33.
— Pas étonnant que la mariée n’ait pas été en blanc, m’a dit Raleigh en fronçant le sourcil, après que je lui eus rapporté mon entretien avec Merrill Shortley.
McBride nous avait organisé un dîner Chez Nonni, un italien donnant sur le lac, à un jet de pierre de notre hôtel.
L’entretien de Raleigh avec les parents du marié n’avait rien livré d’important. James Voskuhl était un aspirant musicien, qui avait zoné en marge du milieu musical de Seattle, et avait fini par faire son trou en représentant deux, trois groupes prometteurs. Il n’avait aucun lien connu avec San Francisco.
— Le tueur connaissait Kathy, ai-je dit. Comment l’aurait-il dénichée ici, autrement ? Ils avaient une liaison.
— Jusqu’au dernier moment ?
— Au tout dernier moment, ai-je répondu. Ce qui signifie peut-être, ici même, à Cleveland. Ce n’étaient pas des enfants de chœur. Merrill m’a dit que ce type était plus âgé qu’elle, marié, porté sur la chose, prédateur. Ce qui colle avec le style des meurtres. Quelqu’un qu’elle a connu à San Francisco a dû voir Barbe Rousse. Quelqu’un sait. Merrill prétend que Kathy protégeait son amant, sans doute parce qu’il était célèbre.
— Vous pensez que Merrill Shortley n’a pas tout dit ?
— Peut-être. Ou bien la famille. J’ai l’impression qu’ils cachent quelque chose.
Il avait commandé un Chianti de 1997 et quand on nous l’a servi, il a incliné son verre :
— À David et Mélanie, Michael et Becky, James et Kathy.
— On leur portera un toast à l’arrestation de cet immonde salopard, ai-je dit.
C’était la première fois qu’on se retrouvait en tête à tête à Cleveland et j’ai ressenti soudain une certaine nervosité. On avait toute une soirée devant nous et peu importe que nous revenions sans cesse à l’affaire ou que nous plaisantions « ceci n’est pas un rendez-vous galant », il y avait ce tiraillement, cette corde qui vibrait à l’intérieur de moi, me disant que ce n’était pas le moment de démarrer quoi que ce soit avec qui que ce soit, pas même avec le beau et charmant Chris Raleigh.
Alors pourquoi m’être changée, avoir enfilé un pull-over bleu layette et un pantalon seyant au lieu de garder la chemise de batiste et le vieux jean que j’avais portés toute la journée ?
On a commandé. J’ai pris un osso bucco, des épinards, une salade ; Raleigh, du veau paillard.
— Peut-être que c’était quelqu’un avec qui elle travaillait ? a dit Raleigh. Ou en rapport avec son job ?
— J’ai demandé à Jacobi de vérifier à son agence de Seattle. Son père m’a dit qu’elle continuait à descendre à San Francisco pour affaires. Je veux savoir si c’est vrai.
— Et si ça ne l’est pas ?
— Alors soit elle cachait quelque chose, soit c’est eux.
Il a pris une gorgée de vin.
— Pourquoi se marier si elle avait encore une liaison avec ce type ?
J’ai haussé les épaules.
— Ils disent tous que Kathy se rangeait enfin des voitures. J’aimerais voir à quoi elle ressemblait à cette époque, s’ils appellent ça se ranger.
J’ai pensé que j’aimerais refaire une tentative auprès de sa sœur, Hillary. Je me suis rappelé quelque chose qu’elle m’avait dit. Les vieilles habitudes ont la peau dure. J’avais cru qu’elle faisait allusion à la drogue et aux fêtes. Voulait-elle parler de Barbe Rousse ?
— McBride m’a dit que demain matin on devrait pouvoir visionner les bandes au musée.
— Ce type était là, Raleigh, ai-je affirmé avec certitude. Il était là, ce soir-là. Kathy connaissait son assassin. Il nous reste juste à découvrir qui c’est.
Raleigh a encore rempli mon verre d’un peu de vin.
— On fait équipe à présent, hein, Lindsay ?
— Bien sûr, ai-je dit, un peu surprise par sa question. Ne venez pas me dire que je ne vous fais pas confiance.
— Non, je veux dire, on a connu trois doubles meurtres, on s’est engagés à voir le bout de cette affaire, je vous ai soutenue auprès de Mercer. Je vous ai même aidée à ranger après le dîner chez vous, l’autre soir.
— Ouais, et alors ?
J’ai souri. Mais son visage ne se départait pas d’un soupçon de gravité. J’ai tenté de deviner où il voulait en venir.
— Il est peut-être temps que vous m’appeliez Chris, qu’est-ce que vous en dites ?