3.
— Tu marches dans ces conneries ? a fait Jill avec un rictus pendant qu’on attendait l’ascenseur devant la cellule de détention de Jenks.
— Là où je marche, c’est qu’il y croit en partie, lui ai-je répondu.
— Ça va. Il ferait mieux de plaider la folie. Si Nicholas Jenks veut dresser la liste de ceux qui aimeraient lui faire porter le chapeau, il aurait intérêt à commencer par tous ceux qu’il a baisés.
J’ai éclaté de rire, en lui accordant que la liste serait longue. Puis la porte de l’ascenseur s’est ouverte et, ô surprise, Chessy Jenks en est descendue. Elle portait une robe longue d’été. J’ai tout de suite remarqué comme elle était jolie.
Nos regards se sont croisés un instant, avec embarras. Je venais d’arrêter son mari. Mon équipe de techniciens de scène de crime avait mis sa maison sens dessus dessous. Elle aurait eu de très bonnes raisons de le prendre de haut avec moi – mais non.
— Je suis venue voir mon mari, a-t-elle dit d’une voix mal assurée.
Je l’ai présentée à Jill froidement, puis je lui ai indiqué le parloir. À cet instant-là, elle avait l’air perdue et seule comme personne au monde.
— Sherman m’a dit qu’il y a beaucoup de preuves, a-t-elle ajouté.
J’ai opiné poliment. Je ne sais pourquoi je ressentais quelque chose pour elle, outre qu’elle semblait une jeune femme vulnérable dont le destin avait voulu qu’elle tombe amoureuse d’un monstre.
— Nick n’a pas fait ça, inspecteur, a dit Chessy Jenks.
Sa sortie m’a surprise.
— Il est bien naturel qu’une femme veuille défendre son mari, ai-je admis. Si vous avez un alibi béton...
Elle a fait non de la tête.
— Pas d’alibi. Seulement, je connais mon mari.
La porte de l’ascenseur s’était refermée, Jill et moi devions attendre à nouveau. Comme ceux des hôpitaux, il allait mettre dix bonnes minutes à descendre puis à remonter. Chessy Jenks n’a pas fait mine de vouloir s’éloigner.
— Mon mari est loin d’être simple. Il peut être très dur. Je sais qu’il s’est fait des ennemis. Je sais qu’il s’en est pris à vous. De l’extérieur, ça doit être très difficile à croire mais, par moments, il est aussi capable de tendresse, d’une générosité incroyable et d’amour.
— Je ne voudrais pas me montrer antipathique, madame Jenks, est intervenue Jill, mais vu les circonstances, vous ne devriez vraiment pas nous parler.
— Je n’ai rien à cacher, a-t-elle rétorqué.
Puis d’un air découragé :
— Je sais déjà ce que vous savez.
J’étais sidérée. Je sais déjà ce que vous savez ?
— J’ai parlé à Joanna, a poursuivi Chessy Jenks. Elle m’a dit que vous étiez passée la voir. Je sais ce qu’elle vous a raconté sur lui. Elle est aigrie. Et elle a toutes les raisons de l’être. Mais elle ne connaît pas Nick aussi bien que moi.
— Vous devriez repenser aux preuves, madame Jenks, lui ai-je dit.
Elle a secoué la tête.
— Des armes à feu... peut-être, inspecteur. Si ça s’en tenait là. Mais un couteau. Ce premier meurtre. Ce jeune couple, coupé en morceaux. Nick ne sait même pas vider un poisson.
Ma première idée fut qu’elle était jeune et se berçait d’illusions. Comment Jenks l’avait-il décrite ? Impressionnable... mais j’ai été frappée par quelque chose qui m’a paru curieux.
— Vous avez bien dit que vous et Joanna vous vous parliez ?
— Oui. Beaucoup plus depuis un an. Elle est même venue à la maison. En l’absence de Nick, bien entendu. Je sais qu’elle était aigrie après le divorce. Je sais qu’il lui a fait du mal. Mais on forme une sorte de groupe de soutien.
— Votre mari est au courant ? lui ai-je demandé.
Elle a eu un sourire forcé.
— Il n’y voit pas d’inconvénient. Il aime bien Joanna. Et elle, inspecteur, elle est toujours amoureuse de lui.
L’ascenseur de retour, on s’est séparées. Une fois la porte refermée, j’ai regardé Jill. Elle ouvrait de grands yeux et sa langue gonflait l’une de ses joues.
— Cette petite famille me fout la trouille, m’a-t-elle dit en frissonnant.