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au départ, le gouvernement américain et les politiciens américains en général hésitent sur la voie à prendre. Une fois qu’il apparaît évident, en 1947, que la Grande-Bretagne n’a plus de grande puissance que le nom, le président truman rassemble son courage et celui de ses compatriotes pour assumer le rôle de chef de file de ce qui finit par s’appeler « le monde libre ». Le gouvernement canadien ne cherche guère à l’en persuader, bien que, pour les diplomates américains, la position du Canada ne fasse aucun doute. Le gouvernement libéral canadien, dirigé par Mackenzie King jusqu’en novembre 1948, puis par Louis saint-Laurent, accepte le leadership américain et s’en réjouit. ses appréhensions, si peu qu’il en ait, sont de voir les américains se laisser gagner par la lassitude ou l’impatience, pour être plus précis, que le régime gouvernemental américain, avec son équilibre d’intérêts et d’institutions, se révèle trop complexe ou trop lent pour permettre à truman et à ses successeurs d’exercer un leadership à la fois sage et opportun.
Certains Canadiens, dont Charles ritchie, qui deviendra plus tard un diplomate de tout premier plan et d’une grande influence, pleurent le déclin de la Grande-Bretagne. d’un point de vue britannique, l’importance du Canada est plus grande que jamais car, affaiblie comme elle l’est, la Grande-Bretagne a besoin de l’aide canadienne et elle compte dessus. Le Canada répond à ce besoin, sous la forme d’un prêt de 1,25 milliard de dollars (soit le dixième de son produit national brut) en 1946, d’un contrat qui assure l’expédition de blé à bon marché en Grande-Bretagne, et de collaboration, de compréhension et de soutien alors que, vers la fin des années 1940, la Grande-Bretagne s’ajuste et crée une communauté plus nébuleuse, le Commonwealth britannique des nations. Quand, en 1948, l’irlande finit par rompre ses liens constitutionnels envers la monarchie et le Commonwealth, elle ne trouve pas d’oreille attentive du côté canadien ; les regards du Canada sont plutôt braqués sur la Grande-Bretagne et des institutions communes comme la monarchie. Ce n’est nullement par hasard que le dernier voyage outre-mer de Mackenzie King ait pour destination la Grande-Bretagne, où il assiste au mariage de la princesse élisabeth ; plus tôt cette même année, il a décidé de faire avorter un projet d’union douanière avec les états-Unis tout en feuilletant un vieux livre sur l’empire britannique. King est né sujet britannique et il mourra sujet britannique, au sens littéral du terme, en juillet 1950, au terme d’une brève retraite.
King fait peu de cas de la nouvelle institution internationale qu’il a contribué à créer en 1945, les nations Unies. il avait une opinion aussi mauvaise de l’organisme qui l’a précédée, la société des nations, et à mesure qu’il prend de l’âge – il a soixante-dix ans quand il remporte ses dernières élections générales en 1945 – une partie des membres de son personnel se demande s’il ne confond pas les deux. L’« OnU » ne tarde pas à être 346
UnE HIsTOIRE dU Canada
paralysée par des querelles entre les puissances occidentales et l’Union soviétique. toutes les grandes puissances (les é.-U., l’Urrs, le r.-U., la France et la Chine) ont un droit de véto et ce droit, ou la simple menace d’y avoir recours, suffit à bloquer toute action des nations Unies. King est bien conscient du fait que la Conférence des ministres des affaires étrangères, qui rassemble en 1947 les ministres de Grande-Bretagne, de France, des états-Unis et de l’Union soviétique, est elle aussi paralysée.
Les américains voient bien que l’europe a des problèmes qu’il faut résoudre, avec la collaboration des soviétiques si possible, mais sans elle si nécessaire. L’allemagne, qui a subi une cuisante défaite, est conquise et occupée, mais les occupants ne peuvent se contenter de ne rien faire, en consacrant de l’argent à l’alimentation des soldats et au bien-être et en attendant une solution plus durable. il faut faire quelque chose pour rendre l’allemagne autosuffisante sur le plan tant économique que politique. et le problème allemand se complique de ce qu’on perçoit comme une crise politique dans d’autres pays d’europe occidentale, où le Parti communiste est puissant sur le plan politique et enclin à user de son influence en perturbant les économies locales tout en donnant l’impression qu’il est le seul à posséder la clé de l’avenir de l’europe.
La réaction américaine prend la forme d’un programme d’aide de 18 milliards de dollars, appelé Plan Marshall du nom de son parrain, le secrétaire d’état américain George Marshall. en général, on le considère comme un programme de reconstruction, destiné à littéralement rebâtir des économies en ruines. Ce qu’il permet de faire en réalité est de résoudre une pénurie de dollars en europe occidentale, notamment en Grande-Bretagne, tout en laissant le soin de distribuer l’aide aux européens eux-mêmes, qui doivent concevoir et justifier leurs propres plans de dépenses des fonds américains. Le Canada prend part au Plan Marshall, non pas à titre de donateur, mais à titre de fournisseur de produits que les européens achètent en dollars américains. de son côté, le Canada connaît une pénurie de dollars, qui oblige le gouvernement à imposer des restrictions d’urgence sur les importations à l’automne de 1947 et à déclencher les négociations commerciales canado-américaines auxquelles King mettra un terme au début de 1948.
King préside les premières rondes de négociation d’une alliance permanente et officielle entre les pays d’amérique du nord et ceux d’europe occidentale. avec les états-Unis, il existe déjà depuis 1938 une alliance officieuse fondée sur des promesses réciproques et publiques d’aide et de soutien de roosevelt et de King, ainsi qu’un certain nombre de commissions mixtes et d’ententes de coopération connexes. Bien que King se considère lui-même comme nettement pro-américain et qu’il croie que cette réputation au sein de l’électorat lui a fait du tort sur le plan politique, il ne souhaite 13 • des Temps Bénis, 1945–1963