14.
Le lendemain, jour où Nicholas Jenks devait être mis en examen pour les meurtres de Rebecca et Michael DeGeorge, je suis partie en quête d’un nouvel assassin.
Je ne pouvais pas laisser Jenks se douter qu’on talonnait Joanna d’aussi près. Bien entendu, je ne tenais pas non plus à ce que Joanna sache que nos soupçons se portaient maintenant sur elle. Et je n’avais envie d’affronter ni les réactions de Mercer ni celles de Roth.
Avec tout ça en train, c’était aussi mon jour chez Medved. Après cette alerte dans le parc avec Chris, trois jours plus tôt, j’étais allée faire une analyse de sang. Medved en personne m’avait rappelée et demandé de passer. Etre à nouveau convoquée de la sorte m’a terrifiée. Comme la première fois avec le Dr Roy.
Ce matin-là, Medved m’a fait attendre. Quand il m’a enfin reçue dans son bureau, il était en compagnie d’un autre médecin – plus âgé, cheveux et sourcils broussailleux blancs. Il me l’a présenté : Dr Robert Yatto.
La présence d’un nouveau médecin a jeté un froid intense en moi. Il ne pouvait être là que pour me parler de la greffe de moelle osseuse.
— Le Dr Yatto est le chef du service d’hématologie de Moffett, m’a dit Medved. Je lui ai demandé de regarder votre dernier prélèvement.
Le Dr Yatto a souri.
— Comment vous sentez-vous, Lindsay ?
— Parfois, ça va, parfois, incroyablement faible, ai-je répondu. J’avais la poitrine comme dans un étau.
Pourquoi faut-il que je raconte tout ça à quelqu’un de nouveau ?
— Parlez-moi de l’autre jour.
Je lui ai décrit de mon mieux ma sensation de vertige dans le parc de la mairie.
— Des épanchements sanguins ? m’a demandé le Dr Yatto, comme si de rien n’était.
— Non, pas récemment.
— Des vomissements ?
— Pas depuis la semaine dernière.
Le Dr Yatto s’est levé, s’est penché vers moi pardessus le bureau.
— Vous permettez ? m’a-t-il demandé, en me prenant le visage entre ses mains.
Impassible, il m’a pressé les joues de ses pouces, examiné le blanc de l’œil, scruté les pupilles et sous mes paupières.
— Je sais que ça empire, ai-je dit.
Le Dr Yatto m’a relâchée, a fait un signe de tête au Dr Medved.
Alors, pour la première fois depuis que je le consultais, le Dr Medved m’a souri franchement.
— Ça n’empire pas du tout, Lindsay. C’est la raison pour laquelle j’ai appelé Bob en consultation. Votre taux d’érythrocytes a regrimpé d’un coup. À deux mille huit cents.
Je m’y suis prise à deux fois pour m’assurer d’avoir bien entendu. Que je ne prenais pas mes désirs pour des réalités.
— Mais les vertiges... les bouffées de chaleur et de froid alternées ? L’autre jour, j’ai eu l’impression d’être un vrai champ de bataille.
— Mais il y a bien une guerre, m’a dit le Dr Yatto. Vous reproduisez des cellules. L’autre jour, ce n’est pas Negli qui avait la parole. C’était vous. Guérir fait cet effet-là.
J’étais stupéfaite, j’avais la gorge sèche.
— Vous pouvez me répéter ça ?
— Ça marche, Lindsay, m’a dit le Dr Medved. Votre taux de globules rouges a augmenté deux fois d’affilée. Je n’ai pas voulu vous en parler tout de suite, au cas où il y aurait eu une erreur, mais comme le Dr Yatto vient de vous le dire, vous fabriquez de nouvelles cellules.
Je ne savais plus si je devais rire ou pleurer.
— C’est bien vrai ? Je peux m’y fier ? ai-je demandé.
— C’est très vrai, m’a dit le Dr Medved, accentuant son affirmation du chef.
Je me suis levée, tremblant de tous mes membres, pleine d’incrédulité. Un instant, toutes les joies que je m’étais interdites – mon avancement de carrière, mon jogging à Marina Green, partager ma vie avec Chris – se bousculèrent au portillon. Ça faisait si longtemps que la terreur m’avait empêchée de leur laisser libre cours. À présent, elles semblaient exploser en moi.
Le Dr Medved s’est penché et m’a lancé cet avertissement :
— Vous n’êtes pas complètement tirée d’affaire, Lindsay. On va continuer le traitement, deux fois par semaine. Mais c’est prometteur. Plus que prometteur, Lindsay. J’ai bon espoir.
— Je ne sais pas quoi dire.
Mon corps était totalement engourdi.
— Je ne sais pas quoi faire.
— À votre place, m’a dit le Dr Yatto, je réfléchirais à la chose qui m’aurait le plus manqué et je la ferais dès aujourd’hui.
J’ai quitté le bureau sur un petit nuage : la descente d’ascenseur, la traversée du hall puis de la cour fleurie qui dominait le Golden Gate Park.
Le ciel était plus bleu que jamais, l’air venant de la baie plus doux, plus frais, plus pur. Je suis tout bonnement restée là, à l’écoute du son magnifique de ma propre respiration.
Quelque chose reprenait place en catimini dans ma vie, quelque chose qui s’en était allé.
L’espoir.