendance des nations indiennes d’amérique du nord. elles marquent la montée de la Grande-Bretagne et le déclin relatif de la capacité française à subvenir aux besoins d’un empire outre-mer. elles entraînent aussi la division de l’amérique du nord d’une manière inattendue, les colons français du Canada faisant partie d’un empire britannique et la plupart des colonies britanniques cessant d’être britanniques pour devenir américaines.

C’est le gouvernement français qui prépare le terrain. incapables de rivaliser avec le flot d’immigrants vers les colonies anglaises, les Français décident de construire des postes à l’intérieur des terres. La paix de 1701

conclue entre les amérindiens et les Français permet à ces derniers de se déplacer librement le long des Grands Lacs. afin de renforcer leur position, le ministre français de la Marine, responsable des colonies, fait bâtir un fort à detroit. Certes, ce fort servira à pratiquer la traite des fourrures, mais d’abord et avant tout à aider les alliés amérindiens des Français à faire obstacle à l’expansion anglaise.

detroit fait partie d’une stratégie visant l’établissement de liens entre Québec et la Louisiane, récemment fondée en bordure du golfe du Mexique. relié en théorie par le réseau du fleuve Mississippi et des Grands Lacs/du saint-Laurent, l’empire français en amérique du nord s’étend désormais, à tout le moins sur les cartes, depuis terre-neuve jusqu’au golfe du Mexique et aux tropiques, jusqu’aux colonies insulaires françaises dans les antilles.

selon la conception des cartographes, la nouvelle-France est vaste, faisant paraître petites les colonies anglaises de la côte et éclipsant les îles françaises comme la Guadeloupe, la Martinique et saint-domingue, devenue Haïti de nos jours. Plus de la moitié, en fait beaucoup plus de la moitié, de la population de l’amérique française est améridienne. La France n’exerce un contrôle direct que sur une toute petite partie de l’amérique du nord, de la nouvelle-France, de l’acadie et de la Louisiane. elle ne contrôle en réalité que la vallée du saint-Laurent, quelques établissements en acadie et de rares postes à l’intérieur des terres. superficie et pouvoir se neutralisent.

 

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sur le plan économique, le poids de la nouvelle-France est minuscule par rapport à celui de n’importe quelle île française, la Guadeloupe, la Martinique ou saint-domingue, avec leurs lucratives exportations de sucre. en dépit de tous les efforts des intendants et des encouragements du gouvernement en France, c’est de la traite des fourrures exclusivement que proviennent les profits en nouvelle-France. et encore ces profits présentent-ils d’énormes fluctuations. au cours des années 1690, le gouvernement fait même une brève tentative pour fermer l’Ouest aux marchands en raison de l’engorgement du marché français des fourrures.

Les forts de l’intérieur des terres ne constituent pas de simples petits avant-postes français. L’idée est de louer les fabriques de fourrures de l’Ouest à des entrepreneurs, qui en assumeraient les coûts et en empocheraient les profits. Cela devrait signifier que c’est le marché qui supporte le coût du gouvernement, en réalité le coût d’affirmer la souveraineté française dans les territoires reculés. Malheureusement, il est rare que théorie et réalité se fondent. en période de maigres profits, ou de profits inexistants, les postes sont remis au gouvernement et l’entrepreneur devient un fonctionnaire jusqu’à ce que les perspectives du capricieux marché parisien de la fourrure s’améliorent. Car le gouvernement tient à garder ses postes, et l’empire qu’ils représentent. À tout prix.

LA GUERRE DE SUccESSiOn D’ESpAGnE

La guerre de 1689 à 1697 entre la France et l’angleterre ne résout rien. en amérique du nord, elle ne change pas grand-chose ; on pourrait même affirmer que les Français conservent leur avantage en s’emparant des forts de la baie d’Hudson et en attaquant la pêcherie anglaise à terre-neuve.

sur la côte ouest de l’atlantique, on ne rencontre ni grandes armées, ni soldats de métier et encore moins de puissantes flottes : c’est en europe, et pour des raisons propres à ce continent, que se décide l’issue des combats.

