ExpAnSiOn ET TRAiTE DES FOURRURES

Le grand avantage de la position de la nouvelle-France en bordure du saint-Laurent ne devient évident qu’après l’interruption temporaire des guerres iroquoises dans les années 1660. Les moyens de transport sont à portée de main : des canoës d’écorce de bouleau légers et portables, faciles à fabriquer et à remplacer, capables de naviguer dans des eaux peu profondes et faciles à transporter pour contourner les rapides ou pour passer d’un réseau fluvial à un autre. Les coureurs des bois grimpent dans leurs canoës à Montréal et remontent la rivière des Outaouais jusqu’aux pays d’en haut, les contrées riches en fourrures au nord du lac supérieur.

Les activités des marchands de fourrures ne font pas toujours l’affaire des autorités coloniales et un conflit entre les dirigeants de la colonie et deux marchands particulièrement aventureux, Pierre radisson et Médard Chouart des Groseillers, amène ces derniers à aller offrir leur entreprise et leurs connaissances de la traite des fourrures à l’angleterre et à la cour du roi Charles ii.

il en résultera la fondation d’une autre association commerciale, qui reçoit sa charte du roi en mai 1670, la Compagnie de la baie d’Hudson. elle a pour but de chercher à enrichir ses actionnaires à l’intérieur du territoire septentrional de l’amérique du nord, non pas en passant par le saint-Laurent ou le fleuve Hudson, mais en exploitant la découverte faite par Henry Hudson en 1610 d’une mer intérieure, la baie d’Hudson. en dépit de la mort tragique d’Hudson, la baie qu’il a découverte demeure inscrite aux confins des cartes. La baie d’Hudson, tout aussi rébarbative qu’elle soit, constitue-t-elle l’ouverture vers le fabuleux détroit d’anian, porte du Pacifique, de la Chine et de ses richesses ? et qu’en est-il de la traite des fourrures ? il est vrai que la baie est prise par les glaces de novembre à juin chaque année et que son littoral est constitué de marais, de roches et de fondrières, mais ce qui semble décourageant pour les hommes représente un délice pour les castors. s’il faut en croire radisson et des Groseillers, les amérindiens qui vivent au-delà de la baie ne seront que trop heureux de faire du commerce avec les anglais.

Charles ii a l’obligeance de revendiquer pour l’angleterre les terres du bassin versant de la baie d’Hudson, d’une superficie alors inconnue, mais un vaste territoire s’étendant jusqu’aux montagnes rocheuses à l’ouest et couvrant tout ce qui deviendra plus tard les Prairies canadiennes. il confie ensuite ce territoire à la Compagnie de la baie d’Hudson, qui envoie à son tour des navires chargés de marchandises de troc vers la baie. Le Compagnie se propose d’établir des postes de traite permanents sur les rives de la baie d’Hudson et de son prolongement sud, la baie James (le raisonnement est le suivant : seul un établissement fixe constituera un point d’attraction où les 50

L’ExpLORATiOn DU cAnADA

 

U

en 1600

nE

en 1700

HIs

en 1800

TOIRE dU C

anada

 

3 • expansion eT colonisaTion

51

amérindiens viendront régulièrement proposer leurs fourrures). il faut s’y reprendre à plusieurs fois car ceux qui ont la malchance de passer l’hiver dans la baie et la chance d’y survivre ne sont pas pressés de revivre l’expérience10.

Les hivers interminables et l’expérience du scorbut ont certes un effet de dissuasion, pas suffisant toutefois pour finir par empêcher l’établissement d’une série de postes anglais vers le milieu des années 1670.

Les autorités de la nouvelle-France s’en aperçoivent rapidement.

Louis Xiv vient d’y envoyer un nouveau gouverneur, le comte de Frontenac.

Ce dernier en arrive vite à la conclusion que la seule source sûre de richesse en nouvelle-France est la traite des fourrures et, pour la maintenir, il a hâte d’étendre sa colonie vers l’intérieur des terres et d’y établir ses propres postes de traite. il le fait bien sûr dans l’intérêt public mais, à une époque où l’on a souvent tendance à confondre intérêts public et privé, Frontenac espère aussi en retirer des avantages personnels. Usant de ruse, il s’efforce de persuader radisson et des Groseillers de se remettre au service de la France et envoie des émissaires rendre visite aux postes anglais le long de la baie d’Hudson. il a de bonnes raisons pour cela : ses agents lui ont rapporté que les amérindiens des territoires intérieurs, membres de la nation crie, envoient vers la baie des fourrures qu’ils auraient sinon destinées aux Français.

