20.
L’appel de Claire m’a tirée d’un sommeil profond.
— Il faut que tu viennes, m’a-t-elle ordonné d’un ton sans réplique.
J’ai regardé, groggy, l’heure en clignant.
— Que je vienne où ? ai-je gémi.
— Je suis au bureau, merde. À ce putain de labo. Le gardien te laissera entrer. Viens tout de suite.
En percevant l’urgence de sa voix, j’ai repris mes esprits.
— Tu es au labo ?
— Depuis deux heures et demie, dormeuse. Ça concerne Nicholas Jenks. Je crois que j’ai trouvé quelque chose, Lindsay, et y a de quoi halluciner.
À cette heure-là, je n’ai pas mis plus de dix minutes pour arriver à la morgue. Je me suis garée sur l’emplacement circulaire devant l’entrée du coroner, réservée aux véhicules officiels. Je me suis précipitée, dépeignée, en jean et sweat-shirt.
Le gardien m’a débloqué la porte électriquement. Il m’attendait. Claire m’a cueillie sur le seuil du labo.
— Bon, je suis pleine d’espoir, lui ai-je dit.
Elle ne m’a pas répondu. Elle s’est contentée de me plaquer contre la porte du labo, sans un salut ni un mot d’explication.
— Retour au Hyatt, a-t-elle commencé. Au meurtre n° 1, David Brandt s’apprête à ouvrir la porte. Vas-y, fais semblant d’être le marié.
Elle a posé une main sur mon épaule et m’a mise doucement en place.
— Moi, je suis l’assassin ; je te prends par surprise quand tu ouvres la porte et je te poignarde – de la main droite, bien que la différence n’ait plus tellement d’importance à présent.
Elle a plongé son poing sous mon sein gauche.
— Tu tombes et c’est là qu’on t’a retrouvé, plus tard.
J’ai acquiescé, lui indiquant que, jusque-là, je suivais.
— Et qu’a-t-on retrouvé autour de toi ? m’a-t-elle demandé en écarquillant les yeux.
J’ai revu mentalement la scène.
— Une bouteille de Champagne, une veste de smoking.
— Exact, mais ce n’est pas là que je veux en venir.
— Du sang... beaucoup de sang.
— Tu te rapproches. Souviens-toi, il a succombé à une crise cardiaque. On a supposé simplement qu’il était mort de peur.
Je me suis levée, les yeux au sol. Brusquement, j’ai tout vu comme si je me trouvais là-bas, près du corps.
— De l’urine.
— Oui ! s’est exclamée Claire. On a découvert un infime résidu d’urine. Sur ses chaussures, sur le plancher. J’ai réussi à en récupérer six centimètres cubes environ. Il paraissait logique de l’attribuer au marié... se vider est un réflexe naturel quand on est saisi d’une peur soudaine ou face à la mort. Mais hier au soir, j’ai réfléchi qu’à Cleveland aussi, on avait relevé des traces d’urine. Et celle du Hyatt, je ne l’avais jamais soumise à un test. À quoi bon ? J’avais toujours supposé que c’était celle de David Brandt. Mais si tu étais ici affalé sur le sol et que, moi l’assassin, je me tienne au-dessus de toi et que la flaque de pisse se trouve ici – elle a désigné le plancher autour de moi – de l’urine de qui s’agit-il, bordel ?
L’œil brillant, on a connu l’un de ces moments d’harmonie inoubliable.
— De celle du tueur, ai-je conclu.
Claire a gratifié d’un sourire sa brillante élève.
— Les annales de la médecine légale abondent en exemples d’assassins qui « lâchent tout » en tuant, alors le fait de pisser n’est pas tellement tiré par les cheveux. On doit avoir les nerfs à vif. Et moi, en bonne vieille obsessionnelle du moindre détail, je l’ai mise au frais dans une fiole sans savoir pourquoi. Ce qui fait qu’on va pouvoir tester l’urine.
— La tester ? Pour quoi faire ?
— Pour connaître le sexe, Lindsay. L’urine peut révéler le sexe.
— Bon Dieu, Claire, ai-je fait, abasourdie.
Elle m’a emmenée dans le labo jusqu’à deux microscopes posés sur un comptoir, en compagnie de bouteilles de produits chimiques et d’un appareil que je reconnus – grâce à mes cours de chimie du lycée – être un centrifugeur.
— Il n’y a pas de marqueurs du sexe dans l’urine, mais on peut y chercher autre chose. D’abord, j’en ai pris un échantillon et l’ai mélangé dans le centrifugeur avec ce détachant KOH, qu’on peut utiliser pour isoler les impuretés dans les cultures sanguines.
Elle m’a invitée à me pencher sur le premier microscope.
— Tu vois... ces minuscules filaments branchus avec des grappes de cellules comme des raisins. Candida albicans.
Je l’ai regardée sans comprendre.
— Ce sont des cellules de levure, ma chérie. Cette urine est chargée de gros dépôts de levure. Un garçon n’en a pas.
J’ai souri, mais avant même de pouvoir répondre, elle m’a entraînée plus loin.
— Puis j’ai glissé l’autre échantillon sous le microscope. Et regarde-moi un peu ça.
J’ai collé mon œil à l’oculaire.
— Tu vois ces cellules en forme de croissant qui barbotent ? m’a demandé Claire.
— Hum-hum.
— Des cellules sanguines. En pagaille.
J’ai relevé la tête et je l’ai dévisagée.
— Elles n’apparaîtraient pas dans l’urine d’un homme. Pas à ce degré-là. À moins qu’il n’ait un rein qui saigne, ce qui, que je sache, n’est le cas d’aucun de nos principaux suspects.
— À moins que le tueur n’ait eu ses règles, ai-je fait en hochant la tête lentement.