Louis Xiv ne renonce pas à ses rêves d’empire. La décision de fonder un poste à detroit, d’établir une colonie en Louisiane et de bâtir une série d’alliances entre les amérindiens de l’intérieur des terres ne représentent qu’un aspect secondaire et local d’une politique française plus vaste.

en 1700, Louis prend deux décisions. À la mort de son cousin en exil, le roi Jacques ii d’angleterre, il reconnaît à son fils le titre de roi d’angleterre. Fervent catholique, le roi de France accorde ainsi du crédit à un « prétendant » catholique au trône d’angleterre. deuxièmement, en dépit des prétentions de la famille royale autrichienne, Louis place son 4 • les guerres pour la conquêTe de l’amérique (1) 59

petit-fils sur le trône d’espagne ; il deviendra Philippe v d’espagne. en dépit de la présence des Pyrénées, la France et l’espagne cimentent une alliance familiale ; à la mort de Louis, peut-être pourront-elles constituer une véritable union. il s’agirait certes là d’une remarquable combinaison, surtout si l’on pense ajouter à cette équation les empires français et espagnol en amérique.

La guerre qui s’ensuit survient principalement pendant le règne d’anne, fille protestante de Jacques ii et demi-sœur de son fils, le

« prétendant » au trône que l’on appelle Jacques iii. en europe, pour des raisons évidentes, on appellera ce conflit la guerre de succession d’espagne.

en amérique anglaise, on l’appellera, pour des raisons tout aussi évidentes, la « Queen anne’s War », la guerre de la reine anne.

Cette guerre se déroule principalement en europe et nous ne nous étendrons pas sur les détails des batailles livrées sur ce continent. La stratégie mise en œuvre est toutefois importante puisqu’elle caractérise non seulement la guerre en cours mais aussi celles qui suivront en amérique du nord. Les anglais profitent de ce qu’on pourrait appeler un avantage économique : les finances anglaises sont solides, ce qui permet au gouvernement de Londres de rassembler et de maintenir une importante force navale qui finira graduellement par éclipser celle de la France. Peut-être les Français pourraient-ils faire jeu égal avec les anglais sur les mers, mais ils sont empêtrés dans d’interminables combats contre les armées autrichiennes et anglaises en allemagne. Les généraux de Louis n’y connaissent que peu de succès et, à mesure que la guerre progresse, elle se déplace d’allemagne et de Belgique en France. L’enseignement, mal saisi et parfois oublié, est que l’empire américain, qu’il soit anglais ou français, n’est nulle part mieux défendu qu’en europe.

en amérique, deux éléments importants raffermissent les positions de la nouvelle-France : tout d’abord, des centaines de kilomètres de forêts inextricables séparent la colonie française des plus proches établissements anglais en nouvelle-angleterre et à new York ; et puis, il y a les amérindiens.

Les iroquois ne jouent pas un rôle de premier plan dans la guerre de succession d’espagne. ils cherchent surtout à garder les deux camps en dehors de leur territoire et de leurs affaires, et à tirer tout le profit qu’ils peuvent des conflits qui opposent les autres. Pour certains colons anglais, c’est là un comportement plein de bon sens, surtout après que les raids amérindiens aient fait la preuve de la vulnérabilité de leurs établissements frontaliers. au milieu de la guerre, des émissaires du Massachusetts se rendent à Québec pour négocier avec les pouvoirs français dans l’espoir de parvenir à une sorte de modus vivendi entre leurs colonies et la nouvelle-60

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France1. aucune entente n’est scellée, peut-être parce que les pouvoirs français ne prennent guère au sérieux le risque d’une invasion à partir des colonies anglaises, dispersées et désunies.

en réalité, toutes les colonies anglaises ne sont pas exposées aux mêmes risques pendant la guerre. Celle de new York échappe en bonne partie aux incursions françaises, ce qui n’est pas du tout le cas de la nouvelle-angleterre. Les colons européens ne jouissent pas d’un avantage militaire marqué sur les amérindiens le long de leur frontière : la milice est mal entraînée et encline à prendre panique, et les amérindiens profitent de la peur des anglais. À mesure que les colons s’éloignent des côtes en nouvelle-angleterre, ils deviennent extrêmement vulnérables.

