1.
Le soir qui suivit la mise en examen de Jenks, le DG Mercer avait obtenu la loge d’honneur à Pacbell de l’un de ses potes richissimes. Il a invité plusieurs d’entre nous, moi, Raleigh, même Joyeux, à un match des Giants. C’était une chaude soirée d’été. Ils jouaient contre les Cardinals. Mon père aurait adoré.
Je n’avais pas vraiment envie d’y aller, ne désirant pas me sentir en représentation comme la femme flic qui avait arrêté Jenks, mais Mercer a insisté.
Et puis Mark McGwire jouait première base et tout ça, alors j’ai enfilé un coupe-vent et en avant pour la balade.
Toute la soirée, Chris et moi, on n’a pas cessé de se regarder en douce. Il y avait une énergie particulière dans la loge, une aura qui nous entourait, rien que lui et moi.
Le match n’était qu’un bruit de fond. À la troisième manche, Mighty Mac a catapulté la balle d’Ortiz, le lanceur, qui a disparu et failli atterrir dans la baie. Le stade a éclaté en vivats sauvages, même en l’honneur d’un Cardinal. À la quatrième manche, Barry Bonds, champ-centre, a égalisé avec l’un de ses coups de derrière les fagots.
Chris et moi, on ne pouvait détacher nos regards l’un de l’autre. Nos pieds posés sur le même siège, comme des écoliers, de temps en temps, nos chevilles s’effleuraient. Bon Dieu, ça valait tous les matches du monde.
Il a fini par me cligner de l’œil.
— Tu veux boire quelque chose ?
Il est allé au débit de boissons, qui dominait les sièges, et je l’ai suivi. Les autres ne se sont pas retournés. Dès qu’on a été hors de vue, il a posé ses mains sur mes cuisses et il m’a embrassée. J’étais en feu.
— Tu comptes t’éterniser ?
— Il reste de la bière, ai-je plaisanté.
Sa main a effleuré ma poitrine et m’a fait trembler. Ses mains si douces. J’ai respiré plus vite, la nuque moite de sueur.
Chris m’a encore embrassée et m’a serrée de plus près. J’ai senti nos cœurs battre à l’unisson.
— Je ne peux plus attendre, m’a-t-il dit.
— OK, sortons d’ici.
— Non, a-t-il insisté, je t’ai dit que je n’en pouvais plus.
— Ah mon Dieu.
J’ai soupiré. Je ne pouvais plus me retenir. Tout mon corps était en ébullition. J’ai jeté un coup d’œil vers le bas, vers Joyeux, Mercer et les deux zozos de Mill Valley. C’est de la folie pure, Lindsay.
Mais récemment, tout était dingue, tout s’accélérait, échappait à tout contrôle.
On aurait dit que toutes les forces de l’univers nous poussaient, Chris et moi, à trouver un endroit retiré. Il y avait des toilettes dans la loge, à peine assez grandes pour qu’on s’y remaquille. Mais on s’en moquait.
Chris m’y a fait entrer au moment où les fans de base-ball beuglaient pour une raison quelconque. On a eu du mal à refermer la porte. Bon Dieu. Je n’arrivais pas à croire à ce que je venais faire là. Il a déboutonné mon chemisier, défait ma ceinture. Nos cuisses étaient pressées l’une contre l’autre.
Chris m’a soulevée en douceur et m’a mise sur lui. J’ai eu l’impression qu’une étoile filante m’explosait dans le sang. Chris était adossé au lavabo, j’étais entre ses mains ; on était hyper à l’étroit dans cet espace minuscule mais on bougeait parfaitement au même rythme.
Un rugissement du public nous est parvenu en écho de l’extérieur : soit McGwire en avait sorti une autre, soit Bonds lui avait volé son home run – et puis après ? On a continué à jouer à la balançoire, Chris et moi. Je n’arrivais plus à respirer. Mon corps était luisant de sueur. Impossible de m’arrêter. Chris a continué de plus belle, je m’agrippais fort à lui. Un instant plus tard, on a joui ensemble.
Deux flics héroïques, ai-je pensé.
Je ne m’étais jamais sentie mieux, plus libre, plus excitée. Chris a niché son front contre mon épaule. Je l’ai embrassé sur la joue, dans le cou.
Puis une idée des plus étranges m’a envahie. J’ai commencé à rire, un rire auquel se mêlaient des soupirs de fatigue. On était coincés là, épuisés, à quelques mètres de mon patron. Je gloussais comme une imbécile. J’allais nous faire prendre !
— Qu’est-ce qu’il y a de si drôle ? m’a chuchoté Chris.
J’ai pensé à Claire et à Cindy. Et à ce qu’on venait de faire.
— Je crois que j’ai mérité d’entrer sur la liste, ai-je dit.