13.
Lentement, inévitablement, je me sentais voyageant dans le mauvais avion volant vers la mauvaise ville.
Contre toute logique, je me persuadais de plus en plus que Nicholas Jenks pourrait bien ne pas être le tueur. Quel fourbi !
Je devais calculer quoi faire. Jenks menotté faisait la couverture de Times et de Newsweek. On le mettait en examen à Napa, le lendemain, pour deux autres meurtres. Peut-être devrais-je rester à bord du mauvais avion, quitter la ville et ne plus jamais reparaître à San Francisco.
J’ai réuni les filles. Je leur ai décrit la mosaïque qui commençait à prendre forme : la contestation pleine d’acrimonie au sujet du divorce, Joanna se sentant mise au rebut, l’accès direct aux victimes à travers ses contacts chez Saks.
— Elle était gérante adjointe de la boutique, leur ai-je dit. Une coïncidence ?
— Donne-moi des preuves, m’a dit Jill. Parce que, pour l’instant, je n’en ai que contre Nick Jenks. Et plus qu’il n’en faut.
Je percevais de l’inquiétude et de la frustration dans sa voix. Le pays tout entier avait les yeux braqués sur cette affaire et sur le moindre mouvement qu’elle faisait. On avait travaillé si dur pour vendre à Mercer et à Sinclair, son boss, l’idée que c’était Jenks. Et voilà maintenant que, après tout ça, il était question de proposer un nouveau suspect et une nouvelle théorie.
— Autorise une perquisition, ai-je demandé à Jill. Au domicile de Joanna Wade. On doit y trouver quelque chose. Les alliances, une arme, des détails sur les victimes. C’est la seule façon de mettre le doigt dessus.
— Autoriser une perquisition pour quel motif ? Soupçon de nouvelles preuves ? Si je fais ça, le dossier est à nouveau fragile. Si l’on montre qu’on doute, comment convaincre un jury ?
— On pourrait aller vérifier là où elle a travaillé, a proposé Cindy. Vérifier si elle avait accès à des renseignements sur les mariées.
— C’est une preuve indirecte, merdique, s’est écriée Jill. L’une de mes voisines travaille chez Saks. C’est peut-être elle la meurtrière.
— Tu ne peux pas continuer sur ta lancée si on a encore un doute, a plaidé Cindy.
— C’est toi qui doutes, lui a dit Jill. Pour moi, tout est en place pour une condamnation pile-poil. Pour toi, c’est un reportage, tu te laisses aller où ça te mène. Moi, c’est toute ma carrière qui est en jeu.
Cindy en est restée abasourdie.
— Tu penses que je suis ici uniquement pour mon papier ? Tu crois que je tais chaque piste, que je me ronge les sangs de ne pouvoir rien publier, et tout ça, parce que je pourrai vendre les droits d’un bouquin, plus tard ?
— On se calme, les filles, a dit Claire, en posant la main sur l’épaule de Cindy. Il faut qu’on reste soudées.
L’œil bleu intense de Jill se radoucit. Elle se tourna vers Cindy.
— Excuse-moi, simplement quand ça va se savoir, Leff aura toute latitude pour semer le doute dans l’esprit des jurés.
— Mais on ne peut pas se dégonfler maintenant, sous prétexte que ce serait une mauvaise tactique, a objecté Claire. Il pourrait y avoir un assassin en liberté, auteur de multiples meurtres.
— Allez, Jill, autorise une perquisition, lui ai-je dit.
Je ne l’avais jamais vue aussi à cran. Tout ce qu’elle avait accompli dans sa carrière, tout ce qu’elle incarnait allait être placé carrément en première ligne. Elle a fait non de la tête.
— Essayons. À la façon de Cindy. On va commencer par Saks, vérifier le passage de Joanna là-bas.
— Merci, Jill, ai-je dit. Tu es la meilleure.
Elle eut un soupir de résignation.
— Découvre si elle a été en contact avec quelqu’un ayant accès à ces noms. Trouve un lien entre Joanna et ces noms et je t’obtiendrai ce que tu veux. Mais si tu n’y arrives pas, prépare-toi à voir griller Jenks.
Je lui ai pris la main par-dessus la table. Elle a serré la mienne. On a échangé un sourire nerveux.
Jill a fini par plaisanter :
— Personnellement, j’espère que tout ce que tu ramèneras c’est le dernier truc mode du prochain catalogue de Noël.
Claire a éclaté d’un rire bruyant.
— Bon, comme ça l’expédition ne serait pas une pure perte, hein ?