Les colons redoutent bien sûr la violence et les massacres, mais aussi la captivité. Pendant les guerres entre les années 1689 et 1760, environ seize cents colons de nouvelle-angleterre sont capturés au cours de raids amérindiens et deviennent, pour reprendre les termes employés par un ministre bostonnais, « des prisonniers qui se demandent constamment à quel moment ils vont être brûlés vifs, par plaisir et pour faire un repas, par les plus exécrables de tous les cannibales. des prisonniers qui doivent subir le gel et le froid les plus vifs avec des haillons qui ne suffisent pas à couvrir leur nudité. des prisonniers auxquels on permet rarement d’avaler un morceau de viande qu’un chien hésiterait à toucher ; des prisonniers qui doivent supporter la vue du massacre des êtres les plus proches, en craignant de verser une seule larme2. »

il arrive que les anglais soient massacrés ou tués après avoir été torturés. Les séances de torture sont particulièrement horribles, des scènes que, dans l’europe du dix-huitième siècle, on ne voit que derrière les murailles des forteresses ou des prisons. il y a aussi le cannibalisme, qui suscite la plus grande horreur et aversion en europe. Beaucoup de prisonniers, la plupart sans doute, sont traités avec plus d’égards, ramenés dans les campements amérindiens et adoptés par des familles amérindiennes3. Beaucoup sont par la suite échangés contre rançon, mais beaucoup aussi demeurent avec leurs ravisseurs et sont immergés dans la culture et la société dont ils sont captifs.

en dépit d’une clause du traité de paix qui finira par être signé garantissant le retour des prisonniers, certains ne reviendront jamais.

si les colonies de la nouvelle-angleterre n’ont pas les moyens de répliquer aux attaques des amérindiens ou de leurs commanditaires, les Français du lointain Québec, elles ont les moyens de harceler la colonie française la plus proche et la plus accessible, l’acadie. des raids maritimes sèment le désarroi dans certains établissements périphériques français en 1704, sans toutefois atteindre la minuscule capitale de Port royal. deux autres incursions contre Port royal en 1707 n’ont aucun effet. des projets 4 • les guerres pour la conquêTe de l’amérique (1) 61

d’invasion de la nouvelle-France par voie terrestre suscitent un certain intérêt dans les colonies, mais le gouvernement de Londres finit par y opposer son veto.

Finalement, en 1710, les colons font valoir leur point de vue. Bénéficiant de renforts en navires et en hommes fournis par le gouvernement anglais, ils se présentent devant Port royal en septembre, assiègent l’établissement pendant une semaine et reçoivent la reddition de sa garnison, dont les membres sont dix fois moins nombreux. Une tentative menée de front par les acadiens et les amérindiens pour reprendre le fort en 1711 échoue4.

en europe, la guerre tourne mal pour les Français. Louis Xiv cherche à signer un traité de paix tout en refusant les conditions qu’on lui propose. Le gouvernement britannique décide alors d’attaquer les Français outre-mer et, en 1711, lance une expédition maritime aussi grande que coûteuse en vue de s’emparer de Québec. soixante-quatre navires transportant cinq mille soldats – c’est plus que la population de Québec –

quittent les ports britanniques. Confrontée à de mauvaises conditions atmosphériques dans le Bas-saint-Laurent, en plus d’être mal équipée en cartes et en navigateurs d’expérience, la flotte britannique fait demi-tour, huit navires ayant fait naufrage5.

en Grande-Bretagne, l’équilibre politique bascule. Les Whigs, partisans de la guerre, perdent le soutien de la reine, puis le pouvoir, et leurs successeurs tories souhaitent faire la paix le plus tôt possible. il faut encore attendre quelques années, mais, finalement, en 1713, est signé un traité de paix à Utrecht, en Hollande.

Le traité d’Utrecht offre à la France de meilleures conditions de paix que Louis Xiv ne l’aurait cru. Financièrement à bout, le gouvernement français avait vraiment besoin de cette paix, besoin qui se reflète dans certaines conditions du traité. en ce qui a trait à l’amérique, les Français doivent abandonner les postes de la baie d’Hudson, « toute la nouvelle-

écosse ou l’acadie » et terre-neuve. ils parviennent à conserver les îles du golfe du saint-Laurent, dont les deux plus grandes, l’île saint-Jean (devenue l’Île-du-Prince-édouard) et le Cap-Breton (ils étaient prêts à abandonner le Cap-Breton, même si cette perte aurait refoulé la nouvelle-France derrière un écran d’îles et de bases britanniques). ils ne renoncent toutefois pas à la Louisiane, ni aux forts de l’intérieur des terres, de sorte que la stratégie impériale de 1701 peut être maintenue.

