30.
Pour la troisième fois en quinze jours, j’ai dû me rendre sur les lieux d’un double crime atroce.
McBride nous a menés au premier étage et fait traverser un atrium sinistrement désert jusqu’à des toilettes pour hommes à l’accès barré par des flics et des croisillons de ruban jaune.
— Des toilettes publiques, me dit Raleigh. Ça empire à chaque coup.
Et pourtant, cette fois, il n’y avait ni cadavres ni découvertes horrifiantes. On avait transporté depuis longtemps les victimes à la morgue. À leur place, leurs silhouettes délimitées au gaffeur et à la craie ; des photos écœurantes en blanc et noir étaient scotchées aux murs.
Je voyais ce qui s’était passé. Comment le marié avait été tué le premier, son sang souillant le mur derrière le siège. Comment Barbe Rousse avait attendu et surpris Kathy Voskuhl, la mariée, quand elle était entrée, puis l’avait mise dans cette position provocante, entre les cuisses de son mari. L’avait profanée.
— Comment se sont-ils retrouvés ici en plein mariage ? a demandé Raleigh.
McBride nous a désigné l’une des photos sur le mur.
— On a retrouvé un joint consumé près de James Voskuhl. On en a déduit qu’il est venu ici pour la fumette. D’après moi, sa femme l’a rejoint.
— Personne n’a rien vu, cependant ? Ils n’ont quitté la réception en compagnie de personne ?
McBride a fait non de la tête.
J’ai ressenti la même colère sourde que j’avais déjà éprouvée à deux reprises. Je détestais cet assassin. Ce saccageur de rêves. À chacun de ses forfaits, je le détestais davantage. Ce salaud nous persiflait. Chaque scène de crime était une affirmation. Chaque fois plus dégradante.
— Quelles étaient les mesures de sécurité ce soir-là ? ai-je demandé.
McBride a haussé les épaules.
— Toutes les issues, sauf la principale, étaient fermées. Il y avait un garde à l’accueil. Tous les invités du mariage sont arrivés en même temps. Deux autres gardes assez foireux se baladaient mais, en général, dans ce genre de cérémonie, ils aiment à garder profil bas.
— J’ai vu des caméras un peu partout, a insisté Raleigh. Il doit y avoir de la matière sur bande.
— C’est ce que j’espère, nous a dit McBride. Je vais vous présenter à Sharp, le chef de la sécurité. On peut y aller tout de suite.
Andrew Sharp était un homme sec et nerveux, la mâchoire carrée, la lèvre mince et pâle. Il avait l’air terrifié. La veille encore, il avait un job plutôt pépère, aujourd’hui, la police et le FBI étaient partout.
Devoir donner des explications à deux flics de l’extérieur, venus de San Francisco, n’arrangeait pas les choses. Il nous a emmenés dans son bureau, fait tomber une Marlboro light de son paquet et regardé Raleigh.
— J’ai une réunion avec le directeur adjoint dans une dizaine de minutes.
On ne s’est même pas donné la peine de s’asseoir.
— Vos hommes ont-ils noté quelque chose d’inhabituel ?
— Il y avait trois cents invités, madame l’inspecteur. Tout ce beau monde rassemblé dans l’atrium d’entrée. Mon personnel d’ordinaire ne se mêle pas aux invités, sauf pour s’assurer que personne ne s’approche des objets exposés, un verre à la main.
— Comment est-il sorti, alors ?
Sharp a pivoté sur son fauteuil et pointé un doigt vers un plan agrandi du musée.
— Soit par l’entrée principale, ici, par laquelle vous êtes passée, soit par une issue qu’on laisse ouverte sur la véranda, par-derrière. Elle donne sur la promenade du Lac. Il y a un café là, pendant l’été. La plupart du temps, elle est condamnée, mais les familles ont demandé à ce qu’elle reste ouverte.
— On a tiré deux coups de feu, ai-je dit. Et personne n’a rien entendu ?
— On était censés avoir affaire à des gens de la haute. Vous pensez qu’ils avaient envie de voir mes hommes rôder dans le coin ? On ne garde que deux, trois gars pour s’assurer que des invités trop zélés ne s’égarent pas dans les zones interdites. Et j’aurais dû en avoir qui patrouillent dans les couloirs menant aux toilettes ? Pour empêcher qu’on vole le papier hygiénique ?
— Et les caméras de surveillance ?
Sharp a soupiré.
— Elles couvrent les salles d’exposition, bien entendu. Les issues principales... avec un balayage du hall principal. Mais il n’y en a aucune dans le couloir où la fusillade a eu lieu. Ni dans les chiottes. De toute façon, la police visionne les cassettes avec les membres des deux familles à l’heure où nous parlons. Ça serait vachement plus facile si on savait qui on cherche, merde.
J’ai sorti de ma serviette la copie d’un portrait-robot. Il montrait un visage maigre au menton proéminent, les cheveux peignés en arrière, avec un bouc légèrement ombré.
— Pourquoi ne pas commencer par lui.