31.
McBride devait retourner à son bureau pour une réunion de presse concernant l’enquête. Il me fallait imaginer la raison de la venue du tueur à Cleveland et quels liens, s’il y en avait, cela entretenait avec les meurtres de San Francisco. La prochaine étape, c’était de rencontrer les parents de la mariée.
Shaker Heights était une banlieue chic, en pleine floraison de la mi-été. Dans la moindre rue, des pelouses vertes montaient jusqu’à d’élégantes demeures abritées d’arbres. L’un des hommes de McBride m’y a conduite en voiture tandis que Raleigh retournait au Hilton du Front de Lac pour rencontrer la famille du marié.
La maison des Kogut, en brique rouge normande, était coiffée d’un dais de grands chênes. La sœur aînée de la mariée m’a accueillie à la porte en se présentant : Hillary Bloom. Elle m’a installée dans un fumoir confortable aux multiples tableaux : livres, télé 16/9, photos d’elle et de sa sœur enfants, de mariages.
— Kathy était la plus rebelle de nous deux, m’a expliqué Hillary. Un esprit libre. Ça lui a pris du temps pour se trouver, mais elle était en train de se caser. Elle avait un bon job – dans une agence de publicité de Seattle. C’est là qu’elle a rencontré James. Elle venait juste de sortir d’en prendre.
— De prendre quoi ? ai-je demandé.
— Comme je l’ai dit – elle était libre d’esprit. Kathy était comme ça.
Ses parents, Hugh et Christine Kogut, entrèrent dans la pièce. Et je fus témoin du choc et de la stupéfaction de gens dont la vie était en miettes.
— Elle enchaînait les liaisons, a reconnu sa mère. Mais elle avait une passion pour la vie.
— Elle était jeune, c’est tout, a dit son père. Peut-être l’avons-nous trop gâtée. Elle a toujours été poussée à faire des expériences.
Sur les photos d’elle – cheveux roux et regard effronté – je voyais la même joie de vivre que l’assassin avait dû évidemment trouver chez ses deux premières victimes. Ça m’a rendue triste et lasse.
— Savez-vous pourquoi je suis ici ? ai-je fini par leur demander.
Le père a acquiescé.
— Pour déterminer s’il existe un rapport avec ces horribles crimes commis dans l’Ouest.
— Bien, alors pouvez-vous me dire si Kathy avait un lien quelconque avec San Francisco ?
J’ai aperçu un vague et sinistre écho sur leurs visages.
— Après l’université, elle a vécu quelques années là-bas, dit la mère.
— Elle est allée à UCLA, a précisé le père. Elle est restée un ou deux ans à Los Angeles. Elle a essayé d’intégrer l’un des grands studios. Elle a commencé comme intérimaire à la Fox. Puis elle a obtenu ce job dans la publicité à San Francisco, et dans le milieu musical. C’était une vie survoltée. Fêtes, lancements, et sans doute, bien pire. On n’était pas très heureux mais, pour Kathy, c’était une grande chance.
Elle a vécu à San Francisco. Je leur ai demandé s’ils avaient déjà entendu les noms de Mélanie Weil ou de Rebecca Passeneau.
Ils ont fait non de la tête.
— Avez-vous eu vent d’une liaison qui aurait mal tourné ? De quelqu’un de jaloux ou d’obsédé qui aurait désiré lui nuire ?
— Dans ses liaisons, Kathy semblait toujours faire preuve d’imprudence, a déclaré Hillary, légèrement à cran.
— Je l’avais avertie, a renchéri la mère. Mais elle ne voulait qu’en faire à sa tête.
— A-t-elle évoqué quelqu’un en particulier pendant la période où elle a vécu à San Francisco ?
Tous les regards se sont tournés vers Hillary.
— Non, personne en particulier.
— Personne ne se détache du lot ? Elle a vécu là-bas un certain temps. Elle n’est restée en rapport avec personne après son départ ?
— Il me semble me rappeler l’avoir entendu dire qu’elle continuait à aller là-bas de temps en temps, a dit le père. Pour affaires.
— Les vieilles habitudes ont la peau dure, a lâché Hillary, narquoise, les lèvres pincées.
Il devait y avoir un lien quelconque. Un témoin des années qu’elle avait passées là-bas. Quelqu’un était venu jusqu’ici pour la voir morte.
— Y avait-il parmi les invités quelqu’un de San Francisco ? ai-je demandé.
— Une amie, a dit le père.
— Merrill, ajouta la mère. Merrill Cole. Shortley, à présent. Je crois qu’elle est descendue au Hilton, si elle y est encore.
J’ai sorti le portrait-robot de l’assassin, sans aucune garantie.
— Je sais que c’est un peu rude, mais connaissez-vous cet homme ? Quelqu’un qui connaissait Kathy ? Avez-vous vu quelqu’un lui ressemblant de près ou de loin au mariage ?
L’un après l’autre, les Kogut ont hoché négativement la tête.
Je me suis levée pour partir. Je leur ai demandé de me contacter si jamais un détail quelconque leur revenait, même insignifiant en apparence. Hillary m’a raccompagnée jusqu’à la porte.
— Une chose encore, ai-je dit, sachant que c’était un peu tiré par les cheveux. Par hasard, Kathy a-t-elle acheté sa robe de mariée à San Francisco ?
Hillary m’a regardée d’un œil vide et a fait non de la tête.
— Non, dans une boutique de fripes. À Seattle.
La réponse m’a tout d’abord cueillie à froid. Et puis, en un éclair, j’ai vu qu’il y avait vraiment là un truc que je cherchais. Les deux premiers meurtres avaient été commis par quelqu’un qui pistait ses victimes à distance. Voilà pourquoi il les trouvait de la façon que l’on avait déterminée. Il les suivait.
Mais celle-ci, Kathy, on l’avait choisie de façon différente.
J’étais sûre que, quel soit l’auteur du meurtre, il la connaissait.