Le traité comporte des ambiguïtés. On y trouve une carte représentant les frontières de l’acadie, à laquelle les Français donnent l’interprétation la plus restrictive possible, c’est-à-dire désignant la partie continentale de la nouvelle-écosse seulement. Les habitants français de 62

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l’ancienne acadie, devenue la nouvelle-écosse, peuvent y demeurer et rester catholiques, « dans la mesure où les lois de la Grande-Bretagne le permettent ». C’est au tour des Britanniques de se montrer ambigus, car la loi britannique décourage, le terme est faible, la présence catholique.

Catholiques ou pas, les Britanniques veulent voir les acadiens demeurer en nouvelle-écosse, car, sans leurs fermes, la position des rares soldats britanniques dans la région est, de fait, précaire. de leur côté, les pouvoirs français pressent les acadiens de se rendre dans les territoires français qui restent, surtout dans l’île du Cap-Breton. en réalité, la plupart des acadiens résistent à cette pression, peu portés qu’ils sont à abandonner leurs terres pour se lancer dans l’aventure d’une nouvelle colonisation.

ils avisent toutefois les pouvoirs britanniques des strictes limites de leur allégeance à la couronne britannique : ils ne combattront pas la France s’il se déclare une nouvelle guerre. Consternés, les Britanniques acceptent ces conditions – de manière conditionnelle, en fait, pour aussi longtemps qu’ils y seront obligés6.

Un inTERmèDE pAciFiqUE

La paix entre la France et la Grande-Bretagne dure trente ans, quoique les Britanniques se lancent dans des combats contre presque tout le monde durant cette période. Le gouvernement français reconnaît sa défaite militaire et le fait que la politique belliqueuse de Louis Xiv a été vaine. La France a besoin de temps pour récupérer sous le règne de son successeur, Louis Xv, devenu roi à l’âge de cinq ans à la mort de son grand-père en 1715.

en nouvelle-France aussi, la paix est la bienvenue. Les avantages stratégiques qui ont donné la victoire à la Grande-Bretagne en 1713

sont toujours les mêmes. Les Britanniques ont une économie plus vaste, davantage de revenus disponibles et une flotte beaucoup plus importante que les Français. en cas de nouvelle guerre, la nouvelle-France serait isolée par voie maritime, par un ennemi en mesure de choisir le moment et le lieu de son attaque, pour autant que cela demeure sur l’océan. ayant besoin d’approvisionnements constants en provenance de France, dépendant du transport des fourrures vers l’europe, la nouvelle-France n’a guère d’autre choix que de profiter des avantages de la paix et de prier pour qu’ils se maintiennent.

La paix ne présente toutefois des avantages qu’en apparence.

L’immigration étant restreinte, la population de la nouvelle-France double tous les trente ans. La colonisation progresse à partir du fleuve, avec de 4 • les guerres pour la conquêTe de l’amérique (1) 63

longues et étroites exploitations agricoles dans les rangs ordinaires ou les concessions. Parallèles au fleuve, des chemins relient les fermes entre elles.

Les maisons ressemblent à celles de l’ouest de la France, surtout à celles de normandie. Parfois, les colons construisent des habitations faites de grosses colonnes de bois verticales, avec de l’argile ou de la blocaille pour combler les vides, une technique de construction courante en France.

sans doute ont-ils été les premiers en amérique du nord à construire des cabanes en bois rond – faites de rondins horizontaux avec remplissage d’argile, la cabane en bois rond qu’on retrouve partout en amérique du nord anglophone, mais qui ne fait son apparition dans les colonies anglaises qu’au dix-huitième siècle7. La maison pièce sur pièce ou en bois rond est et demeurera le principal type d’habitation rurale en nouvelle-France et au Québec.

Les bourgades de nouvelle-France sont plus susceptibles d’être construites en pierre au dix-huitième siècle. Fréquents, les incendies détruisent la plupart de leurs prédécesseurs en bois et les pouvoirs locaux imposent des constructions en pierre pour les remplacer. C’est cependant la prospérité des bourgades, grâce à leur régime permanent de contrats gouvernementaux et aux soldes des militaires, qui assure aux habitants une prospérité suffisante pour leur permettre de construire en pierre. À Québec, agglutinées sur un cap assez court, les maisons sont hautes et étroites dans la Basse-ville, sous les falaises ; dans la Haute-ville, quartier plus chic où résident le gouverneur et l’évêque, les maisons sont plus basses mais plus spacieuses.