La rivalité commerciale anglo-française se poursuit pendant les années 1670 et jusque dans les années 1680. La concurrence ne peut cependant dégénérer à l’excès car l’angleterre et la France ne sont pas en guerre. Louis Xiv et ses cousins stuart, Charles ii et son frère et successeur, Jacques ii, sont en bons termes. Louis tient tout particulièrement à soutenir Jacques, qui est catholique, dans ses tentatives de promotion du catholicisme dans un pays obstinément protestant. de son côté, Jacques sachant très bien qu’il a besoin de l’aide des Français, a tendance à éviter d’offenser son cousin. C’est ainsi que s’établit un lien bizarre entre la politique religieuse en europe et le massacre, avivé par la concurrence internationale, des castors dans les territoires situés au-delà de la baie d’Hudson.

Un gouverneur installé depuis peu en nouvelle-France, le marquis Brisay de denonville, se convainc que la survie de sa colonie exige une intervention tournée contre les anglais, non seulement dans la baie d’Hudson, mais aussi à new York. dans ce dernier cas, il n’y a pas grand-chose qu’il puisse faire : les iroquois sont dans le chemin en plus d’être une nouvelle fois en guerre avec les Français. Pour ce qui est de la baie d’Hudson, en 1686, il y envoie une petite expédition avec des instructions ambiguës. dirigée par un jeune officier, le chevalier de troyes, et un jeune Montréalais, Pierre le Moyne, sieur d’iberville, elle s’empare du fort albany sur les rives de la baie James, qui appartient aux anglais.

 

52

UnE HIsTOIRE dU Canada

Les anglais de la baie d’Hudson et les « Français du Canada » sont donc déjà en guerre lorsque le destin oblige Jacques ii à abandonner le trône d’angleterre en novembre 1688. Le pays protestant rejette son monarque catholique et le remplace par un autre cousin, le Hollandais Guillaume d’Orange. Les efforts de Jacques pour reprendre sa couronne sont vains et il finira son existence comme hôte de Louis Xiv. Guillaume d’Orange devient, pour sa part, Guillaume iii d’angleterre et entre en guerre avec la France.

La guerre entre l’angleterre et la France s’inscrit dans le cadre d’un conflit plus vaste, officiellement appelé guerre de la Ligue d’augsbourg et, de manière beaucoup plus simple en amérique du nord, guerre du roi Guillaume. Cette guerre dure jusqu’en 1697. dans sa phase nord-américaine, elle en vient à se confondre avec la guerre des Français contre les iroquois. Celle-ci fait elle-même partie d’une confrontation plus large entre les peuples algonquins et iroquoiens de l’intérieur et, bien qu’on se souvienne surtout de cette guerre en raison d’événements comme l’attaque sanglante des iroquois contre Lachine, aux portes de Montréal, en 1689, ce sont véritablement les algonquins qui forcent les iroquois à faire du surplace avant de les vaincre. Les Français font leur part en organisant les diverses tribus en une seule alliance avec un but commun, puis en approvisionnant leurs alliés. Frontenac, qui bénéficie d’un deuxième mandat de gouverneur de 1690 à 1698, mène ses propres expéditions en territoire iroquois. ainsi, bien que les Français jouent un rôle essentiel, c’est principalement aux alliés qu’incombe la tâche de repousser les iroquois dans leur territoire au sud du lac Ontario11.

Frontenac doit aussi défendre Québec contre une expédition maritime de la nouvelle-angleterre en 1690 et il sert aux anglais ses bravades habituelles. dans l’île de terre-neuve, où les ancrages de pêche se transforment petit à petit en établissements permanents, les Français, sous les ordres de d’iberville font leur possible pour repousser les anglais.

Mais ils n’y parviennent qu’à moitié, ce qui signifie en réalité qu’ils échouent complètement. La guerre fait rage au nord également, alors que Français et anglais jouent à saute-mouton autour de la baie d’Hudson en quête de victoire et de profits. en europe et en amérique du nord, cependant, aucun camp ne parvient à prendre un avantage décisif et la guerre prend fin sans rien résoudre, new York demeurant aux mains des anglais, la nouvelle-France aux mains de Français, et la baie d’Hudson et terre-neuve demeurant divisées entre les deux.

