20.
J’ai convoqué ensemble Claire et Cindy à une seconde réunion entre filles. Cette fois, l’humeur était radicalement différente. Ni rires, ni tapes dans les mains, ni margaritas. Deux nouvelles personnes étaient mortes, on n’avait aucun suspect mais une affaire qui prenait de l’ampleur. Des indices qui ne menaient rapidement nulle part. Une pression intense nous tombait dessus.
Claire fut la première arrivée. Elle m’a embrassée et m’a demandé comment je me sentais.
— J’en sais rien, ai-je admis.
J’avais subi trois séances de traitement.
Parfois, je me sentais forte. À d’autres moments, l’après-midi en particulier, je me sentais comme le fantôme de moi-même.
— Medved m’a dit qu’il réexaminera mon taux de globules rouges, la semaine prochaine.
Cindy est arrivée ensuite. Elle portait un débardeur sous une chemise d’homme écossaise et un jean brodé. Elle était très jolie et habillée cool pour la ville. Je ne lui avais pas reparlé depuis mardi quand je l’avais autorisée à publier les détails des seconds meurtres. Même en reculant son article d’un jour, elle avait fait un scoop dans la rubrique « Métropole ».
— Je crois que ça commence à rendre, a-t-elle annoncé en nous lançant sa nouvelle carte au logo rouge vif du Chronicle. J’ai lu Cindy Thomas, journaliste au service Métro Crime.
On lui a porté un toast en la félicitant chaleureusement avant de la charrier un petit peu, histoire de lui éviter la grosse tête. À quoi servaient les amies autrement ?
Je leur ai dit que du côté des agents de voyages et des organisateurs de mariages, ça n’avait rien donné.
— Deux, trois choses me tracassent sérieusement, ai-je dit. L’arme à feu... les détraqués sexuels ne changent pas de mode opératoire, d’habitude. Il fait partie intégrante de leur jouissance.
— C’est une étrange combinaison, a approuvé Claire. Il planifie ses coups avec un tel sang-froid. Il semble au courant de tout. Où le mariage a lieu, le numéro de la chambre, l’itinéraire du voyage de noces. Comment s’échapper. Pourtant, quand il tue, c’est au bord de la fureur. Ça ne lui suffit simplement pas de les tuer. Il faut qu’il les profane.
J’ai acquiescé.
— C’est là qu’est la clé. Il tue dans le cadre d’un mariage, il y a là pour lui quelque chose d’intolérable. Mais je crois que son obsession se porte avant tout sur les mariées. Les deux mariés ont été liquidés rapidement. Comme s’il ne leur attachait aucune importance. Mais les mariées..., elles, le fascinent vraiment.
— Alors où rôderait ce type pour repérer ses victimes potentielles, ai-je demandé à haute voix. Si vous vouliez assassiner de jeunes mariées, où iriez-vous les dénicher ?
— Il leur faut choisir une alliance, a suggéré Claire. Un bijoutier.
— Ou à la mairie, fit Cindy. Il leur faut une licence.
Je l’ai regardée en pouffant.
— Ça collerait sûrement si un employé municipal était derrière tout ça.
— Un traiteur, ont dit simultanément Claire et Cindy.
— Un photographe, a ajouté Claire.
Je me suis imaginé un salopard de barjot, caché derrière son objectif. C’étaient toutes de bonnes hypothèses. Ça ne nécessitait que du temps et du personnel pour les passer en revue avant que le tueur ne refrappe.
— Le bizness matrimonial, ça n’est pas exactement mon rayon, ai-je dit à Claire. C’est pourquoi vous êtes ici.
— Alors il est en sommeil notre club des trois dégourdies ? s’est-elle exclamée, en éclatant de rire. Et mon rôle de légiste top niveau, là-dedans ?
Il y a eu des petits rires de frustration autour de la table. On a toutes pris une nouvelle gorgée de bière. Le Women Murder Club. C’était une bonne chose. Hommes s’abstenir.
— Quel est le lien, bon sang ? ai-je demandé. Il veut qu’on mette le doigt dessus. C’est pour ça qu’il laisse des indices. Il veut qu’on découvre le lien.
Chacune de nous s’est tue, perdue dans ses pensées.
— Je le touche presque du doigt, ai-je continué. Dans la cérémonie, la célébration, elles-mêmes, il y a quelque chose qui le met dans une rage maladive. Quelque chose qu’il lui faut piétiner. L’espoir, l’innocence ? Les mariés, il les tue sur-le-champ. Mais les mariées ? Comment les choisit-il ?
— S’il vit dans un monde distordu par ses rêves, a pensé Cindy à haute voix, il ira là où son fantasme est le plus fort, le plus intense. Il peut chercher à accroître sa colère en les observant d’un endroit où il reste insoupçonnable.
Alors une lueur s’est allumée dans l’œil de Claire.
— J’y pense : moi, j’irais là où elles achètent leurs robes de mariée. C’est là que je choisirais mes victimes.