Le gouverneur et l’évêque vivent avec cérémonie et, dans la mesure où la situation de la colonie le permet, dans le confort. Le gouverneur possède sa propre garde, qui présente les armes et bat du tambour sur son passage, même lorsqu’il se rend à l’église voisine. Mais, à Québec, c’est l’église qui occupe une place de choix, avec de nombreuses églises, de nombreux couvents et un collège de Jésuites qu’un visiteur suédois, de passage en 1749, décrit comme quatre fois plus grand que le « palais » du gouverneur et « le plus bel édifice de la bourgade8 ».

depuis Québec, le gouverneur – en réalité, le « gouverneur général » – préside un empire couvrant des millions d’hectares. La plupart de ses « sujets » ne sont pas français ni blancs, mais plutôt des amérindiens dont les liens avec la couronne de France surprendraient certainement les pouvoirs de Paris. Pour les amérindiens, le gouverneur général s’appelle Onontio, selon la version mohawk du nom d’un ancien gouverneur, Montmagny, dont seront affublés tous ses successeurs. Onontio est le père, le protecteur et celui qui fait des cadeaux car, comme l’a exprimé un intendant en parlant des alliés amérindiens de la France, « ces tribus ne 64

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transigent jamais la moindre affaire sans faire des cadeaux pour illustrer et confirmer leurs dires9 ».

Mais quelles tribus ? Ce sont surtout les nations de langues algonquiennes de la région des Grands Lacs – les Ottawa, par exemple –

mais elles comprennent également un nombre considérable d’iroquoiens (surtout des Mohawks) ainsi que ce qui reste des Hurons et des autres tribus dispersées pendant les guerres du dix-septième siècle. divisés, les Mohawks sont en faveur soit des Français soit des anglais. Certains se sont réfugiés chez les Français, d’autres se sont convertis au catholicisme et on leur a fait cadeau de terres aux confins de la nouvelle-France, en dehors de Montréal (dans le cas des Mohawks) et à L’ancienne-Lorette, en dehors de Québec. Ces établissements sont directement à l’origine du système de réserves amérindiennes qui sera adopté plus tard par les gouvernements britannique et canadien.

en Conseil, le gouverneur se fait appeler « père » et il répond à ses

« enfants », mais ce genre de relation ne suffit pas à permettre aux Français de donner des ordres aux amérindiens et de les forcer à obéir. Comme dans les familles ordinaires, les relations manquent parfois d’harmonie et sont épicées par l’existence d’un rival britannique prêt à capter l’attention des amérindiens et à obtenir leur clientèle. Les marchands britanniques au nord et au sud de la nouvelle-France, autour de la baie d’Hudson et dans la vallée de l’Ohio, s’opposent à la mainmise française sur la traite des fourrures ; et sans cette mainmise, les prétentions françaises sur l’intérieur des terres s’effondreraient, car l’économie de la fourrure est indissolublement liée aux prétentions envers un empire.

Pourtant, à bien des égards et même à presque tous les égards, les Français parviennent à maintenir et étendre leur empire de la fourrure.

Opérant à partir de quelques rares postes, surtout detroit et Michilimackinac, en bordure des Grands Lacs, les Français ramassent la plus grande partie des fourrures exportées en dehors de l’amérique du nord. Confrontés à l’établissement des postes de la Compagnie de la baie d’Hudson dans les années 1720 et 1730, les commerçants et explorateurs français pénètrent dans les grandes plaines pour arriver en vue des montagnes rocheuses.

Comme d’habitude, ils cherchent un chemin menant au Pacifique, qui leur a toujours échappé, mais ils s’efforcent aussi d’attirer les indiens des Plaines dans le marché français de la fourrure et y parviennent. Les commerçants de la Baie constatent le tarissement de leurs sources d’approvisionnement et la baisse de leurs profits, mais cela ne suffit pas à les inciter à explorer eux-mêmes l’intérieur des terres.

L’effectif des postes intérieurs français est maigre et les garnisons dispersées. en plus de leur fonction économique et de leur valeur 4 • les guerres pour la conquêTe de l’amérique (1) 65

symbolique résiduelle, ces postes servent aussi de haltes le long d’une voie de communications intérieure qui relie Québec à La nouvelle-Orléans – un fil ténu qui relie entre elles les parties de l’empire français.

