25.

— Qu’est-ce que vous fabriquez ici ? ai-je répliqué, sous le coup de la surprise.

J’étais ravie mais sur des charbons ardents. Mes cheveux étaient remontés, je portais un vieux T-shirt de Berkeley dans lequel je dormais à l’occasion. Et ma transfusion m’avait vidée et mise à cran. Quant à mon petit nid douillet, c’était un vrai souk.

— Je peux monter ? a fait Raleigh.

— Pour affaires ou personnel ? ai-je demandé. Faut pas qu’on retourne à Napa, hein ?

— Pas ce soir.

Je l’ai entendu rire.

— Cette fois, j’ai apporté le mien.

Je n’ai pas tout à fait compris sa remarque, mais je lui ai ouvert en bas. Je suis revenue en courant dans la cuisine, j’ai baissé le feu sous les pâtes et en deux temps, trois mouvements, j’ai ramassé des coussins par terre et les ai jetés sur le divan, puis j’ai transporté une pile de magazines sur une chaise dans la cuisine.

Je me suis passé du gloss sur les lèvres et j’ai libéré mes cheveux quand on a sonné à la porte.

Raleigh, chemise ouverte et pantalon tank, portait une bouteille de vin. Kunde. Très bon choix. Il me lança un sourire d’excuse.

— J’espère que vous ne m’en voulez pas de cette intrusion.

— Personne ne fait intrusion chez moi. Je vous ai permis d’entrer, ai-je dit. Qu’est-ce qui vous amène ?

Il éclata de rire.

— Je passais dans le quartier.

— Vous passiez, tiens donc ! Vous habitez de l’autre côté de la baie.

Il opina, laissant tomber son alibi sans résistance.

— Je voulais simplement m’assurer que vous alliez bien. Vous ne sembliez pas dans votre assiette, au commissariat.

— C’est sympa, Raleigh, ai-je dit en le regardant droit dans les yeux.

— Alors ? Ça va comment ?

— Bien. Je me sentais juste un peu submergée. Roth. Le truc avec le FBI. Ça va, maintenant. Vraiment.

— Tant mieux, m’a-t-il dit. Hum, ça sent bon.

— J’étais en train de me préparer quelque chose.

Je me suis tue, réfléchissant à ce que j’allais dire.

— Vous avez dîné ?

Il a fait non de la tête.

— Non, non. Mais je ne veux pas m’imposer.

— Pourquoi avoir apporté du vin en ce cas ?

Il m’a décoché l’un de ses sourires irrésistibles.

— Si je ne vous avais pas trouvée, il y a un endroit où je vais toujours, au coin de la Deuxième et de Brannan.

Je lui ai rendu son sourire et j’ai fini de lui ouvrir ma porte.

Raleigh est entré dans l’appartement. Il a regardé autour de lui, impressionné, hochant la tête. Il a observé les poteries, un blouson de base-ball en satin noir et or de Willie Mays, ma terrasse et sa vue sur la baie. Il a levé la bouteille.

— J’en ai déjà une de débouchée sur le comptoir, ai-je dit. Servez-vous un verre. Je m’occupe de la bouffe.

Je suis passée dans la cuisine, me remémorant que je sortais d’un service de consultation externe pour une maladie grave et que, de toute façon, nous étions coéquipiers. Avec un chouïa d’excitation irrépressible, j’ai sorti un autre set de table.

— Numéro vingt-quatre des Giants ? m’a-t-il dit en portant la voix. Ce blouson, il est authentique ?

— C’est celui de Willie Mays. Mon père m’en a fait cadeau pour mes dix ans. Il voulait un garçon. Je l’ai gardé depuis.

Il est entré dans la cuisine, a fait pivoter un tabouret vers le comptoir. Pendant que je remuais les penne, il s’est servi un verre de vin.

— Vous cuisinez toujours pour vous comme ça ?

— Une vieille habitude, ai-je dit. Je devenais grande et ma mère travaillait tard. Ma sœur avait six ans de moins que moi. Parfois, ma mère ne rentrait pas avant huit heures. D’aussi loin qu’il m’en souvienne, j’ai toujours dû préparer le dîner.

— Et votre père, il était où ?

— Il est parti lorsque j’avais treize ans, ai-je dit, en touillant un mélange moutarde, huile de pépins de raisin, vinaigre balsamique et citron afin d’en faire une vinaigrette pour la salade.

— Alors, c’est votre mère qui vous a élevées ?

— On peut le dire comme ça. Parfois, j’ai l’impression de m’être élevée toute seule.

— Jusqu’à votre mariage.

— Ouais, puis je l’ai quelque peu élevé, lui aussi, ai-je dit en souriant. Vous êtes plutôt curieux, Raleigh.

— Les flics le sont en général. Vous ne le saviez pas ?

— Si. Les vrais de vrais.

Raleigh a fait mine d’être vexé.

— Je peux vous aider à faire quelque chose ? m’a-t-il proposé.

— Vous n’avez qu’à râper le fromage, ai-je dit en souriant.

J’ai poussé un morceau de parmesan et une râpe métallique vers lui.

On est restés comme ça pendant qu’il râpait, en attendant que les pâtes cuisent. Martha la Douce s’est faufilée dans la cuisine et a laissé Raleigh la câliner.

— Vous ne sembliez pas vous-même cet après-midi, a-t-il fait en caressant la tête de Martha. D’habitude, vous gérez les conneries de Roth sans ciller. On aurait dit que quelque chose allait de travers.

— Rien ne va de travers, ai-je menti. Du moins pas maintenant. Si vous voulez tout savoir.

