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fête lors de ces élections est l’action démocratique du Québec, ou adQ, dont le chef, Mario dumont a déjà été président de l’aile jeunesse du Parti libéral). sans doute le PQ remporte-t-il la majorité du vote francophone et son chef et nouveau premier ministre, Jacques Parizeau, le sait très bien.
sur le plan tant intellectuel qu’émotionnel, Parizeau est totalement dévoué envers l’indépendance du Québec. économiste de renom et vétéran de la politique (il a été le ministre des Finances de rené Lévesque après 1976), il n’a jamais aimé la stratégie de « souveraineté-association » à laquelle Lévesque a eu recours pour attirer une population indécise vers le séparatisme dans les années 1970. À titre de premier ministre, Parizeau est résolu à réaliser l’indépendance, et la planification d’un référendum débute dès que le PQ prend les rênes du pouvoir.
Le PQ met en œuvre ses amples ressources en tant que gouvernement pour promouvoir le rassemblement autour du thème du séparatisme, au sein de la population francophone à tout le moins. À titre de chef de l’opposition et, officiellement, de fédéraliste en chef de la province, Johnson est perçu comme quelqu’un de valable mais de terne. Jean Chrétien, le premier ministre du Canada, manque de popularité dans sa province natale. il s’est opposé à l’accord du lac Meech, il a été le lieutenant politique de Pierre trudeau (que la plupart des Québécois francophones sont parvenus à présenter comme un démon) et, dans les cercles d’intellectuels (les
« intellos »), on le méprise comme étant rustre et dépourvu de culture, tout à l’encontre de trudeau.
Parizeau est confronté au problème opposé : beaucoup de Québécois le trouvent pompeux. Provenant, comme trudeau, d’une famille riche, ayant, comme trudeau, reçu l’essentiel de son éducation en dehors de la province, Parizeau n’a rien d’un homme du peuple ; à l’encontre de trudeau, il fait plutôt penser à un banquier britannique, une image qui n’a rien pour lui attirer de l’affection.
Parizeau n’est pas lui non plus très porté sur les compromis et il préfèrerait livrer la bataille de l’indépendance – celle de la souveraineté –
dans des conditions limpides. Mais, selon les sondages, même après l’accord du lac Meech et même avec Chrétien à Ottawa et une opposition faible à Québec, les Québécois ne souhaitent pas une rupture en bonne et due forme avec le reste du Canada. si bien que, à son corps défendant, Parizeau est entraîné dans une gavotte politique avec l’adQ et son chef Mario dumont, dont les 6,5 pour cent du vote en 1994 pourraient faire la différence entre la réussite et l’échec dans un référendum. il se voit aussi contraint d’inviter Lucien Bouchard, même si les rapports entre les deux hommes ne sont pas des meilleurs. Passant outre à l’hésitation et à la rivalité, ainsi qu’à d’autres différences plus fondamentales peut-être, tous trois conviennent 462
UnE HIsTOIRE dU Canada
en juin 1995 que le camp du « oui », leur camp, devrait promettre en vue du référendum imminent de s’efforcer de négocier un nouveau genre de
« partenariat économique et politique » avec le Canada et, après seulement, proclamer la souveraineté du Québec.
L’objectif incontesté étant la victoire au référendum, les moyens pour l’atteindre deviennent négociables. il en résulte une question complexe par laquelle il est demandé aux électeurs d’approuver l’accord de juin et de voter en faveur de la souveraineté. Flairant la victoire, Parizeau entame de sérieux préparatifs. en tant qu’économiste, il sait que le monde international des affaires et des finances préfère la stabilité et qu’une victoire séparatiste promettrait tout autre chose. Ce ne serait pas une bonne publicité pour l’indépendance du Québec que de se retrouver aux prises avec des difficultés économiques comme conséquence immédiate d’un vote en faveur de la souveraineté. il commence donc par mettre de côté un fonds de réserve destiné à stabiliser le dollar canadien dans le sillage immédiat d’une victoire du « oui ».
Puis, en septembre, il lance la campagne du « oui » en écoutant une déclaration d’indépendance du Québec dans un théâtre de la ville de Québec.
La date du scrutin étant fixée au 30 octobre, le débat électoral commence. il semble à première vue que Parizeau ait mal jugé la situation. Les sondages ne sont pas particulièrement encourageants et le camp fédéraliste du « non »
se sent stimulé. Un porte-parole fédéraliste parle « d’écraser » le séparatisme une fois pour toutes. il semble que l’on puisse laisser la campagne entre les mains du prosaïque Johnson et du chef conservateur fédéral Jean Charest qui, sans être un poids lourd politique, n’en a pas moins une réputation d’orateur talentueux.
Les électeurs hésitent et se mettent à passer dans le camp du « oui »
mais avant que cela se produise, Parizeau, se rendant compte du handicap que représente sa personnalité pour le camp du « oui », cède la direction de la campagne à Lucien Bouchard, un homme plus charismatique. Bouchard se lance dans la campagne avec sa ferveur coutumière, assurant à ceux qui hésitent que l’indépendance, telle une « baguette magique », va dissiper les brumes du fédéralisme et amener le Québec au royaume des possibilités, de la prospérité et de la souveraineté. Les électeurs commencent à se ranger du côté de Bouchard et à suivre sa baguette.
À Ottawa, Jean Chrétien en est renversé. Lui qui se vantait de son propre bon sens politique, voilà que celui-ci l’a laissé tomber. s’adressant au caucus libéral à Ottawa, il fond en larmes. Le mieux qu’il puisse faire est de promettre quelques concessions de dernière minute au Québec ; nul ne sera étonné d’apprendre qu’elles sont perçues comme le repentir d’un moribond. de façon plus pratique, l’ambassadeur américain, James 17 • nouveau millénaire, nouvel univers