L’entreprise de traite des fourrures ne repose pas principalement sur des marchands installés en permanence mais bien sur des brigades annuelles des fourrures partant chaque année de Montréal vers l’intérieur des terres. nés à l’intérieur de la colonie, les hommes qui les composent sont de plus en plus connus sous le nom de « Canadiens » pour les distinguer de leurs cousins français de plus en plus distants. ils doivent être relativement jeunes, en bonne santé et vigoureux pour résister aux rigueurs du voyage et être en outre aventuriers et souples car ils doivent vivre dans des sociétés dont les coutumes et les attentes sont très différentes de celles de la France, et même de la nouvelle-France. Bien sûr, ils proviennent pour la plupart d’exploitations agricoles et la majorité finira par y retourner. entre-temps, une fois passé Michilimackinac, ils connaîtront la vie sans gouverneur, sans prêtres ni officiers militaires.

seuls les marchands qui se rendent à detroit ou Michilimackinac peuvent espérer revoir les leurs au cours de la même année. Les autres, la plupart des marchands de fourrures, partent pour deux ou trois ans sans espoir sérieux de recevoir des nouvelles de chez eux. ils acceptent la société telle qu’ils la trouvent, vivant dans des villages amérindiens, mangeant comme les amérindiens et trouvant consolation auprès des amérindiennes.

Les unions de ce genre ne reposent pas toujours sur le désir ou le besoin physique, mais offrent des avantages pour les deux parties ; pour les Français, elles constituent un moyen d’entrer dans la société autochtone et de tisser des liens indispensables avec les systèmes politiques autochtones10.

Certains créent des liens solides et restent avec leur épouse et leurs enfants métissés, qu’on appelle généralement des sang-mêlé ou des Métis. À un certain moment au début du dix-huitième siècle, un témoin appelle les Français de l’intérieur des terres et leurs voisins, alliés et hôtes amérindiens,

« un peuple », et cette observation peut certainement se justifier du fait que de très nombreux Français s’adaptent aux coutumes indiennes11.

souvent, les Métis deviennent eux-mêmes des marchands, symboles de ce que l’historien richard White appellera le Middle Ground (moyen terme, terrain d’entente) entre les colonies européennes installées sur la côte et les sociétés autochtones de l’Ouest. au dix-huitième siècle, ce Middle Ground ne cesse de s’étendre – une nouvelle société qui n’est ni purement européenne ni purement amérindienne, reflet des pressions et exigences antagonistes des deux camps. Le Middle Ground ne sera toutefois pas déterminant dans la question de savoir quel empire prévaudra dans le conflit autour de l’amérique du nord.

 

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La stratégie française d’alliance avec les amérindiens est tout autant le fruit de la nécessité qu’un refus éclairé de soumettre la population autochtone de la nouvelle-France. L’ensemble de la population ne suffit pas à soutenir la colonisation de l’intérieur des terres. Les Français sont arrivés au dix-septième siècle sur les territoires largement inoccupés du saint-Laurent et y sont demeurés, puisqu’ils disposaient de plus de terres que nécessaire pour les immigrants et leurs descendants jusqu’à la fin du dix-huitième siècle. souvent, les Français soulignent à l’intention de leurs alliés et clients amérindiens le contraste entre les incursions françaises bénignes, caractérisées par des cadeaux et des mesures de protection, et la colonisation britannique, qui a eu pour effet de déplacer des amérindiens et d’engloutir les terres le long de la frontière.

Les vrais établissements français à l’intérieur des terres sont rares – quelques fermes pour approvisionner les postes de traite et des forts comme les forts detroit ou st. Louis sur le Mississippi. C’est detroit qui est le plus grand, et les relations entre les Français et les amérindiens n’y sont pas toujours pacifiques. Plus au sud, en Louisiane, se trouvent des colonies françaises plus importantes, par exemple autour de natchez, sur le Mississippi. La brutalité et l’arrogance affichées par les Français y causent une véritable rébellion amérindienne, marquée par le massacre de 227 colons français et la capture de cinquante femmes et enfants français en 1729. étant donné la population française restreinte en Louisiane, ce revers ne passe pas inaperçu dans la colonie.

des représailles s’ensuivent. Les Français engagent d’autres tribus, ennemies des indiens de natchez, et tuent et asservissent tous les amérindiens qu’ils parviennent à trouver. « Quand cela faisait leur affaire, écrit l’historien alan taylor, les Français mettaient autant d’efforts à massacrer et asservir des autochtones que les Britanniques. » Un prêtre français tire la morale de l’expérience : « dieu souhaite que [les amérindiens]

laissent place à d’autres peuples », ce qu’ils ne manquent pas de faire12.