Je me suis appuyée au comptoir et je l’ai bien regardé. C’était mon coéquipier, et bien plus que ça, c’était une personne en qui je pouvais avoir confiance, ai-je pensé. Ça faisait très longtemps que je n’avais pas accordé ma confiance à quelqu’un dont le sexe commençait par la lettre H. Peut-être qu’en d’autres circonstances... me disais-je.

La voix obsédante de Tori Amos emplissait l’atmosphère.

— Vous aimez danser ? m’a demandé Raleigh soudain.

Je l’ai regardé, surprise pour de bon.

— Je ne danse pas, je cuisine.

— Vous ne dansez pas... vous cuisinez ? a répété Raleigh, plissant le front.

— Ouais. Vous savez ce qu’on dit de la cuisine.

Il a jeté un regard autour de lui.

— Ce que moi, je dirais, c’est que ça ne semble pas vous réussir. Peut-être que vous devriez essayer la danse.

La musique était douce, langoureuse et, malgré mes tentatives pour le nier, une partie de moi n’avait qu’une envie, qu’on la prenne dans les bras.

Sans même que je dise oui, mon satané coéquipier m’a saisi la main et m’a fait contourner le comptoir en me tirant à lui. Je voulais résister, mais une petite voix intérieure me poussait à la reddition, me soufflant : Lâche prise, Lindsay. C’est un type bien. Tu sais que tu peux lui faire confiance.

Alors, j’ai cédé et j’ai laissé Chris Raleigh me prendre dans ses bras. Et j’ai aimé ça.

On est restés debout tout d’abord, à tanguer, avec raideur. Puis je me suis surprise à abandonner ma tête contre son épaule, sentant que rien ne pouvait plus m’atteindre, un certain temps du moins.

— Ce n’est pas un rendez-vous, ai-je murmuré.

Je me suis laissé dériver vers un lieu vraiment agréable où l’amour, l’espoir et tous mes rêves étaient encore à ma portée.

— À vrai dire, ai-je avoué à Raleigh, je suis contente que vous soyez passé.

— Moi aussi.

Alors j’ai senti qu’il me serrait contre lui. Un frisson m’a parcouru le dos, que j’ai eu du mal à reconnaître pour ce qu’il était.

— Elles sont comme ça, hein, Raleigh ? lui ai-je dit.

— Quoi donc, Lindsay ?

— Vos mains. Douces.

 

1er à mourir
coverpage.xhtml
content0002.xhtml
content0003.xhtml
content0004.xhtml
content0005.xhtml
content0006.xhtml
content0007.xhtml
content0008.xhtml
content0009.xhtml
content0010.xhtml
content0011.xhtml
content0012.xhtml
content0013.xhtml
content0014.xhtml
content0015.xhtml
content0016.xhtml
content0017.xhtml
content0018.xhtml
content0019.xhtml
content0020.xhtml
content0021.xhtml
content0022.xhtml
content0023.xhtml
content0024.xhtml
content0025.xhtml
content0026.xhtml
content0027.xhtml
content0028.xhtml
content0029.xhtml
content0030.xhtml
content0031.xhtml
content0032.xhtml
content0033.xhtml
content0034.xhtml
content0035.xhtml
content0036.xhtml
content0037.xhtml
content0038.xhtml
content0039.xhtml
content0040.xhtml
content0041.xhtml
content0042.xhtml
content0043.xhtml
content0044.xhtml
content0045.xhtml
content0046.xhtml
content0047.xhtml
content0048.xhtml
content0049.xhtml
content0050.xhtml
content0051.xhtml
content0052.xhtml
content0053.xhtml
content0054.xhtml
content0055.xhtml
content0056.xhtml
content0057.xhtml
content0058.xhtml
content0059.xhtml
content0060.xhtml
content0061.xhtml
content0062.xhtml
content0063.xhtml
content0064.xhtml
content0065.xhtml
content0066.xhtml
content0067.xhtml
content0068.xhtml
content0069.xhtml
content0070.xhtml
content0071.xhtml
content0072.xhtml
content0073.xhtml
content0074.xhtml
content0075.xhtml
content0076.xhtml
content0077.xhtml
content0078.xhtml
content0079.xhtml
content0080.xhtml
content0081.xhtml
content0082.xhtml
content0083.xhtml
content0084.xhtml
content0085.xhtml
content0086.xhtml
content0087.xhtml
content0088.xhtml
content0089.xhtml
content0090.xhtml
content0091.xhtml
content0092.xhtml
content0093.xhtml
content0094.xhtml
content0095.xhtml
content0096.xhtml
content0097.xhtml
content0098.xhtml
content0099.xhtml
content0100.xhtml
content0101.xhtml
content0102.xhtml
content0103.xhtml
content0104.xhtml
content0105.xhtml
content0106.xhtml
content0107.xhtml
content0108.xhtml
content0109.xhtml
content0110.xhtml
content0111.xhtml
content0112.xhtml
content0113.xhtml
content0114.xhtml
content0115.xhtml
content0116.xhtml
content0117.xhtml
content0118.xhtml
content0119.xhtml
content0120.xhtml
content0121.xhtml
content0122.xhtml
content0123.xhtml
content0124.xhtml
content0125.xhtml
content0126.xhtml
content0127.xhtml
content0128.xhtml
content0129.xhtml
content0130.xhtml
content0131.xhtml
content0132.xhtml
content0133.xhtml
content0134.xhtml
content0135.xhtml
content0136.xhtml
content0137.xhtml
content0138.xhtml
footnote0001.xhtml