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réalité, pendant la plus grande partie du temps qu’il passe au gouvernement, l’argent manque pour mettre en place des politiques novatrices.
étant donné que ce sont Chrétien et les libéraux qui dirigent le pays, ce dernier est gouverné à partir du centre politique, alors que la droite est confinée aux provinces, surtout à l’Ontario et à l’alberta20. Mais même le nPd de la saskatchewan penche vers la droite alors que les ministres provinciaux découvrent les bienfaits des budgets équilibrés et de la politique des paiements au fur et à mesure.
Le Canada subit aussi l’influence des retombées des enjeux politiques américains et parfois, semble-t-il, des humeurs politiques américaines.
Pendant les années 1990, la politique américaine est honteusement partisane et se déroule souvent sur le plan personnel. Pourtant, au-delà des personnalités, on constate un réel changement, aussi bien le Parti républicain que la société américaine titubant vers la droite. C’est surtout une question de légitimité de l’état-providence américain (ou de n’importe quel état-providence) face à un mouvement conservateur qui en est venu à penser que c’est l’état qui est le problème, et non la solution, aux maux du pays21. La politique des grands programmes sociaux va faire place à celle de l’occasion et l’état-providence, à « l’état de marché ». On observe aussi la montée de la « droite religieuse », en général des protestants conservateurs combinant nationalisme américain et une vive désapprobation à l’endroit de la libéralisation des attitudes publiques concernant l’avortement et l’homosexualité22. L’incapacité à s’imposer en politique et en législation constitue pour eux une source de profonde frustration, comme c’est d’ailleurs le cas pour leurs pendants au Canada.
aux états-Unis, le Parti démocrate et le président démocrate, Bill Clinton (1993–2001) se portent sans grande conviction à la défense de l’état-providence. incapables d’infliger la défaite à Clinton lors des élections présidentielles de 1992 et 1996, les républicains n’en remportent pas moins la majorité au Congrès et s’en servent pour déclencher d’interminables enquêtes sur la probité et la moralité sexuelle du président, en plus de s’efforcer sans succès de le destituer en 1999.
L’état-providence a encore reculé, et plus rapidement aux états-Unis et en Grande-Bretagne qu’au Canada. Parmi les pays anglophones, le Canada fait office d’exception. il conserve un filet de sécurité sociale que la droite est convaincue qu’il ne peut et ne doit pas se permettre. Pire encore, la droite en est venue à croire fermement que ce filet de sécurité entrave l’économie canadienne en raison de taxes élevées et d’une ingérence indue de l’état. d’après des organes de droite comme le National Post, propriété de Conrad Black, on peut mesurer l’échec du pays à l’ampleur de la frustration de l’initiative et de la responsabilité individuelles et sa résultante, le départ 470
UnE HIsTOIRE dU Canada
de Canadiens talentueux vers les états-Unis – « l’exode des cerveaux » des titriers à la fin des années 1990. On pourrait parfois croire que le Canada ne peut rien faire de bon tandis que les états-Unis, en dépit du fait que c’est le démocrate Clinton qui occupe la Maison-Blanche, réussissent presque toujours leur coup, et il sera possible de remédier au peu de mal qu’ils font en se débarrassant de Clinton et des démocrates.
Ce qui est bon pour les états-Unis l’est aussi pour le Canada.
Comme Bill Clinton, Chrétien est accusé de corruption par la presse de droite (encore une fois, le National Post) mais l’objet de scandale que celle-ci choisit, une affaire d’aménagement d’un terrain de golf dans la ville natale de Chrétien au Québec, est si complexe et si banale en apparence qu’elle ne suffit pas à convaincre les électeurs de se débarrasser des libéraux.
sans doute les conservateurs canadiens s’en prennent-ils davantage à Chrétien comme le symbole de ce qu’il perçoivent comme de la corruption dans la politique libérale à grande échelle que pour des motifs strictement personnels ; il se trouve que la personnalisation est l’arme la plus efficace pour déstabiliser l’opposant et ainsi amener un changement politique. Leur fureur ne fait que croître en raison de leur échec, qui n’atténue toutefois pas leur conviction qu’il faut non seulement destituer le Parti libéral mais aussi le détruire puisqu’il est le rempart contre tout ce qui, à leurs yeux, ne tourne pas rond au Canada.
Comme c’est souvent le cas, ce sont des actions banales qui font progresser les grands enjeux : de façon superficielle, les accusations extravagantes et les attaques personnelles portent fruits ; au-delà de cela, au Canada comme en Grande-Bretagne, en nouvelle-Zélande, en australie et aux états-Unis, ce que la droite veut obtenir, ce sont des points comme la baisse des impôts, une réglementation et une ingérence moins fortes de l’état et le retour à des valeurs plus traditionnelles. en clair, les enjeux de la politique sont élevés, de sorte que la politique canadienne de la fin du vingtième siècle se caractérise par une amertume et une division partisane extrêmement profondes.
LA DipLOmATiE LiBéRALE
Le Canada, a écrit un jour le secrétaire d’état américain Henry Kissinger, a déjà exercé « une influence hors de proportions avec sa contribution militaire » en raison de sa « position plutôt distante et de la grande qualité de ses leaders […] il a mené une politique étrangère mondiale ; il a pris part aux efforts internationaux de maintien de la paix ; il a eu un apport constructif au dialogue entre pays développés et en développement23. »
17 • nouveau millénaire, nouvel univers