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Chose à peine croyable, l’expérience vécue en somalie et au rwanda est encore pire. en janvier 1993, le gouvernement Mulroney a envoyé le régiment aéroporté du Canada en somalie, où le gouvernement et la plupart des traces d’une société organisée ont disparu. Peut-être la mission somalienne était-elle sans espoir dès le départ mais elle ne sera pas facilitée par la torture et le meurtre d’un jeune somalien par des membres du régiment aéroporté, qui enregistrent leurs méfaits sur cassette vidéo.
La nouvelle finit pas éclater au grand-jour et il s’ensuit des enquêtes menées d’abord sous le gouvernement conservateur puis sous le nouveau gouvernement libéral.
L’enquête en somalie est l’illustration parfaite de ce qu’il ne faut pas faire. n’ayant pas mis sur pied la mission en somalie, en toute logique, les libéraux n’ont rien à perdre mais le ministère de la défense se révèle évasif et déroutant. des ministres sont mis en cause et l’affaire somalienne se transforme, aux frais de la population, en un carnaval d’avocats éminemment fascinants pour les médias, qui peuvent dépeindre les méchants en vives couleurs primaires. en fin de compte, cette affaire cause autant de dommages aux politiciens qu’aux militaires. À titre de précaution en vue des élections de 1997, Chrétien met un terme à l’enquête. Les commissaires prédisent des conséquences néfastes à un gouvernement qui a osé les empêcher d’assouvir leur désir d’infini mais jamais ces conséquences ne se concrétisent et la somalie passe à l’histoire comme une tache sur la réputation de l’armée canadienne et le maintien de la paix.
Les politiques étrangères libérales ne sont guère différentes de celles de leurs prédécesseurs conservateurs, qui elles-mêmes ne différaient guère de celles des libéraux sous trudeau. Comme l’a dit Kissinger, le Canada est réputé pour son soutien au maintien de la paix internationale, généralement sous l’égide des nations Unies, autre icône canadienne. Les Canadiens en tirent une certaine fierté sans vraiment comprendre quelles pourraient en être les implications. Mais, à mesure que l’on progresse dans les années 1990 et qu’un échec du maintien de la paix succède à l’autre, les Canadiens commencent à perdre leurs illusions face au maintien de la paix comme politique en pratique.
Le maintien de la paix sort également esquinté du pays africain du rwanda, où une force de casques bleus canadiens, sous les ordres du général roméo dallaire, assiste impuissante à une attaque génocidaire dirigée contre la minorité tutsi de ce pays au printemps 1994. dallaire a fait de son mieux pour éviter la catastrophe ; en réaction, les nations unies non seulement refusent de prendre des mesures mais réduisent les forces déjà déployées sur le terrain. Près d’un million de personnes meurent au rwanda, un point noir indélébile au dossier des nations Unies. en lui-même, le Canada dispose de moyens limités, encore graduellement érodés 474
UnE HIsTOIRE dU Canada
par la réduction des forces armées canadiennes depuis la fin de la guerre froide.
Le gouvernement canadien continue d’agir comme si le maintien de la paix représentait une politique viable en toutes circonstances. aiguillonnée par les médias et des organisations non gouvernementales spécialisées (OnG dans le jargon universel des affaires internationales), la population canadienne est portée à exiger des mesures alors que les journalistes perçoivent crise après crise et s’y intéressent, pour de bonnes raisons parfois et parfois non. C’est ce qui se produit dans l’est du Congo à la fin de l’année 1996 devant l’imminence d’une reprise de la catastrophe rwandaise.
encouragé en cela par son neveu raymond, diplomate de profession et, à l’époque, ambassadeur du Canada à Washington, Jean Chrétien propose d’établir une force de casques bleus dirigés par le Canada dans cette région, proposition que l’on nommera de façon ironique l’opération « assurance ».
d’une durée de six semaines environ, cette opération rate totalement la mission de rassurer les réfugiés zaïrois et est démantelée à la hâte lorsqu’il apparaît évident qu’elle ne donnera rien du tout. Comme l’exprime un général canadien, Maurice Baril, le Canada est alors complètement dépassé.
« nous sommes aux prises avec de gros joueurs dans une situation complexe, écrit-il, dépourvus des outils et des connaissances nécessaires pour exercer un contrôle sur des événements précis ou la situation en général27. » À la suite de l’adaptation des paroles d’une chanson, l’opération « assurance »
deviendra mieux connue sous l’appellation de « the Bungle in the Jungle »
(gâchis dans la jungle)28.
Les échecs survenus en somalie et au rwanda, ainsi que la frustration ressentie en Bosnie, semblent indiquer que le maintien de la paix dans sa forme classique, en respectant la souveraineté des nations dont il faut maintenir la paix, ne constitue pas une formule adaptée aux années 1990. dans ces trois pays, le danger venait de l’intérieur et non de l’extérieur.
La menace à la paix ne venait pas d’armées en uniforme organisées mais de troupes irrégulières, de guérilleros, voire de gangsters. normalement, la réaction de la communauté internationale devrait être de respecter ou de protéger les droits humains des populations davantage que la souveraineté nationale. il s’agit là d’un vieux thème libéral, quoique, d’habitude, on ne l’ait pas assimilé au Parti libéral du Canada. néanmoins, le gouvernement Chrétien le fait sien lorsque le Canada cherche à bannir le recours aux mines terrestres en période de guerre et fait la promotion de la création de la Cour pénale internationale.
Ces deux questions, celle des mines et celle de la cour, distinguent la politique du Canada de celle des états-Unis, même sous l’administration Clinton. suivant les conseils de ses généraux, Clinton résiste à toute réglementation sur les mines terrestres et attend la toute dernière minute, 17 • nouveau millénaire, nouvel univers