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fait moins office de chef de file que de suiveur contre son gré, et le moins enthousiaste de tous est sir Wilfrid Laurier.
Ce sont des réformateurs qui sont les héros de cette époque : Florence nightingale, qui harcèle le gouvernement britannique jusqu’à ce qu’il prenne systématiquement soin de ses blessés pendant la guerre de Crimée des années 1850 ; Louis Pasteur, le grand chercheur français, qui révolutionne les soins de santé ; alexander Graham Bell, l’inventeur du téléphone – au Canada, d’ailleurs. C’est Charles saunders (qui deviendra sir Charles), l’inventeur du blé Marquis, qui est l’auteur de la première application notoire du principe de l’organisation gouvernementale au profit direct de la population.
saunders est fonctionnaire, un rappel que les membres de la fonction publique peuvent parfois changer les choses. il y a également des choses que seul un gouvernement peut faire. L’élément le plus évident à cet égard est l’organisation des villes. À mesure que ces dernières grandissent, le substrat d’égouts et de conduites d’eau sous leurs rues s’étend lui aussi.
si, au dix-neuvième siècle, on a préféré laisser le soin à l’entreprise privée de s’en occuper, au vingtième, on se tourne de préférence vers la propriété publique.
C’est dans les Prairies, où les intérêts implantés ne sont pas tellement nombreux, que l’on établit le premier modèle de l’entreprise publique. La méfiance à l’égard des monopoles, fondée sur des expériences amères, encourage non seulement les « réformateurs » mais aussi les classes d’affaires à agir, elles qui voient les propriétaires privés de services publics mettre leur bien-être économique en danger. Un cas d’espèce est celui de niagara Falls, où la production d’électricité repose fermement entre les mains d’intérêts privés. très vite, un groupe de pression influent s’organise dans le sud de l’Ontario pour exiger que cette ressource publique devienne propriété publique. Les promoteurs des services publics d’électricité prennent le pouvoir dans le cadre d’un gouvernement conservateur porté sur la réforme, qui ne tarde pas à créer un service public propriété du gouvernement, Ontario Hydro13. Celle-ci deviendra la plus grande société de services publics en amérique du nord et un monument de l’entreprise publique à son époque.
Les organismes non gouvernementaux les plus évidents sont les églises, anciennes et nouvelles. au Canada, les gens fréquentent les églises et dans toutes les villes, à de rares exceptions près, ce sont les églises qui constituent les structures publiques les plus décorées, éclipsant les symboles habituels des pouvoirs séculiers, le bureau de poste, le palais de justice ou l’école. Les anciennes églises, catholique et anglicane, ont perdu, mais non sans peine, leur position de branche spirituelle du gouvernement, quoique, 240
UnE HIsTOIRE dU Canada
au Québec, église et état demeurent en symbiose, à tout le moins pour ce qui concerne la grande majorité catholique. Les protestants soupçonnent que l’église catholique préfèrerait qu’état et église soient liés, l’état jouant le rôle de simple associé, voire de serviteur rempli de bonne volonté, et il ne fait aucun doute que certains membres du clergé s’en réjouiraient.
Mais la plupart des dirigeants cléricaux, catholiques ou protestants, ne sont pas assez détachés de ce monde pour croire en la possibilité d’une alliance église-état au sens purement médiéval du terme14.
L’exemple des pays catholiques d’europe, même ceux ou le catholicisme demeure l’église d’état, n’est guère inspirant. Plus souvent qu’autrement, l’église y est la servante du gouvernement et non le contraire.
L’église pourrait aussi devenir une faction politique parmi tant d’autres, avec tous les risques associés à la défaite et à la victoire dans la politique partisane15. dans ce cas, l’église risquerait fort de connaître la défaite. C’est ce qui se passe alors en France, où l’état laïcise ce qui était autrefois un système d’éducation catholique, à la grande surprise et l’immense colère des catholiques conservateurs, tant au Québec qu’en France16. il existe bien sûr une autre solution, le retour à des formes autoritaires de pouvoir dans un état catholique distinct mais, pendant les années 1890 et 1900, on ne l’envisage pas sérieusement.
Les églises pourraient se contenter de leur influence au sein de la société ou encore soutenir que leur œuvre rend la société meilleure, plus ordonnée, moins violente et plus soucieuse du bien-être social et mental des citoyens. aux yeux de certains, cela ne suffit pas. Comme le font remarquer deux historiens, « entre 1900 et 1930, les églises méthodiste et presbytérienne considèrent leur mission comme rien de moins que la christianisation intégrale de la vie au Canada17 ». La signification qu’il faut accorder à cette perception est assez complexe. aux yeux des membres activistes du clergé, la chrétienté représente la justice, non seulement dans l’au-delà mais aussi dans notre monde réel. Comme le dit William Booth, fondateur de l’armée du salut, il ne sert à rien de prêcher le salut à des affamés18. L’élite instruite canadienne est en bonne partie constituée par un clergé cultivé qui sait lire et écrire et il ne faut donc pas se surprendre du fait qu’il fait sienne la notion que la société doit s’organiser pour combattre les divers aspects que le mal social présente, en particulier, dans les villes canadiennes, et qu’il y apporte sa contribution.
Cela ne signifie nullement que les églises envisagent de revenir à une version bucolique ou pieuse du passé ni qu’elles prêchent en ce sens ; c’est plutôt l’inverse. elles prêtent l’oreille à une vision de la société unifiée par un souci dévot du bien-être de tous ses membres et non déchirée par la lutte des classes. il demeure une certaine nostalgie d’un ordre social ancien et indivisé ; la société rurale d’autrefois garde son attrait, bien que pas pour 10 • explosion eT marasme, 1896–1914