Pour la nouvelle-France, la paix de 1697 revêt sans doute moins d’importance qu’une autre paix, conclue à Montréal en 1701, sous la gouverne du successeur de Frontenac, Hector-Louis de Callière. Cette

« grande paix » met un terme à la guerre qui a opposé les Français et 3 • expansion eT colonisaTion

53

algonquins aux iroquois. Pour ces derniers, c’est une nécessité. L’ayant obtenue, ils peuvent demeurer un élément important de l’équilibre des forces entre anglais et Français en amérique du nord. dans un sens plus large, toutefois, les iroquois cessent d’être un facteur décisif.

de leur côté, les Français ne sont plus confinés à la vallée du saint-Laurent. Comme nous l’avons vu, ils se sont aventurés plus au nord, jusqu’à la baie d’Hudson, et plus à l’ouest, jusqu’aux rives du lac supérieur. ils ont établi des postes à Fort Frontenac (aujourd’hui Kingston, en Ontario) et detroit. Un des protégés de Frontenac, rené-robert Cavalier de la salle découvre une route reliant le bassin des Grands Lacs et le fleuve Mississippi, qu’il descend pour atteindre le golfe du Mexique en 1682. il revendique bien sûr la vallée du Mississippi au nom de son maître, Louis Xiv.

pARFUm D’EmpiRE

avec le recul, on comprend que, dans les années 1690, Louis Xiv et son empire ont passé leur apogée. Louis a pris la tête de l’état français et l’a organisé en vue de la guerre. Jusque dans les années 1690, ses guerres sont en général fructueuses et le prestige français croît au fil de ses conquêtes.

Même la lointaine colonie canadienne de Louis se stabilise à la faveur d’un mélange de politique guerrière et de développement économique prudent.

Que faire ensuite ? La prudence préconise la consolidation : la France a l’occasion de reprendre son souffle après les guerres de Louis.

et la nouvelle-France a enfin l’occasion d’échapper à l’ombre des guerres iroquoises et de se développer en paix. La traite des fourrures a atteint un équilibre semblant favoriser la France et les intérêts français, même si les anglais n’ont jamais été totalement évincés de la baie d’Hudson.

Ce ne sont pas là les options retenues par Louis. il choisit plutôt de rechercher la fortune, comme il la perçoit, dans l’expansion de l’influence et du prestige de la France. défiant les puissances européennes, il place son petit-fils sur le trône d’espagne. en amérique du nord, il cherche à transformer en empire les découvertes de ses explorateurs. La France n’essayera pas d’envahir ou de détruire les colonies anglaises établies le long de la côte de l’atlantique ; elle va plutôt les encercler en dominant la vallée du Mississippi, appelée Louisiane en l’honneur de son âme dirigeante.

Par cette politique, Louis cherche à étendre son pouvoir et à conserver l’avantage stratégique que ses guerres lui ont permis d’acquérir jusque-là. il met en branle un nouveau cycle de guerres qui finira par entraîner la perte de l’empire français en amérique du nord.

 

