20.
À neuf heures, le lendemain matin, j’étais dans le bureau du Dr Victor Medved, agréable petit homme aux traits finement ciselés qui, avec sa trace d’accent d’Europe de l’Est, me flanquait une trouille bleue.
— Negli est un tueur, déclara-t-il sans ambages. Il dérobe au corps sa capacité de transporter l’oxygène. Au début, les symptômes sont : manque d’énergie, affaiblissement du système immunitaire et une légère tendance au vertige. En définitive, vous pouvez connaître un dysfonctionnement cérébral similaire à celui consécutif à une attaque et commencer aussi bien à perdre vos facultés mentales.
Il s’est levé, s’est approché de moi et m’a saisi le visage entre ses mains douces. Il m’a dévisagée à travers ses verres épais.
— Vous êtes déjà pâlotte, m’a-t-il dit en palpant mes joues de ses pouces.
— Ça prend toujours un peu de temps avant que mon sang ne fasse un tour, le matin, ai-je dit avec un sourire, tâchant de masquer la peur qui m’étreignait le cœur.
— Bon, d’ici à trois mois, m’a dit le Dr Medved, à moins que nous inversions le mouvement, vous aurez l’air d’un fantôme. Un fantôme ravissant, soit, mais un fantôme tout de même.
Il revint à son bureau et prit ma courbe.
— Vous êtes inspecteur de police.
— De la criminelle, lui ai-je précisé.
— Alors, aucune raison de s’illusionner. Mais je n’entends pas vous déstabiliser. L’anémie aplastique peut être inversée. Jusqu’à trente pour cent des patients réagissent favorablement à un traitement de transfusions bihebdomadaires de sang frais. Pour ceux sur lesquels ce traitement est sans effet, un pourcentage égal peut en fin de compte être traité par le biais d’une greffe de moelle osseuse. Mais cela nécessite au préalable une chimiothérapie douloureuse, histoire de booster les globules blancs.
Je me suis raidie. Les prédictions cauchemardesques d’Orenthaler se réalisaient.
— Existe-t-il un moyen pour savoir qui réagit positivement au traitement ?
Medved se croisa les mains en faisant non de la tête.
— La seule façon, c’est de l’entamer. Puis l’on voit.
— Je m’occupe d’une affaire importante. Le Dr Orenthaler m’a dit que je pouvais continuer à travailler.
Medved a fait une moue dubitative.
— Vous pouvez tant que vous vous en sentirez la force.
J’ai expiré lentement, avec difficulté. Combien de temps pourrai-je cacher ça ? À qui en parler ?
— Si ça marche, combien de temps avant de noter une amélioration ? ai-je demandé avec espoir.
Il a tiqué.
— Il ne s’agit pas de prendre une aspirine contre la migraine. J’ai bien peur que la route ne soit longue.
Je me suis souvenue de la réponse encourageante de Roth, concernant mes chances de passer lieutenant.
Tu es au pied du mur, Lindsay. C’est le plus grand défi de ton existence.
— Et si ça ne marche pas, combien de temps... avant que les choses ne commencent à...
— À empirer ? Abordons le traitement avec optimisme et confiance. On en discutera au fil des événements.
Tout était ouvert à présent. L’affaire, ma carrière, tous mes objectifs. Les enjeux avaient changé. Je me baladais avec une bombe à retardement dans ma poitrine, au mécanisme bien remonté, incendiaire. Et j’ai songé qu’il se pourrait bien que je ne sois que la mèche qui se consumait lentement.
— On commence quand ? ai-je demandé tranquillement.
Il m’a griffonné les coordonnées d’un cabinet dans le même immeuble. Au deuxième étage. Service de consultation externe Moffett. Pas de date.
— Si ça ne vous fait rien, j’aime autant commencer tout de suite.