13.
Phillip Campbell roulait depuis les premières lueurs du jour au volant de l’imposante limousine de location. Il était nerveux, speedé – et il adorait ça.
Il avalait les kilomètres avec détermination dans un coaltar qui s’éternisait ; il traversa le Bay Bridge et poursuivit vers l’est sur la 80. Il se libéra enfin de la circulation matinale près de Vallejo, veillant à ne pas dépasser cent au compteur.
Il ne tenait pas à se faire épingler pour excès de vitesse.
Les journaux le traitaient de monstre. De psychopathe, de cas sociologique. À la télé, des experts décortiquaient ses mobiles, son passé, ses futurs assassinats éventuels.
Ils ne savent rien. Ils se trompent sur toute la ligne. Ils ne trouveront que ce que je veux bien qu’ils trouvent. Ils ne verront que ce que je veux bien qu’ils voient.
Passé la frontière du Nevada, il n’y avait pas loin jusqu’à Reno, qu’il jugeait une ville vulgaire, bonne pour les cow-boys sur le retour. Il resta sur la route, évita le Strip. De larges boulevards où s’alignaient maisons en stuc, stations-service, armureries, boutiques de prêts sur gages. On pouvait tout se procurer par ici sans qu’on vous pose beaucoup de questions. C’était l’endroit idéal où s’acheter un flingue, se défaire d’une bagnole ou les deux.
Non loin du centre, il vira dans un Lumpy’s. Il gara la voiture sur une place vide du parking, ouvrit la boîte à gants, récupéra les papiers bien pliés et poussa un soupir de soulagement.
La limousine était propre comme un sou neuf. Sans aucune tache. Nul fantôme n’y chuchotait. La veille, toute la journée, il l’avait nettoyée et astiquée, frottant les taches de sang jusqu’à ce que la dernière trace disparaisse. À présent, le véhicule était muet, aussi avare de confidences que le jour où il l’avait pris.
Il respirait mieux. Comme si Michael et Becky DeGeorge n’avaient jamais existé.
En quelques minutes, il avait réglé la location de la voiture et appelé un taxi pour qu’il le conduise à l’aéroport.
Une fois là, il s’enregistra, parcourut un journal de San Francisco devant un kiosque à journaux. Rien sur Michael et Betty. Il s’avança vers la porte d’embarquement.
Il s’acheta une bouteille de jus d’abricot et un en-cas végétarien dans un fast-food.
Il franchit la porte 31, vol de Reno Air pour San Francisco. Il prit un siège et entama son repas.
Une jeune femme craquante vint s’asseoir près de lui. Blonde, beau petit cul, juste assez vulgaire pour attirer l’œil. Elle portait au cou une chaîne en or avec son nom, écrit en script : Brandee. Plus un minuscule diamant monté en bague.
Il la salua d’un sourire distrait.
Elle se délesta d’un sac à dos Kipling, but une lampée à une bouteille d’eau en plastique et sortit Mémoires d’une geisha en poche. Cela l’intéressa qu’elle lise, entre tous, un ouvrage traitant d’une femme servile. C’était un signe.
— C’est un bon bouquin ? fit-il en lui souriant.
— Tout le monde le dit, répondit-elle. Je le commence à peine.
Il se pencha et respira la senteur citronnée bon marché de son parfum.
— Difficile à croire, continua-t-il, que l’auteur soit un homme.
— On en reparlera.
Elle feuilleta quelques pages, puis ajouta :
— C’est mon fiancé qui m’en a fait cadeau. Phillip Campbell sentit se hérisser les poils de ses avant-bras.
Son cœur se mit à battre la chamade. Il se caressa le bouc d’un doigt frémissant.
— Ah... et c’est quand, le grand jour ?