21.
En arrivant au travail, le lendemain matin, j’ai trouvé un fax d’Hartwig : la liste des associés à Sparrow Ridge. J’ai chargé Jacobi de vérifier. Puis j’ai appelé mes contacts chez les deux organisateurs de mariage concernés, Falbalas et Miriam Campbell.
Je n’en attendais pas grand-chose. Jusque-là, tout avait débouché sur du vide. À ma grande stupéfaction, les deux organisateurs me le confirmèrent : Mélanie Brandt et Becky DeGeorge avaient acheté leur robe au même endroit.
La Boutique des mariages de chez Saks.
C’était le premier lien tangible entre les deux affaires. Il pouvait ne mener à rien, mais je sentais dans la moelle de mes os la sensation prometteuse et bien réelle d’une piste solide.
J’étais chez Saks à l’ouverture du magasin, à dix heures. La Boutique des mariages était au second étage, nichée dans un recoin près de Cadeaux & porcelaine fine.
J’ai intercepté Maryanne Perkins à son arrivée au travail, un gobelet de café fumant en main. La gérante de la boutique était une femme affable et élégante d’une cinquantaine d’années, tout à fait du genre à s’être occupée de futures mariées depuis vingt ans. Elle a délégué ses fonctions à quelqu’un et m’a fait entrer dans une petite pièce encombrée, pleine de photos d’épousées parues dans des magazines.
— En apprenant la chose, j’ai été effondrée, m’a-t-elle dit, en agitant la tête, le visage décomposé. Mélanie était ici, il y a quinze jours à peine.
Elle m’a fixée d’un œil peiné.
— Elle était si belle... Mes mariées sont comme mes filles, inspecteur. J’ai l’impression d’avoir perdu l’une des miennes.
— L’une des vôtres ? ai-je fait en la fixant. Vous n’êtes pas au courant ?
— Au courant de quoi ?
J’ai appris à Maryanne Perkins ce qui était arrivé à Becky DeGeorge.
Choquée, horrifiée, bouleversée, ses yeux verts se sont gonflés de larmes. Elle me regardait sans me voir comme si elle fixait un mur.
— Oh, mon Dieu...
Elle a repris son souffle, entrecoupé.
— Mon mari et moi avons passé quelques jours dans notre bungalow de Modesto. Elle allait juste... Oh, mon Dieu... qu’est-ce qu’il se passe, inspecteur ?
Immédiatement, un flot de questions se sont bousculées. Qui pouvait connaître leur clientèle ? D’autres vendeuses ? Les gérantes ? On avait déterminé que l’assassin était du sexe masculin. Des hommes travaillaient-ils à la boutique ?
Chacune de ces questions a arraché une réponse négative à une Maryanne Perkins frappée d’incrédulité. L’ensemble du personnel était le même depuis huit ans au minimum. Aucun homme. Tout comme notre Murder Club.
Elle s’adossa au fauteuil, fouillant sa mémoire pour le moindre détail qu’elle pourrait y puiser.
— On l’admirait, Becky. Elle était superbe. On aurait dit qu’elle ne s’était jamais envisagée sous cet angle, mais en se voyant dans sa robe, ça lui a paru soudain limpide. Sa mère lui avait donné cette broche – perles et diamants – et je me suis précipitée au bureau chercher des fleurs. C’est alors que j’ai remarqué quelqu’un. Il se tenait là-bas.
Elle m’a montré l’endroit du doigt.
— Il avait les yeux rivés sur Becky. Je me souviens d’avoir pensé : « Regardez, même lui vous trouve belle. » Je m’en souviens à présent.
Fiévreusement, j’ai relevé son signalement : fin quarantaine, peut-être moins.
— Je n’ai pas vraiment bien regardé, m’a dit la gérante. Il était barbu.
J’étais certaine que c’était lui ! Ça confirmait que Claire avait raison. Il devait trouver ses victimes chez Saks, d’où il les suivait à la trace.
Je n’ai pas relâché ma pression.
— Comment peut-on apprendre les détails d’un mariage ? La date ? Le lieu ? L’endroit de la lune de miel ?
— Nous consignons ce genre de renseignements, m’a dit Maryanne Perkins, quand une jeune fille choisit une robe. Certains nous sont nécessaires comme la date, pour les délais de confection. Cela nous aide à mieux connaître la mariée. La plupart d’entre elles déposent leurs listes de mariage ici.
Mieux connaître la mariée.
— Qui a accès à ces renseignements ?
Elle secoua la tête.
— Uniquement nous... mes assistantes et moi. C’est un rayon pas très important. Parfois, on partage les informations avec Cadeaux & porcelaine fine.
J’ai senti que je touchais enfin au but. Mon cœur cognait dans ma poitrine à grands coups.
— Il faut que je voie tout ce que vous avez sur Mélanie Brandt et Becky DeGeorge ainsi que sur toute cliente pour laquelle vous travaillez en ce moment. Il repérait ses victimes potentielles ici, n’est-ce pas ? Il y a de grandes chances qu’il revienne. Quelqu’un sur la liste du magasin pourrait bien être la prochaine de sa liste.
J’ai vu le visage de Mme Perkins se défaire. Elle semblait confrontée à une vision horrible.
— Il y a autre chose qu’il faut que vous sachiez.
— Quoi donc ?
— Il y a environ un mois de ça, après l’inventaire, on a remarqué la disparition de notre book de mariées.