4

Une histoire du Canada
titlepage.xhtml
index_split_000.html
index_split_001.html
index_split_002.html
index_split_003.html
index_split_004.html
index_split_005.html
index_split_006.html
index_split_007.html
index_split_008.html
index_split_009.html
index_split_010.html
index_split_011.html
index_split_012.html
index_split_013.html
index_split_014.html
index_split_015.html
index_split_016.html
index_split_017.html
index_split_018.html
index_split_019.html
index_split_020.html
index_split_021.html
index_split_022.html
index_split_023.html
index_split_024.html
index_split_025.html
index_split_026.html
index_split_027.html
index_split_028.html
index_split_029.html
index_split_030.html
index_split_031.html
index_split_032.html
index_split_033.html
index_split_034.html
index_split_035.html
index_split_036.html
index_split_037.html
index_split_038_split_000.html
index_split_038_split_001.html
index_split_038_split_002.html
index_split_038_split_003.html
index_split_038_split_004.html
index_split_039.html
index_split_040.html
index_split_041_split_000.html
index_split_041_split_001.html
index_split_041_split_002.html
index_split_041_split_003.html
index_split_041_split_004.html
index_split_041_split_005.html
index_split_041_split_006.html
index_split_041_split_007.html
index_split_041_split_008.html
index_split_041_split_009.html
index_split_041_split_010.html
index_split_041_split_011.html
index_split_042.html
index_split_043_split_000.html
index_split_043_split_001.html
index_split_043_split_002.html
index_split_043_split_003.html
index_split_043_split_004.html
index_split_043_split_005.html
index_split_043_split_006.html
index_split_043_split_007.html
index_split_043_split_008.html
index_split_043_split_009.html
index_split_043_split_010.html
index_split_044_split_000.html
index_split_044_split_001.html
index_split_044_split_002.html
index_split_044_split_003.html
index_split_044_split_004.html
index_split_044_split_005.html
index_split_044_split_006.html
index_split_044_split_007.html
index_split_044_split_008.html
index_split_044_split_009.html
index_split_044_split_010.html
index_split_044_split_011.html
index_split_044_split_012.html
index_split_044_split_013.html
index_split_044_split_014.html
index_split_044_split_015.html
index_split_044_split_016.html
index_split_044_split_017.html
index_split_044_split_018.html
index_split_045.html
index_split_046_split_000.html
index_split_046_split_001.html
index_split_046_split_002.html
index_split_046_split_003.html
index_split_046_split_004.html
index_split_046_split_005.html
index_split_046_split_006.html
index_split_046_split_007.html
index_split_046_split_008.html
index_split_046_split_009.html
index_split_046_split_010.html
index_split_046_split_011.html
index_split_046_split_012.html
index_split_046_split_013.html
index_split_046_split_014.html
index_split_046_split_015.html
index_split_046_split_016.html
index_split_046_split_017.html
index_split_046_split_018.html
index_split_046_split_019.html
index_split_046_split_020.html
index_split_046_split_021.html
index_split_046_split_022.html
index_split_046_split_023.html
index_split_047.html
index_split_048.html
index_split_049.html
index_split_050.html
index_split_051.html
index_split_052.html
index_split_053.html
index_split_054_split_000.html
index_split_054_split_001.html
index_split_054_split_002.html
index_split_054_split_003.html
index_split_054_split_004.html
index_split_054_split_005.html
index_split_054_split_006.html
index_split_054_split_007.html
index_split_054_split_008.html
index_split_054_split_009.html
index_split_054_split_010.html
index_split_054_split_011.html
index_split_054_split_012.html
index_split_055.html
index_split_056.html
index_split_057.html
index_split_058.html
index_split_059.html
index_split_060.html
index_split_061.html
index_split_062_split_000.html
index_split_062_split_001.html
index_split_062_split_002.html
index_split_062_split_003.html
index_split_062_split_004.html
index_split_062_split_005.html
index_split_062_split_006.html
index_split_062_split_007.html
index_split_062_split_008.html
index_split_062_split_009.html
index_split_062_split_010.html
index_split_062_split_011.html
index_split_062_split_012.html
index_split_062_split_013.html
index_split_062_split_014.html
index_split_062_split_015.html
index_split_063.html
index_split_064.html
index_split_065_split_000.html
index_split_065_split_001.html
index_split_066_split_000.html
index_split_066_split_001.html
index_split_066_split_002.html
index_split_066_split_003.html
index_split_066_split_004.html
index_split_066_split_005.html
index_split_066_split_006.html
index_split_066_split_007.html
index_split_066_split_008.html
index_split_066_split_009.html
index_split_066_split_010.html
index_split_067.html
index_split_068.html
index_split_069_split_000.html
index_split_069_split_001.html
index_split_069_split_002.html
index_split_069_split_003.html
index_split_069_split_004.html
index_split_069_split_005.html
index_split_069_split_006.html
index_split_069_split_007.html
index_split_069_split_008.html
index_split_069_split_009.html
index_split_069_split_010.html
index_split_069_split_011.html
index_split_069_split_012.html
index_split_069_split_013.html
index_split_070.html
index_split_071.html
index_split_072.html
index_split_073_split_000.html
index_split_073_split_001.html
index_split_073_split_002.html
index_split_073_split_003.html
index_split_073_split_004.html
index_split_073_split_005.html
index_split_073_split_006.html
index_split_073_split_007.html
index_split_073_split_008.html
index_split_073_split_009.html
index_split_073_split_010.html
index_split_073_split_011.html
index_split_073_split_012.html
index_split_073_split_013.html
index_split_073_split_014.html
index_split_073_split_015.html
index_split_074.html
index_split_075.html
index_split_076.html
index_split_077_split_000.html
index_split_077_split_001.html
index_split_078.html
index_split_079.html
index_split_080.html
index_split_081.html
index_split_082.html
index_split_083.html
index_split_084.html
index_split_085.html
index_split_086.html
index_split_087.html
index_split_088.html
index_split_089.html
index_split_090.html
index_split_091.html
index_split_092.html
index_split_093.html
index_split_094.html
index_split_095.html
index_split_096.html
index_split_097.html
index_split_098.html
index_split_099.html
index_split_100.html
index_split_101.html
index_split_102.html
index_split_103.html
index_split_104.html
index_split_105_split_000.html
index_split_105_split_001.html