42.
Le lendemain matin, je m’y suis remise plus fort que jamais. Je croyais toujours qu’on brûlait, qu’on était peut-être à quelques heures de mettre un nom sur Barbe Rousse.
J’ai appelé Jim Heekin, le contact de Roth dans les forces de police de Seattle. Heekin m’apprit qu’ils passaient en revue les biens de la mariée pendant qu’on parlait. Si quelque chose en sortait, il me tiendrait immédiatement au courant.
On a obtenu une réponse d’Infortech, où avait travaillé Kathy Voskuhl à Seattle. Au cours des trois ans où elle avait tenu son poste, on ne trouvait nulle trace d’un seul remboursement pour des voyages d’affaires. Son job consistait à élargir la clientèle à Seattle. Si elle s’était rendue plusieurs fois à San Francisco, c’était par ses propres moyens.
J’ai fini par appeler McBride. Les Kogut affirmaient toujours qu’ils ne savaient rien de plus. Mais la veille, il avait rencontré le père, qui semblait prêt à céder. C’était râlant que leur tentative désespérée de sauvegarder la vertu de leur fille leur obscurcisse le jugement.
Etant donné que j’étais une femme, m’a suggéré McBride, peut-être qu’une nouvel essai de ma part leur ferait franchir le pas. J’ai appelé Christine Kogut, la mère de la mariée.
Quand je l’ai eue au bout du fil, sa voix était différente, lointaine, détachée, moins tourmentée.
— L’assassin de votre fille court toujours, ai-je dit.
Je n’ai pas pu me contenir plus longtemps.
— Les familles des deux autres couples souffrent. Je pense que vous savez qui faisait du mal à Kathy. Je vous en prie, aidez-moi à le mettre hors d’état de nuire.
Quand elle a pris enfin la parole, le chagrin et la honte faisaient trembler sa voix.
— L’on élève une fille, inspecteur, et on l’aime tant qu’on pense qu’elle sera toujours cette partie de vous-même qui ne s’en ira jamais.
— Je sais, ai-je dit, la sentant hésiter.
Elle connaît son nom, oui ou merde ?
— C’était une beauté... tout le monde tombait amoureux d’elle. Un esprit libre. Un jour, pensions-nous, un esprit aussi libre que le sien ferait d’elle ce qu’elle était destinée à devenir. C’est ce que l’on a essayé d’inculquer à tous nos enfants. Mon mari soutient que l’on a toujours préféré Kathy. Peut-être que l’on a contribué à ce que tout ça lui arrive.
Je n’ai rien ajouté. Je savais ce que cela exigeait de livrer ce que l’on garde à l’intérieur de soi. J’avais envie qu’elle y parvienne toute seule.
— Vous avez des enfants, inspecteur ?
— Pas encore.
— C’est si difficile à croire que votre bébé, il vous cause tant de chagrin. On l’a suppliée de rompre. On lui a même trouvé son nouveau job. On l’a aidée à déménager nous-mêmes. On pensait : si seulement ça pouvait la séparer de lui.
Je suis restée silencieuse, la laissant aller à sa propre allure.
— Elle était malade, comme une droguée, inspecteur. Elle ne pouvait pas s’en empêcher. Mais ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi, lui, il lui voulait tant de mal. Il lui a dérobé toute sa pureté. Pourquoi avait-il besoin de faire du mal à ma Kathy ?
Donnez-moi son nom. Qui est-il ?
— Elle était fascinée par ce qu’il incarnait. C’était comme si elle perdait son libre arbitre dès que cet homme était en jeu. Elle nous a fait honte jusqu’à la fin. Et même maintenant – elle a baissé le ton – je me demande encore comment quelqu’un qui aimait ma fille a pu la tuer. J’ai bien peur de ne pas y croire. C’est en partie pour ça que je ne voulais pas vous le dire.
— Dites-le-moi maintenant, ai-je fait.
— Je pense qu’elle l’a rencontré à la première de l’un de ses films. Il lui a dit qu’il avait en tête un visage comme le sien quand il avait imaginé l’une de ses héroïnes.
Ce fut alors que Mme Kogut m’a dit son nom.
Mon corps est devenu gourd.
Je connaissais ce nom. Je l’ai reconnu. Barbe Rousse était bien quelqu’un de célèbre.