2.
Le lendemain, Jenks a redemandé à nous voir. Jill et moi, on s’est rendues au neuvième étage en se demandant de quoi il retournait.
Cette fois, plus de jeu du chat et de la souris, plus aucune connerie. Leff était là, mais il se leva avec humilité à notre entrée.
Jenks avait l’air bien moins menaçant dans son uniforme gris de prisonnier. Son air soucieux transmettait un message clair à déchiffrer.
— Mon client tient à faire une déclaration, nous a annoncé Leff à peine étions-nous assises.
Nous y voilà, me suis-je dit. Il veut passer un marché. Il a vu à quel point jouer ce jeu était ridicule.
Mais Jenks nous a sorti quelque chose d’inattendu.
— Je me suis fait piéger ! a-t-il affirmé avec colère.
Le regard de Jill a rencontré aussitôt le mien.
— Vous pouvez répéter ? a-t-elle fait. Que se passe-t-il ?
Elle a dévisagé Jenks, puis Leff.
— Votre client est relié aux trois lieux du crime ; on l’a situé à Cleveland à l’heure du dernier meurtre ; on l’a surpris à mentir sur son ancienne liaison avec Kathy Kogut, l’une des dernières victimes ; l’on possède l’un de ses livres détaillant un dessein criminel étonnamment similaire ; l’on a ses poils faciaux correspondant à l’un de ceux retrouvés dans le vagin d’une autre des victimes. Et vous affirmez qu’il s’est fait piéger ?
— Ce que j’affirme, a dit Jenks, le visage d’un gris de cendre, c’est qu’on est en train de me faire porter le chapeau.
— Ecoutez, monsieur Jenks, a répondu Jill, le regard toujours fixé sur Leff. Ça fait huit ans que je fais ce travail. J’ai constitué les dossiers de centaines de criminels, j’ai envoyé plus de cinquante assassins derrière les barreaux. Je n’ai jamais vu un tel faisceau de preuves impliquant un suspect. L’affaire est tellement bouclée qu’on ne peut respirer.
— J’en suis bien conscient, a soupiré Jenks. Et aussi que je vous ai donné toutes les raisons de trouver mes allégations invraisemblables. Je vous ai menti sur ma présence à Cleveland, ma liaison avec Kathy. Quant aux autres, je ne peux même pas fournir d’alibis. Mais je m’y connais aussi en machinations. J’en ai élaboré plus que n’importe qui. Je suis passé maître en ce domaine. Et je vous l’affirme, quelqu’un est en train de me faire porter le chapeau.
J’ai secoué la tête, incrédule.
— Qui donc, monsieur Jenks ?
Ce dernier a repris son souffle. Il avait l’air terrifié pour de bon.
— Je n’en sais rien.
— Quelqu’un vous détesterait au point d’avoir combiné tout ça ?
Jill n’a pu retenir un sarcasme.
— Le peu que je connais de vous m’inciterait à le croire.
Elle s’est retournée vers Leff.
— Vous envisagez de soutenir cette thèse ?
— Ecoutez-le simplement, maître Bernhardt, a plaidé l’avocat.
— Ecoutez, dit Jenks, je sais ce que vous pensez de moi. Je suis coupable sur de nombreux points. D’égoïsme, de cruauté, d’adultère. Je suis colérique ; parfois, je me contrôle difficilement. Et avec les femmes... vous pouvez certainement en dénicher une dizaine qui vous aiderait à me faire coffrer pour ces meurtres. Mais aussi évident que ça vous paraisse, je n’ai pas tué ces gens-là. Aucun d’entre eux. Quelqu’un tente de me faire porter le chapeau. C’est la vérité. Quelqu’un qui a fait du très bon boulot.