3.
Ma surprise fut totale en voyant surgir Cindy chez moi sur le coup de onze heures et demie du soir. Pleine de fierté, elle a bafouillé en exultant :
— Je sais qui était l’amant de Kathy Kogut.
— Nicholas Jenks, ai-je répliqué. Entre, Cindy. Martha, couché.
La chienne tirait sur ma chemise de nuit des Giants.
— Ah bon Dieu, gémit-elle à haute voix. J’étais si regonflée. J’ai cru que je l’avais trouvé.
Elle l’avait trouvé. Elle avait coiffé au poteau McBride et Seattle. Deux escouades d’enquêteurs confirmés, sans oublier le FBI. Je l’ai regardée avec une admiration non simulée.
— Comment ?
Trop agitée pour s’asseoir, Cindy a arpenté mon salon tout en me retraçant les étapes de sa stupéfiante découverte. Elle a déplié une copie de la photo de presse montrant Jenks et Kathy Kogut à la première du film. Je l’observais, tournant autour du canapé, tâchant de se ressaisir. Bright Star... Sierra... Mauvaise longueur d’onde. Elle ne tenait pas en place.
— Je suis une bonne journaliste, Lindsay, m’a-t-elle fait.
— Je le sais, ai-je dit en souriant. Mais tu ne peux simplement pas écrire tout ça.
Cindy a stoppé net – comprenant soudain ce qu’elle avait négligé de prendre en considération et qui l’atteignait en pleine figure comme une tarte à la crème.
— Ah mon Dieu, a-t-elle gémi. C’est comme se trouver sous la douche avec Brad Pitt sans pouvoir le toucher.
Elle m’a regardée en souriant à demi, mais aussi comme si on lui enfonçait des ongles acérés dans le cœur.
— Cindy... dis-je en l’attirant contre moi, tu n’aurais même pas su qu’il fallait le chercher si je ne t’avais pas tuyautée sur Cleveland.
Je suis passée à la cuisine.
— Tu veux du thé ? lui ai-je crié.
Elle s’est affalée sur le canapé en poussant une nouvelle plainte.
— Une bière. Et puis non, pas de bière. Un bourbon.
Je lui ai désigné mon petit bar près de la terrasse. Quelques instants plus tard, on s’installait. Moi, avec ma tisane Senteurs du soir, Cindy avec un verre de Wild Turkey, Martha, à l’aise à nos pieds.
— Je suis fière de toi, Cindy, lui ai-je dit. Tu as trouvé le nom. Tu as devancé deux départements de police. Quand tout sera fini, je ferai en sorte qu’on parle de toi dans la presse.
— Mais c’est moi, la presse ! s’est exclamée Cindy, avec un sourire forcé. Et qu’est-ce que tu veux dire avec ton « Quand tout sera fini » ? Tu le tiens.
— Pas tout à fait, ai-je dit en secouant la tête.
Je lui ai expliqué que tout ce qu’on avait, même des éléments qu’elle ne connaissait pas – le vignoble, le Champagne – étaient des preuves indirectes. On ne pouvait même pas le forcer à nous soumettre un poil de barbe.
— Alors, qu’est-ce qu’il faut faire ?
— Rattacher solidement Nicholas Jenks au premier crime.
Elle s’est soudain mise à plaider pour sa paroisse.
— Je dois publier ça, Lindsay.
— Non, ai-je insisté. Personne n’est au courant, Roth et Raleigh mis à part. Et aussi une autre personne...
— Qui ça ? a fait Cindy, en tiquant.
— Jill Bernhardt.
— L’adjointe du DA ? Son bureau, c’est comme une passoire qui tenterait de traverser le Pacifique. Il fuit de partout.
— Pas Jill, ai-je promis. Il n’y aura pas de fuite venant d’elle.
— Comment peux-tu en être aussi sûre ?
— Parce que Jill Bernhardt veut coincer ce type tout autant que nous, ai-je affirmé avec conviction.
— Et c’est tout ? a grogné Cindy.
J’ai siroté une gorgée de tisane, puis l’ai fixée droit dans les yeux.
— Et parce que je l’ai invitée à rejoindre notre groupe.