LE DéFi BRiTAnniqUE

L’empire britannique se pose en principal rival de la suprématie française en amérique du nord. il n’est plus seulement anglais mais britannique. des mariages dynastiques, la fusion des familles royales anglaise et écossaise et la réforme, qui entraîne la conversion de la majorité des anglais et des écossais au protestantisme, entraînent la fondation d’un état commun, uni par constitution en 1707 en un royaume de Grande-Bretagne. ses habitants deviennent britanniques, une identité inventée qui 4 • les guerres pour la conquêTe de l’amérique (1) 67

n’en parvient pas moins à s’enraciner. Ce sera donc une armée britannique, et non anglaise, qui envahira la nouvelle-France, et les écossais deviennent les promoteurs les plus enthousiastes du caractère « britannique ».

La monarchie britannique est protestante. Les rois et reines doivent être protestants et seuls des protestants peuvent être élus à la Chambres des communes ou occuper une fonction publique. aux yeux des bons Britanniques, les pratiques catholiques, « papales » de la France sont odieuses. Les Français sont redoutables non seulement parce qu’ils sont Français – comme en témoigne la longue histoire de guerres médiévales entre l’angleterre et la France – mais aussi parce que ce sont des partisans serviles du pape à rome. en une ère de lumières et de tolérance accrue, les opinions de ce genre ne sont pas partagées par tous les Britanniques, mais ceux qui les ignorent le font à leurs propres risques13. en 1780 encore, Londres est secouée par des émeutes anti-catholiques et la religion (à tout le moins sa variante catholique-protestante) continuera de faire l’objet de débats animés et déterminants pour la politique de la Grande-Bretagne et de tous les peuples anglophones pendant une bonne partie du vingtième siècle et après.

en population et en superficie, la Grande-Bretagne est plus petite que la France. Par contre, sa richesse augmente et, au milieu du dix-huitième siècle, elle devance la France tant sur le plan de la richesse et de l’activité industrielle que des recettes fiscales14. Les impôts servent à payer les dépenses des guerres avec la France et la construction d’une flotte sans égale en europe. il convient de souligner que tout cela n’a pas grand-chose à voir avec l’amérique du nord ; les guerres de 1689–1697 et de 1702–

1713 sont d’abord et avant tout des conflits européens qui se reflètent sur les colonies et non l’inverse. La contribution des colonies aux finances britanniques est maigre et les colonies du continent nord-américain sont sans importance sur le plan économique pour le commerce avec la Grande-Bretagne jusqu’au milieu du dix-huitième siècle.

néanmoins, la France demeure riche, suffisamment pour tâcher de compenser les désavantages hérités du traité d’Utrecht de 1713. La cession de l’acadie et de terre-neuve à la Grande-Bretagne constitue une menace pour les communications par mer entre la France et la nouvelle-France. il ne reste que les îles du golfe du saint-Laurent, principalement celle qui se trouve la plus à l’est, l’île du Cap-Breton. il existe, lorsqu’on y regarde de près, un grand port sur la côte est et le site, appelé Louisbourg en l’honneur du roi de France, Louis Xiv, devient une forteresse française.

Louisbourg a été conçue comme une base navale et un port commercial, un havre pour les vaisseaux français poursuivis par les Britanniques en temps de guerre. Complexes et coûteuses, constituées de 68

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fortifications et de nombreuses pièces d’artillerie, ses défenses, soi-disant les meilleures que la science militaire puisse concevoir, protègent le port (les Français sont les meilleurs concepteurs de forteresses au monde, grâce à l’ingénieur militaire et maréchal de France vauban, au service de Louis Xiv). Le gouvernement français ne cesse d’expédier de l’argent et des approvisionnements pour construire Louisbourg, mais le résultat s’avère moins concluant que cela n’en a l’air. Les agents gouvernementaux se plaignent de la piètre qualité de l’exécution et des matériaux de construction. il y a également une faille dans ces défenses car leurs éléments tournés vers l’intérieur des terres n’ont été rajoutés qu’après-coup, pendant les années 1730 et le début des années 1740. L’entretien du fort pose un autre problème et le moral de la garnison n’est pas fameux. inquiets, les responsables de la forteresse signalent que la défense de Louisbourg sera une mission impossible sans renforts importants, surtout des navires.

