16.
En quittant la morgue, on est retournés au bureau, Raleigh et moi, quasi en silence. De nombreux détails des meurtres me chiffonnaient. Pourquoi le tueur avait-il emporté la veste de la victime ? Pourquoi avait-il laissé la bouteille de Champagne ? Ça n’avait pas de sens.
— On a maintenant un crime sexuel sur les bras, et des plus moches.
Je me suis tournée vers lui sur le passage pour piétons menant au Palais.
— Je veux soumettre les résultats d’autopsie à Milt Fanning et aux ordinateurs du FBI. Il faut aussi qu’on rencontre les parents de la mariée. Il nous faudra un historique de tous ceux avec qui elle est sortie avant David. Et une liste des invités au mariage.
— Pourquoi ne pas attendre une confirmation sur ce dernier point, m’a dit mon nouveau coéquipier, avant qu’on attaque sous cet angle.
Je me suis arrêtée et je l’ai dévisagé.
— Vous voulez voir si quelqu’un va réclamer une veste ensanglantée aux objets perdus ? Je ne comprends pas. Qu’est-ce qui vous turlupine ?
— Ce qui me turlupine, m’a répondu Raleigh, c’est que je ne tiens pas à ce que le service vienne troubler le chagrin des familles avec un tas d’hypothèses tant qu’on n’a pas de nouveaux éléments. On est en possession – ou pas – de la veste du tueur. C’était – ou pas – un invité.
— À qui pensez-vous qu’elle appartenait, au rabbin ?
Il m’a souri brièvement.
— On a pu la laisser là pour nous mettre sur une fausse piste.
Il paraissait avoir changé subitement de ton.
— Vous prenez vos distances ? lui ai-je demandé.
— Non, fit-il. Tant qu’on n’a rien de solide, comme un ex-petit ami de la mariée ou la victime d’une réduction d’effectifs à laquelle Gerald Brandt aurait prêté la main et qu’on pourrait présenter comme suspect possible. J’aimerais mieux qu’on ne rebraque pas les projecteurs sur eux à moins qu’on ait du solide pour aller plus loin.
Et voilà. Le baratin. Emballer, endiguer, calmer le jeu. Brandt et le chancelier Weil, le père de la mariée, étaient des VIP. Trouvez-nous les méchants, Lindsay. Et ne faites pas courir de risques au service, pendant l’enquête.
J’ai renâclé.
— J’ai pensé que la possibilité que l’assassin ait assisté au mariage nous suffisait pour aller plus loin.
— Tout ce que je suggère, Lindsay, c’est qu’on obtienne une confirmation quelconque avant de nous mettre à éplucher la vie sexuelle du garçon d’honneur.
J’ai opiné, sans le quitter des yeux.
— Entre-temps, Chris, on poursuivra sur notre lancée les autres pistes vraiment sérieuses en notre possession.
On s’est dévisagés en silence, tendus.
— Très bien, pourquoi, à votre avis, l’assassin a-t-il échangé sa veste avec celle du jeune marié ?
Il s’adossa au bord d’un muret de ciment.
— D’après moi, il portait la sienne quand il les a tués. Elle était couverte de sang et il fallait qu’il sorte sans se faire remarquer. La veste du marié était sur le sol, à sa portée. Alors, il a fait main basse dessus.
— Et vous vous imaginez qu’il s’est donné tant de mal pour la taillader et tout et tout, en pensant que personne ne s’en apercevrait. Pas la même taille, pas le même tailleur. Et que ça passerait comme une lettre à la poste. Raleigh, pourquoi l’abandonner derrière lui ? Pourquoi ne pas fourrer la veste ensanglantée dans un sac ? Ou ne pas la rouler sous sa nouvelle veste ?
— D’accord, m’a concédé Raleigh. Je n’en sais rien. Pourquoi, d’après vous ?
J’ignorais pourquoi le tueur avait agi de la sorte, mais une hypothèse effrayante prenait forme dans ma tête.
— Hypothèse n° 1, il a paniqué, ai-je répondu. Peut-être que le téléphone a sonné ou que quelqu’un a frappé à la porte.
— Pendant la nuit de noces ?
— Je crois entendre mon ex-coéquipier.
Je suis repartie vers le Palais et il m’a rattrapée. Il m’a tenu ouvertes les portes vitrées. Au moment où je les franchissais, il m’a attrapé le bras.
— Et l’hypothèse n° 2 ?
Je me suis immobilisée, je l’ai dévisagé carrément, cherchant à déterminer jusqu’où je pouvais aller avec lui.
— Quelles sont vos vraies compétences dans le cas qui nous occupe, au fond ? lui ai-je demandé.
Il a souri, avec un air sûr de lui et confiant.
— J’ai été marié.
Je n’ai pas répondu. Hypothèse n° 2 : la peur montait en moi. L’assassin signait-il ses crimes ? Jouait-il avec nous ? Laissait-il délibérément des indices ? Les auteurs de crimes passionnels ne laissaient pas d’indices comme la veste. Les tueurs professionnels, non plus.
Les sérial killers en laissaient, eux.