Mais quand la guerre finit par éclater en 1744, guerre qu’on appellera en amérique la guerre du roi George en l’honneur du monarque britannique George ii, il n’y a pas de navires à Louisbourg et on ne peut non plus en dépêcher (c’est en réalité une guerre continentale européenne entre l’autriche et la Prusse avec pour enjeu, le droit d’une femme, Marie thérèse, d’hériter du trône d’autriche ou, à tout le moins, des parties des possessions que la Prusse convoite, d’où son appellation en europe de guerre de succession d’autriche). La France est occupée ailleurs, surtout sur le continent, et, comparativement à la flotte britannique, la flotte française est faible. Les Britanniques règnent donc sur le secteur occidental de l’atlantique et, avec un léger retard, confinent la flotte française dans ses ports sur l’atlantique et en Méditerranée. autre mauvais présage, une mutinerie éclate à Louisbourg et il faut des concessions méprisables des autorités du fort pour amener les troupes à reprendre leur service.

Le déclenchement de la guerre suscite aussi des préoccupations au sein des colonies britanniques. Quarante ans plus tôt, le Massachusetts a beaucoup souffert des incursions françaises et amérindiennes et les années de paix n’ont fait que renforcer l’attachement des nations amérindiennes se trouvant entre les frontières françaises et britanniques à l’égard des Français. La situation de l’acadie est floue. Les frontières sont imprécises, les amérindiens (surtout des Mi’kmaq) peu avenants et les Français offrent, avec Louisbourg toute proche, un point d’intérêt. il est vrai que les habitants – près de dix mille dans les années 1740, sont demeurés sur place après la cession de la colonie à la Grande-Bretagne et son changement de nom en nouvelle-écosse, mais il s’agit d’un piètre avantage puisque ces habitants sont, au mieux, neutres et pourraient fort bien se réjouir du retour des Français. enfin, le Massachusetts, une colonie de pêcheurs, est très intéressé par les zones de pêche au large de la nouvelle-écosse.

 

4 • les guerres pour la conquêTe de l’amérique (1) 69

toute mesure visant à assurer la pêche, éliminer les rivaux et resserrer les liens entre la nouvelle-écosse et le Massachusetts sera certainement bien accueillie dans cette colonie.

aidé de la Marine royale britannique, le gouverneur shirley du Massachusetts organise une attaque maritime et terrestre contre Louisbourg au printemps 1745. son expédition démontre la véracité des sombres rapports concernant les défenses de Louisbourg. Le seul espoir des défenseurs de la forteresse réside dans l’apparition de la marine française, mais celle-ci ne vient pas. Le maréchal vauban a non seulement prescrit la manière de défendre le fort mais aussi celle de le prendre. suivant la méthode prescrite de faire converger tranchées et bombardements d’artillerie, les forces anglo-américaines obligent la garnison française à se rendre.

Le siège de Louisbourg est la seule grande bataille qui soit livrée en amérique du nord pendant une guerre qui dure de 1744 à 1748. C’est en europe, où les Français ont l’avantage, et en inde, où la chance sourit d’avantage aux Français qu’en amérique, avec la prise de l’important fort commercial britannique de Madras, que se déroulent les principaux événements de la guerre. La prédominance britannique sur les mers constitue un élément crucial, mais les Britanniques bénéficient en outre des événements météorologiques lorsqu’une partie de la flotte française affronte des tempêtes et fait naufrage alors qu’elle est en route pour reprendre Louisbourg en 1746.

À l’intérieur des terres du continent, les alliances entre les Français et les nations amérindiennes tiennent. Les iroquois conservent leur neutralité et les peuples de la vallée de l’Ohio demeurent généralement du côté des Français tout en commerçant avec les Britanniques. L’alliance française vacille sans toutefois crouler sous la pression de la rareté des marchandises, qui sont retenues à la source de l’autre côté de l’atlantique en raison de la maîtrise exercée sur les mers par les Britanniques.

Le traité d’aix-la-Chapelle met fin à la guerre en 1748. Les Britanniques échangent Louisbourg contre Madras, soulevant la colère des habitants de la nouvelle-angleterre, qui s’en sont emparés. Le rôle de Louisbourg n’est cependant pas sans importance puisque c’est la possession de la forteresse par les Britanniques qui amène les Français à accepter l’impasse au terme de la guerre, chaque camp revenant au statu quo qui prévalait avant la guerre15. Ce traité ne fixe toutefois pas avec précision les frontières de la nouvelle-écosse, pas plus bien sûr qu’il n’élimine l’attrait de Louisbourg pour les Français acadiens.

 

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UnE HIsTOIRE dU Canada

Une histoire du Canada
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